Chapitre 8
« - Je passerais te voir à la boutique dans la soirée - Akiko »
Relisant encore et encore le petit mot qu'il a trouvé glissé sous la porte, en arrivant ce matin, Deku essaye tant bien que mal de se concentrer sur sa journée terriblement longue, qui touche à sa fin.
Le jour tant attendu de la célébration de la déesse Tenshi étant arrivé, lui et sa chère collègue n'ont pas arrêté de vendre bouquets sur bouquets, et des compositions florales en tout genre, qui seront tous offerts en offrandes dans la plupart des temples religieux, ce soir durant les festivités. Il a vu tellement de personnes se bousculer dans sa petite boutique, étant le seul fleuriste des environs, sur une quinzaine de kilomètres aux alentours.
Et ça lui fait chaud au cœur, parce qu'il aime son métier plus que tout, et que lier toutes ces couleurs entre elles, en de sublimes créations toutes plus magistrales les une que les autres, efface toute sa fatigue, et les marques d'épuisement bien trop présentes dans son esprit.
Mais il doit tout de même admettre, qu'après des journées aussi intenses que celle-ci, il n'est pas tout à fait mécontent quand la pendule accrochée au dessus de son comptoir lui indique 18h15, soit à peine une heure avant son heure de fermeture. La foule s'est peu à peu calmée, pour disparaître de son magasin, prenant le chemin des divers lieux de réjouissance, lui laissant le temps de ranger tout son beau bazar qui s'est un peu accumulé.
Pourtant, il ne peut s'empêcher d'être interpellé par ce petit papier cartonné, où il peut y lire ces quelques mots, d'une écriture tout à fait mélodieuse, dont les lettres sont accompagnées d'arabesques d'une délicatesse sans pareille.
Un peu tourmenté par cette prochaine visite, parce qu'il s'est montré peu courtois avec elle lors de leur dernière rencontre, il appréhende sa réaction. Akiko s'étant avéré une alliée très précieuse dans cette potentielle « reconquête » de son amour de jeunesse, Izuku n'est que très peu fier de la manière dont il l'a envoyé promené, alors qu'il était encore sous le choc de ce contact visuel imprévu avec Katsuki, par hasard, au détour d'une rue qu'il ne se souvenait même pas avoir emprunté. Complètement envahi par la panique, il s'est contenté de l'entraîner vers la voiture en la tenant fermement par son poignet, et l'a supplié de le ramener immédiatement chez lui. Il lui a fallut un bon quart d'heure de calme et de route, avant qu'il ne daigne s'expliquer sur sa brusque réaction, la rabrouant violemment au passage sur cette idée complètement folle de venir en ville.
Parce qu'il n'était décidément pas prêt à cette rencontre.
Cette constatation le cloue au bois de la console, le faisant s'affaler dessus, tout en soufflant très bruyamment, interpellant au passage sa collègue qui sort de la réserve. Surprise de le trouver si peu enjoué, malgré cette journée, qu'il apprécie pourtant tant d'ordinaire, elle s'approche de lui avec un petit sourire, et s'installe de manière à se situer à sa hauteur.
« - Tu as besoin d'en parler Izuku ?
- Je...
- Ne te sens pas obligé de le faire, mais t'as l'air encore plus à plat que d'habitude, alors je m'inquiète un peu tu sais. »
Sensible à cet argument, l'homme se redresse pour se mettre face à elle, posant un regard bienveillant à son égard. Il est touché par cette sollicitude, et tous ces tracas à son encontre, et il sait combien il peut faire confiance à Tsuyu, qui s'est montrée être bien plus qu'une employée ces dernières années. Avant tout une amie, précieuse, et comme on en trouve peu sur cette terre, il se sait chanceux de la compter parmi ses proches, et sent soudainement le besoin de lui démontrer.
Alors, contrairement à ses habitudes, il s'avance vers elle et passe ses bras autour de ses épaules, en nichant son nez quelque part au milieu de sa longue chevelure. Un peu à l'image d'un grand frère, qui la dépasse de 10 bons centimètres, alors que celle-ci fait d'ailleurs toute frêle, perdue là, dans cette étreinte données par ces épaules si larges. Et, totalement surprise par cette démonstration d'affection sortie de nulle part, Tsuyu ouvre de grands yeux ronds, avant de finalement lui rendre ce câlin, en le serrant également du plus fort qu'il lui est capable de le faire.
« - Merci pour tout ce que tu fais pour moi, sans toi la boutique ne serait rien, et... moi non plus...
- Izuku...
- Tu es une amie si précieuse !
