Chapitre 4
« - Je vous souhaite une excellente soirée également. »
Refermant la porte en verre derrière sa dernière cliente de la journée, tout en prenant soin de la verrouiller, Izuku souffle toute sa fatigue.
Épuisé par le va et vient qui a eu lieu toute la journée dans son petit magasin, tant il y a eu de monde qui s'est bousculé à l'entrée aujourd'hui, il ne rêve plus que du moment où il pourra retrouver son compagnon de ses longues soirées de célibataire, tout en s'effondrant sur son canapé.
« - J'ai bien cru qu'on en verrait jamais le bout, intervient sa collègue, qui s'accroche au comptoir, en baillant à s'en décrocher la mâchoire.
- Et moi donc, mais ça me fait tellement plaisir de voir que les gens sont contents de nos compositions, dit-il avec un immense sourire vissé au visage.
- C'est vrai, tu as raison. Et sinon, tu vas faire quoi ce soir ?
- Comment ça ? Questionne-t-il, les sourcils froncés.
- Tu vas rentrer dans ton appartement et rien faire du tout ? Viens au moins boire un verre à la maison !
- C'est gentil Tsuyu, mais je dois nettoyer la boutique et je suis vraiment épuisé.
- Alors rentre, je me charge du ménage pour ce soir.
- Mais...
- Pas de discussion. Je travaille ici depuis presque quatre ans, je sais comment faire. Allez rentre te reposer et retrouver ta boule de poil ! »
Joignant le geste à la parole, elle attrape la veste de son ami dans son dos, et lui envoie d'un mouvement, en l'intimant de rejoindre la porte. Se débattant un peu, parce qu'il n'aime pas laisser les choses en plans, bien qu'il fasse pleinement confiance à sa collègue, il fini tout de même par prendre le chemin de son appartement, non sans avoir râlé un peu dans sa barbe.
Mais n'ayant visiblement pas le choix, il avance pas à pas, dehors, tout en profitant tout de même de la douceur du soir. Le vent, à peine frais, lui fait rajuster le col de son manteau, tandis qu'il lève le nez en direction du ciel, en comptabilisant les étoiles qui apparaissent une à une.
C'est un jeu qui l'a toujours amusé, enfant, lorsqu'il passait du temps avec ses parents dans des soirées semblables à celle-ci. Il s'en souvient comme si c'était hier, leurs subites envies d'aventures communes, les menaient à prendre, sur un coup de tête, un plat à emporter dans un nouveau restaurant à tester. Puis, avant que le soleil ne se couche, ils prenaient la route pour trouver un endroit où la vue valait le coup d'œil, pour observer le crépuscule, et l'apparition de la robe étoilée du ciel. Ils savouraient tous les trois la nourriture devant ce spectacle à couper le souffle, parfois bien décidés à camper sur place tellement ils se sentaient bien là. Et puis, Izuku et son père partageaient de longue conversation, tout en essayant d'apprendre à sa mère la disposition des constellations, jusqu'aux premières heures du matin.
La vague de souvenirs lui arrache un sourire, tandis que ses pensées divaguent vers ses parents, qui doivent avoir selon lui une place dans ce ciel, quelque part aux côtés de ces astres sublimes. Priant pour qu'ils soient tous les deux encore heureux et amoureux, même dans le repos éternel, et fier du chemin qu'il parcourt ici, seul, il envoie un baiser dans leur direction. Essuyant les larmes qui menacent de couler violemment sur ses joues, il se ressaisit, et se décide subitement à changer de programme.
Demandant mentalement pardon à Fubuki, qui devra rester seul encore quelques heures, il part à la recherche d'un quelconque restaurant, afin de reproduire le schéma de ces nuits si chères à son cœur. Ressortant un quart d'heure après d'une enseigne dont il ne connaissait que le nom, avec un sac plastique pendant à son bras, il se dirige à présent vers le seul endroit qui lui paraît indiqué pour le genre de soirée qu'il recherche.
Sur une petit colline surplombant un immense lac, qui attire les touristes durant les hautes périodes d'affluences, il s'assied à même le plateau d'une table de pic-nique, tout en profitant de la vue dégagée qui s'offre à lui, sur un panorama à couper le souffle. Subjugué par les rayons de lune qui se reflètent dans l'eau pure en contrebas, il observe également la flore environnante, emplie de plantes en tout genre, qui viennent ravir son esprit botaniste, qui ne dort jamais réellement.
« - J'aurais aimé te montrer tout ça, Katchan...
- Katchan ? »
La voix qui s'élève subitement à ses côtés, lui fait lâcher un cri de peur, tandis qu'il s'écroule lamentablement sur le sol, après avoir sursauté. Plaçant sa main au niveau de son thorax, comme pour s'assurer que son muscle cardiaque ne s'est pas arrêté, et qu'il reprend un rythme tout à fait normal, il lève le regard vers la personne qui s'est adressée à lui.