- Tu l'es toi aussi. »
Puis, se détachant l'un de l'autre, ils s'offrent mutuellement un sourire radieux, avant de retourner vaquer à leur tâches. Déblayant le plan de travail des quelques chutes de papiers qui traînent encore, Izuku jette un œil dans la direction de sa camarade, hésitant à prendre de nouveau la parole.
« - Tsuyu...je peux te poser une question ?
- Bien sûr que oui, vas-y !
- Imaginons...imaginons que tu doives rattraper quelqu'un. Quelqu'un que tu regrette d'avoir laissé partir de ta vie, mais que tu as raté la chance que t'offrais le destin de le récupérer... Tu crois que cette opportunité est la seule et unique qui se présente à nous ?
- Mmh...ça dépend.
- Et, ça dépend de quoi ?
- De jusqu'où tu es prêt à aller pour récupérer cette personne. »
Un peu perplexe, il laisse tomber ce qu'il tenait en main là où il venait de le prendre, tout en tâchant de se concentrer sur cette conversation, qui l'intrigue au final bien plus que le rangement. Se retournant afin de regarder son interlocutrice, il appuie son bassin contre le comptoir, tout en croisant les bras sur sa poitrine.
« - Les opportunités peuvent se créer Izuku, si c'est vraiment quelque chose qui t'importe tant que ça. Ça découlera de l'importance que tu donne à cette histoire, à la valeur que tu lui accorde. Si elle a une place imposante dans ton cœur, tu trouvera le moyen de provoquer ces étincelles.
- Et si ça me fait trop peur ? Si j'appréhende trop sa réaction ? Et si...si c'était réellement trop tard...
- Et si tu me racontais l'histoire de cette chevalière pour commencer, je pourrais peut-être t'aiguiller un peu ? »
L'histoire de cette fameuse chevalière.
Au fond de lui, Izuku a l'impression que tout à commencé avec ce fameux bijou, qu'ils se sont échangés dans ce parc, lors de cette fameuse journée. Il y a eu tout le reste avant, qui raisonne comme les prémisse du conte de leur vie, comme le prologue de ce récit aux allures quelque peu fantastiques, dont personne ne pouvait imaginer une seule seconde la tournure.
Parce qu'ils n'étaient que deux adolescents, ou du moins jeunes adultes, qui se frayaient un chemin dans la vie, en essayant de construire la leur au passage. Bâtissant les fondations de leur amour, avant d'en rédiger le tout premier chapitre, sous cette envolée de fleurs de cerisiers, ils savouraient ce temps où rien ne semblait pouvoir les séparer, tant cet amour s'avérait d'une force incroyable.
« - D'accord, je vais te raconter. »
Et comme si les gens avaient comprit que cet instant est tout à fait primordial entre les deux amis, plus personne ne passe le pas de la porte. La clochette persiste à rester silencieuse, les laissant dans cette intimité la plus totale, afin de partager ces confessions.
Ouvrant son cœur, une énième fois, il survole le temps d'un petit quart d'heure l'entièreté de cette histoire, en prenant soin de ne pas croiser le regard de Tsuyu une seule fois. Parce qu'il ne se sent pas de taille à l'affronter, que ce soit pour y lire de la tristesse, du jugement, ou n'importe quel autre type d'émotion qu'elle quelle soit. Izuku se contente de parler, sans s'arrêter, jusqu'à en perdre presque le souffle. Allant de leur « rencontre », passant par leur enfance, jusqu'à la naissance de leur sentiment, en finissant par ce baiser des plus incroyables, il n'omet aucun détail.
Il raconte ensuite son accident, et sa convalescence, qui fut si compliquée. Ce deuil qu'il a fait isolé, dans le mutisme le plus total, face à cette avalanche de solitude. Et puis ses choix, comment il a disparu de la vie de Katsuki, sans jamais plus n'y apparaître une seule fois.
Enfin, pas une seule fois, jusqu'à la veille, durant cette rencontre inopinée, au milieu de cette place publique.
« - Tu as passé tant d'années loin de lui Izuku...
- Je sais, et c'est totalement ma faute. Si seulement j'avais fait des choix totalement différents, on en serait pas là, on aurait pas perdu toutes ces années et...
- Oh, respire !
- Pardon...
- Izuku...Tu ne peux pas porter le poids de toute cette histoire. Et puis, il t'a reconnut sur cette place non ?? »
C'est vrai, il a vu dans le regard de Katchan ce mélange si explosif de sentiment. Il a lu dans ses yeux qu'il l'avait reconnu, malgré sa cicatrice, et ses cheveux bien plus longs qu'à l'époque, malgré la monotonie qui s'est fait une place sur son visage.