Une expression toute penaude sur le visage, un air totalement désolé qui déforme ses traits, la jeune femme se penche vers lui en tendant son bras, pour lui offrir un appui lui permettant de se relever.
« - Je suis désolée, je n'avais aucunement l'intention de te faire peur.
- Y a pas de mal... »
Il grogne pour la forme, bien que ça ne fasse pas réellement partit de son caractère, tout en regardant, sans grande discrétion, le physique de cette inconnue, qui l'intrigue quelque peu. Frottant le tissu de ses vêtements, pour en enlever la poussière, il se redresse complètement, tout en s'adressant à elle.
« - Est-ce qu'on se connaît ?
- Absolument pas »
Elle prend place sur la table, là où il s'était assis précédemment, et lui offre un grand sourire, d'une blancheur éclatante. Un peu perdu, il suit le mouvement, cherchant à comprendre ce qu'une femme sortie de nulle part pourrait bien lui vouloir.
Et, comme lisant dans ses pensées, elle ouvre le dialogue, donnant tout de même un discours emplit de mystères, qui ne cesse de l'interpeller.
« - Disons que toi tu ne me connais pas, ce serait plus exact comme réponse.
- Donc...
- Je sais qui tu es, oui.
- C'est effrayant. »
Sortant d'un naturel déconcertant, cette constatation lui apparaît comme une évidence. Il n'arrive définitivement pas à comprendre ce qui se déroule ce soir, à cet instant précis, et commence également à se demander si la jeune femme n'aurait pas prit quelques substances illicites, pour tenir un discours si incohérent. Essayant de contrôler sa peur, il empêche ses idées de partir dans tous les sens, sous peine de commencer à croire que ce petit bout de femme, qui ressemble étrangement à un ange soit dit en passant, est sur le point de probablement l'assassiner.
« - Je ne te veux aucun mal.
- Tu lis dans mes pensées ?
- Du tout, mais je ne suis pas idiote tu sais. Une personne qui débarque de nulle part, et qui dit te connaître, ça peut porter à confusion, et amener à des conclusions plutôt extrêmes.
- Je vois... Donc, je suis censé te croire sur parole ?
- Disons que tu es libre d'en penser ce que tu veux. J'aurais au moins tenté de défendre ma position. »
Les yeux ronds comme des billes, à mille lieux de réussir à trouver le point de départ du fil de la compréhension, dans cette pelote d'idées saugrenues, Izuku hésite entre partir loin d'ici, quitte à lui laisser son repas en cadeau, ou bien tenter d'approfondir cette conversation. Parce que si il doit être totalement honnête avec lui-même, cet échange le fascine un peu, et quelque chose l'incite à creuser pour en saisir pleinement le sens.
« - Pourquoi est-ce que tu es ici, seul ?
- J'avais juste besoin de prendre un peu de temps pour moi, je crois.
- Une peine de cœur ?
- C'est plus compliqué que ça. »
Pourquoi ?
Comment réussit-elle ce tour de force, de le faire parler et s'ouvrir sans une quelconque difficulté. Il sent sa capacité de résistance, face à cette conversation, qui s'amenuise petit à petit, comme s'il n'avait d'autre choix, que d'arriver au stade où il devrait parler et crever l'abcès gigantesque qui pompe son muscle cardiaque depuis des années.
« - Tu as perdu quelqu'un de cher à ton cœur, n'est-ce pas ?
- Est-ce à ce point écrit sur mon visage ?
- Pas sur ton visage non, mais c'est ce que dégage ta mélancolie. Tu porte le parfum de cette tristesse si profonde, que cause la perte d'un être que l'on aime plus que tout. »
C'est terriblement douloureux.
Comme une épine qui ne cesse d'appuyer sur un point, en continue, et qui vous brise petit à petit. À l'image d'un poignard qui se serait invité à l'intérieur de son corps, pour le blesser à chaque pulsation cardiaque. La plaie qui s'ouvre à chaque mouvement, tout en frottant la lame, menaçant d'exploser d'un jour à l'autre, pour ne laisser qu'une marre de sang et de désespoir.
« - Il s'agit de celui dont tu parlais tout à l'heure ? Katchan c'est ça ? »
Et puis ça brûle.
Comme si il était plongé dans une baignoire remplit de lave en fusion, qui venait brûler chaque parcelle de sa peau, à mesure qu'il entre dedans. Son épiderme fond, ses organes ne résistent pas à cette chaleur intense, et la mort vient doucement l'emporter.
C'est un mélange de tout ça, au fond.
Quand les larmes s'invitent chaque soir sur ses joues, tellement qu'elles ont creusées des sillons le long de ses pommettes. Quand sa voix reste planquée là-bas, quelque part, au fond de son être, enfermée dans une de ses caves, alors qu'il voudrait être capable de hurler. Hurler ce manque, hurler cet amour, hurler cette vie qui ne ressemble qu'à l'enfer finalement.
« - J'envie tous les gens qui viennent chercher des fleurs dans ma boutique tu sais. Ils viennent le plus souvent pour un proche, quelqu'un à aimer. Pour le réconforter, pour prouver leur affection, ou simplement par envie de faire plaisir. C'est tellement beau à voir, tellement beau à imaginer. Et puis, ces jours-ci, ce sont ceux qui préparent leurs offrandes à la déesse Tenshi. Ils viennent avec le sourire aux lèvres, demandant les plus belles compositions florales, parce qu'ils veulent son aval, ils veulent sa bénédiction pour cet amour qu'ils ont trouvé, ou qu'ils veulent conserver. Ils ont quelque chose pour lequel se battre, pour lequel espérer.
- Et tu n'espère plus ?
- Comment est-ce que je pourrais ? Si nous en sommes là, c'est par ma faute... »
La culpabilité.
Cette traîtresse qui grandit à l'intérieur, quelque part, perdue entre notre esprit, et nos sentiments. À l'image d'un petit animal apeuré qui peine à prendre en taille, qui peine à survivre. Et puis, à force de ressentis, à force de tristesse, à force de ressasser le passé et de potentielles erreurs, elle se met à grandir. Devenant gigantesque, écrasant tout sur son passage, pour n'être qu'un titan aux allures démoniaques qui se délecte de ce qu'elle provoque. Emmenant avec elle la douceur, la gentillesse, et le bonheur, elle n'est plus qu'un monstre sanguinaire, que personne n'arrive jamais réellement à arrêter.
« - Sèche tes larmes Izuku.
- Alors tu connais vraiment mon prénom ? C'était pas une blague...
- Non, ce n'en était pas une.
- Dis-moi le tiens.
- Dis-moi pourquoi tu pense que la faute te revient dans cette histoire alors.
- C'est du chantage ?
- Un simple marché disons. »
Son ton détaché, accompagné d'un haussement d'épaule, parvient sans qu'il ne se sache comment, à lui arracher un petit sourire, véritable oasis dans cette ambiance quelque peu pesante. Puis, posant le regard sur sa main légèrement déformée par ses profondes cicatrices, il s'arme de tout le courage nécessaire pour venir chercher le livre contenant cette histoire, qui dormait jusqu'à présent sous le lit. Soufflant dessus pour en dégager la poussière, il l'ouvre sur les dernières pages, passant outre les passages heureux de leur histoire, qu'il n'est pas capable de revoir dans l'instante.
« - Katchan m'a embrassé, un jour où il pleuvait des fleurs de cerisiers. Ce sont mes fleurs préférées depuis. Et nous nous sommes fait la promesse de vivre la plus belle histoire d'amour qui soit, une fois nos cursus terminés. Quelques mois après, pour ses études, il a été forcé de s'éloigner et de partir à l'étranger. C'était une superbe opportunité pour lui, alors je l'ai encouragé. Je l'ai accompagné à l'aéroport, et nous nous sommes embrassés, une seconde fois, en se promettant encore une fois que tout ça mènerait à une sublime histoire, à son retour. »
Il sent encore la caresse délicate de ses lèvres sur les siennes. Il peut encore percevoir, en se concentrant, le goût que Katsuki a laissé, lorsqu'il a pressé sa bouche contre la sienne, pour en découvrir les moindres grains de peau. Et il semble à Izuku, que jamais plus aucun baiser n'aura la même saveur que ceux qu'ils ont partagés. Parce qu'il n'étais pas juste question de s'embrasser. Il y avait là tout l'amour qu'ils s'offraient l'un à l'autre, et cette passion dévorante qui embrasait leur âme, dès que leurs regards se croisaient.
« - Et puis... j'ai eu un accident. »
L'enchevêtrement de sentiments qui s'est bousculé en lui ce jour-là, c'est encore si frais dans sa mémoire. L'agonie de ses parents, qui ont à peine eu le temps d'adresser quelques mots d'adieux à leur fils, qui croulait sous le poids du chagrin, face à ce spectacle des plus atroce. Le sang, qui s'incrustait dans les fibres des sièges, pour ne devenir que des tâches indélébiles. La nuit qui lui donnait froid, presque tout autant que cette sensation d'abandon qui prenait place en lui. Les gyrophares qui agressaient sa rétine, en se rapprochant un peu plus de cette voiture totalement détruite. La douleur lancinante qui le prenait au bras, complètement sanguinolent, pris dans la tôle du véhicule. Et ces voix, toutes inconnues, qui s'évertuaient à lui demander comment il se sentait.