Il a vu cette incompréhension, se peindre peu à peu sur son portrait, alors que son expression passait de l'énervement à quelque chose qu'il ne saurait décrire. Quand le sac de nourriture s'est écrasé au sol, et que cette bribe de voix, à peine audible, s'est élevé dans l'espace, pour prononcer ce surnom. Ce surnom qui n'a pas été oublié avec les années, ces quelques lettres que Katsuki a toujours clamé à lui, et seulement à lui, comme une marque d'affection unique, comme un chant d'amour murmuré à son oreille. Et ça l'a chamboulé d'ailleurs, de l'entendre, cette voix qui n'a presque pas changé avec les printemps. Ça a raisonné dans sa poitrine comme au premier jour.
« - Oui...oui je crois qu'il m'a reconnu.
- Tu crois, ou tu en es sûr ?
- D'accord j'en suis sûr, il...il a prononcé le surnom qu'il me donne depuis enfant, et il portait la chevalière que je lui ai offerte l'année de nos dix-huit ans. »
Un léger rire parvient jusqu'à lui, l'obligeant à redresser la tête. Confronté à une Tsuyu un peu amusée, qui ne peut retenir son ricanement face à cette révélation, il fronce légèrement les sourcils. Les bras toujours croisés, les épaules un poil voûtée, il se protège un peu, dans cette situation qui le met, mine de rien, un petit peu mal à l'aise, l'obligeant à sortir de sa zone de confort.
« - Mais qu'est-ce qui te fait rire au juste ?
- Je n'arrive pas à savoir si tu es juste aveugle ou incroyablement naïf...
- Hé, je ne te permets pas ma grande, n'oublie pas que je reste ton patron.
- Tu déteste que je t'appelle patron, Izuku.
- Ouais...tu marques un point, mais explique toi tout de même ? »
Jetant un œil sur la pendule, la jeune femme attrape sa veste et son sac à main, voyant l'heure tourner. Puis, tout en enfilant le manteau, en continuant de sourire, elle s'adresse à son ami, qui persiste à ne pas voir ce qui se situe juste devant ses yeux.
« - Tu mettrais le bijou qu'une personne que tu déteste t'as offert ? En toute honnêteté ?
- Probablement pas, mais Tsuyu...
- Chut ! S'il te plaît, arrête de chercher des obstacles où il n'y en a pas. Je sais que c'est dur, je comprend tes frayeurs. Tu aime cet homme profondément, Katsuki c'est ça ? Et je suis sûre que c'est réciproque. Il porte encore ta chevalière Izuku ! Il la porte, et il a été chamboulé quand il t'a vu !
- Tu crois ?
- Bien sûr que oui ! Crée ton opportunité, cours le récupérer. Ferme ta boutique et va en ville ! Va le voir, va lui dire à quel point tu es encore amoureux de lui. Montre lui que toi aussi tu porte cette bague, et la valeur sentimentale qu'elle a pour toi. La vie t'as juste montré la voie, c'est à toi de construire le reste. »
Souriant face à tant d'investissement de sa part, il ne peut s'empêcher de se mettre à rire également, alors qu'elle accompagne ses arguments de grands gestes, allant jusqu'à presque le mettre à la porte de la boutique, afin qu'il parte à la rencontre de son destin. Il y a si peu de personnes qui se sentent si concernés, et obligés de l'aider, qu'il ne peut que la remercier d'un tel dévouement de sa part, en lui offrant, pour la seconde fois en une soirée, une autre étreinte. Les mots ne suffisent pas toujours pour exprimer notre reconnaissance, et c'est ce qu'il ressent, aujourd'hui, devant tant de gentillesse et de patience, devant tant d'amour à consonance si fraternelle.
« - Merci pour tout Tsuyu.
- Me remercie pas. Bon j'y vais, Tokoyami m'attend pour la célébration. Tu m'appelle quand tu as récupéré ton cher Roméo d'accord ? N'oublie pas, ou je te harcèle jusqu'à ce que tu me réponde !
- Oui c'est promis. Passe le bonjour à ton petit ami de ma part, et passez une bonne soirée. »
Refermant la porte du magasin derrière cette furie qui court vers sa voiture, il esquisse un énième sourire avant de retourner vaquer à ses occupations.
Totalement déterminé à reprendre les évènements de sa vie en main, il s'empresse de ranger son beau capharnaüm, qui est toujours à la même place depuis le début de cette conversation. Il en oublie presque la visite d'Akiko, et s'excuse silencieusement auprès d'elle de devoir lui fausser compagnie, bien qu'il ne doute en aucun cas de sa joie lorsqu'elle apprendra ce qu'il est sur le point de faire.