« - J'ai perdu mes parents ce jour-là. J'ai perdu ma seule famille, en fait...
- Tu n'avais personne d'autre ? »
Un hochement de tête négatif, et un sanglot bruyant, pour seule et uniquement réponse. Parce que c'est terriblement difficile, de parler de tout ça.
« - Mon bras... Il était terriblement amoché. J'ai eu tellement de chance de réussir à le conserver à peu près intact. Et j'ai eu d'autres blessures. D'autres problèmes. Et je me suis retrouvé coupé du monde.
- Tu n'as pas demandé à voir Katchan ?
- Non... Je n'ai même pas prononcé son prénom... je ne voulais pas qu'il me voit dans cet état, et je n'étais pas maître de moi-même. Je passais des jours entiers à fixer le mur, sans réussir à ouvrir la bouche, pour dire quoi que ce soit...
- Alors il n'a...
- Il n'a jamais su. »
La colère.
Encore et toujours.
Qui gronde éternellement quelque part, pour rejaillir d'un instant à l'autre, parce qu'après tout, elle ne sait faire que ça.
« - Je ne suis que l'enfoiré qui a disparu de sa vie du jour au lendemain, après lui avoir promis que nous aurions la plus belle des histoires ensembles, à son retour. Je ne suis que l'être immonde, qui a brisé son cœur de manière égoïste, juste parce que j'étais trop stupide pour réfléchir aux conséquences de mes actes. J'avais peur de voir la tristesse dans ses yeux, ou même de la déception, de lire dans son regard les échos de ma pathétique vie solitaire. Alors non. Il n'a jamais su que j'avais eu un accident, ni même que mes parents sont morts. Il ne sait même pas si je suis encore en vie.
- Pourquoi ne pas avoir tenté de renouer, après être sortit de l'hôpital ? »
Si difficile à expliquer.
Si difficile à concevoir aussi.
Parce qu'après plusieurs mois de soins intenses, et d'exercices en tout genre, lorsqu'il est retourné à la capitale, avec l'espoir le plus infime qui soit, de retrouver Katchan, il n'a pas pu se résigner à aller jusqu'au bout. Lorsqu'il est tombé sur lui, à la terrasse d'un café, en train de savourer un instant avec une connaissance à lui, avec qui il partageait un rire ou deux, sous le soleil printanier, il a su.
Sa poitrine s'est serrée, bien trop brusquement, comme si un énième éclat de lui partait bien loin d'ici, pour ne laisser qu'un trou béant, qui ne serait jamais plus emplit.
Le temps était passé, sa chance aussi. Et Katsuki avait continué sa route.
Sans lui.
« - C'était trop tard. »
Interpellé par un léger contact sur sa main, il se retourne vers son interlocutrice qui lui offre cette caresse qui se veut affectueuse, cherchant visiblement ses mots, face à de telles révélations.
« - Je crois que tu as tords, quand tu prétend n'avoir aucun amour pour lequel te battre, ni même espérer Izuku.
- Quoi ?
- Je dis juste que l'espoir peut nous mener n'importe où, si l'on prend ne serait-ce que la peine d'y accorder un peu d'attention. Et à mon humble avis, tu devrais donner à cet espoir la place qu'il mérite. »
Terminant sa phrase tout en se levant, elle lui accorde un regard des plus compatissant, et vient essuyer les traces de ses larmes qui persistent à noyer ses joues, encore.
« - Ne perds pas espoir, surtout. »
S'éloignant sans ajouter quoi que ce soit d'autre, tout en tournant le dos au jeune homme qui continue d'être perplexe face à cette discussion des plus incongrues, elle n'ajoute rien d'autre.
Puis prit d'une soudaine frénésie, Midoriya se redresse également, en haussant la voix afin de se faire entendre, de celle qui vient de lui apporter son aide, sans rien demander en retour.
« - Attends ! Tu ne m'as pas dit comment tu t'appelais ! »
Il est essoufflé, et espère du plus profond de son cœur qu'elle l'a entendu, parce qu'il a besoin de savoir. Besoin de connaître le nom de cet ange gardien sortit de nul part.
Toute souriante, la jeune femme à la chevelure blanche se retourne en lui adressant un signe de la main, alors qu'elle est déjà éloignée de plusieurs dizaines de mètres. Hurlant à plein poumons, un léger rire accompagnant sa voix, elle lui répond.
« - Je m'appelle Akiko, enchantée d'avoir fait ta connaissance Izuku !
- Je suis enchanté moi aussi ! »
Puis, murmurant pour lui-même, il fixe quelques pétales de roses qui suivent le sens du vent, sans pour autant comprendre d'où elles viennent.
« - Je garderais espoir, pour Katchan... »
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