Coupant ses quelques fleurs fanées, qu'il s'apprête à mettre à sécher, il fredonne une petite mélodie, qui passe sur la radio qu'il met en fond sonore chaque jour. Un air très commercial, que tout le monde entend à toutes les sauces, mais dont il apprécie la douceur, et le fond délicat. D'ailleurs, c'est entraîné par le refrain, qu'il se met à imaginer divers scénario, sur ses retrouvailles avec Katsuki, mais qui soit cette fois-ci bien réelle.
Pas juste au détour d'une rue, partageant un simple regard, et rien de plus.
Cette fois-ci, il le sait, il devra passer outre cette profonde angoisse qui lui tord l'estomac, pour aller lui parler. Alors, rassemblant son courage petit à petit, tout en débarrassant son plan de travail, et remplissant les sceaux qui commencent à manquer d'eau, il réfléchit. Quel mot sera mieux qu'un autre, qu'elle phrase saura être à la hauteur de cet instant qu'il sait pertinemment être totalement unique. Parce que c'est totalement unique, totalement inédit, et, à l'image de ces comédies romantiques qui passent à la télé, il espère une fin des plus heureuses.
Peut-être pas un couple.
Mais au moins retrouver cet ami si cher à sa vie, qui l'accompagnait depuis toujours.
Celui avec qui il prenait tant de plaisir à regarder des films de super-héro autrefois, en se gavant de sucreries en tout genre, après une journée trop difficile à supporter. Celui avec qui il partait à l'aventure sur un coup de tête, de la même manière qu'avec ses parents, partageant une soirée de camping ou une session de randonnée, dans un endroit qui leur mettait à chacun des étoiles dans les yeux. Celui avec qui il passait parfois quelques nuits, quand au détour d'un cauchemars, il venait chercher du réconfort au creux de ces bras.
L'horloge indiquant désormais 19h27, il se prépare mentalement, et avec joie, à venir fermer sa petite boutique, afin de prendre la route. Akiko n'a pas donné signe de vie, et bien qu'il s'en veuille de la laisser de côté, il ne peut pas repousser indéfiniment sa chance.
Concentré sur de la paperasse qui traîne, voulant absolument la boucler avant de partir, il entend d'une seule oreille le tintement si singulier de la clochette, signe de l'entrée d'un nouveau client. Le nez sur sa feuille, Izuku ne se retourne pas, chose qu'il déteste particulièrement, ne se sentant absolument pas commerçant. Il sourit tout de même, malgré sa fatigue, et se dit avec bonheur qu'il s'agit là du dernier, avant la fin.
« - Bienvenue à vous ! Pardonnez-moi, je range ceci et je suis à vous tout de suite, prenez le temps de faire un tour dans la boutique. Nous avons quelques promotions sur les compositions florales qui se situent près des plantes en pots, tout au fond ! Si vous avez une question n'hésitez pas.
- Bonsoir... Deku... »
Soudainement rigide, il laisse tomber le stylo qu'il tenait en main. Le temps semble s'arrêter entre les murs du bâtiment, qui vient d'accueillir un évènement totalement imprévu, le rendant tout bonnement fébrile. Parce que même sans ce surnom, il aurait pu reconnaître cette voix entre mille, tant elle est gravée, là, dans son esprit, dans cette flopée de souvenirs qu'ils partagent ensembles.
Se redressant difficilement, alors que ses yeux commencent à s'humidifier, il se sent légèrement trembler, tandis qu'il amorce un mouvement pour se retourner.
Et, lorsque les émeraudes qui constituent son regard, croise les éclats carmins qui sont juste face à lui, devant cette porte, il fond tout simplement en larmes.
« - Katchan... »
Katsuki est là, devant lui, ce soir.
Cette même blondeur dans les cheveux, ce regards toujours aussi intense que dans sa mémoire, et sa posture, toujours plus impressionnante. Habillé d'un jeans et d'une veste en simili, un peu usée par les années, il a l'air un peu perdu au milieu de toutes ces fleurs, l'air hagard. Comme si lui-même ne savait pas trop ce qu'il faisait là, dans cette boutique dont il ignorait même l'existence quelques heures auparavant.
Mais le voici.
Et Izuku n'en revient pas. Pas réellement assuré sur ses jambes, il tente de faire un pas dans sa direction, tout en s'accrochant au meuble, s'écorchant un peu au passage, à cause de la caisse enregistreuse.
Un peu comme si le temps s'était arrêté, et qu'ils vivaient ainsi un moment unique, un moment de flottement, ils ne sauraient dire combien de minutes ils passent à se regarder l'un et l'autre, comme pour s'assurer que c'est réel, et pas le fruit de leur imagination. Pas une de ces images qu'ils ont tant vu par le passé, quand le manque était tout ce qu'il restait dans leurs entrailles.
« - Deku...j'aimerais...une pluie de fleurs de cerisiers... »
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