2
La sonnerie stridente résonna dans mes oreilles, m'arrachant des doux bras de Morphée pour me ramener à ma dure vie. Je levai ma main et l'abattis à l'aveugle sur l'objet qui produisait ces retours brutaux à la réalité tous les matins. Je soupirai mais me redressai malgré mon envie de dormir pour l'éternité. J'attrapai mon téléphone et regardai la date, je ne comptais même plus les jours qui passaient. Lundi. Super... Encore une semaine était passée et encore d'autres semaines de cet enfer passeraient.
Après de longues minutes à regarder le plafond s'écailler je me levai pour me diriger vers la salle de bain. Je m'appuyai sur le lavabo, la fatigue ne m'aidait pas à rester debout. Je levai la tête vers le miroir pour contempler cet homme à l'allure peu soignée. Je poussai un long soupire et passai une main dans ma barbe mal rasée. Je fis couler l'eau avant de me rincer le visage. Froid. Voici la première pensée lucide que j'eus en cette matinée qui ressemblait aux autres.
Je sortis de la salle de bain et allai vers ma vieille armoire en bois se trouvant dans ma chambre. J'ouvris la porte en un grincement qui fit souffrir mes oreilles pour la deuxième fois en ce début de journée. Je regardai mes chemises toutes plus colorées les unes que les autres. J'en choisi une rapidement sans trop me soucier de mon apparence, l'important : être coloré. Ma vie était bien assez sombre comme ça alors peut-être qu'en m'habillant avec les couleurs de l'arc-en-ciel ça rajouterait de la joie. On me reprochait souvent d'avoir des idées enfantines mais n'ayant pas pu profiter de mon enfance j'essayais de me rattraper.
Je sortis enfin de la pièce, étant prêt, pour déboucher sur mon petit salon dans le même état qu'il l'était la veille. Des toiles traînaient un peu partout. Je dû enjamber quelques pots de peinture et toutes sortes de matériaux de dessin et de peinture pour arriver à ma cuisine dont rien ne délimitait sa frontière avec la pièce en désordre que je venais miraculeusement de traverser.
Je fouillai le placard avec l'espoir de trouver n'importe quoi de mangeable et dont la date de péremption n'était pas dépassée de beaucoup. Je trouvai un paquet de céréales déjà entamé. La date indiquée sur le haut de la boîte m'avertissait que ces trucs devaient être périmés depuis le mois dernier. J'haussais les épaules et enfoui ma main dans le paquet pour en sortir une poignée de céréales dont la destination, sans détour, était ma bouche. Je tournai la tête vers le désordre de mon appartement et mon regard dérivait sur mes peintures éparpillées un peu partout. Je baissai la tête, personne ne voulait admirer mon art. Mes parents avaient peut-être raison, je n'étais qu'un bon à rien. Je pris alors la décision de sortir prendre l'air, je pourrais me prendre un café quelque part. Il fallait me vider l'esprit, évacuer les problèmes. Je savais bien que si, mon art et moi, nous faisions rejeter encore et encore, je ne pourrais plus gagner ma vie. Auparavant vendre mes œuvres était mon seul moyen de gagner de l'argent bien que ça n'avait jamais beaucoup marché mais ces derniers jours j'étais au plus bas. Comme si l'univers entier s'était mis d'accord pour me fermer ses portes.
Je me dirigeai vers l'entrée et agrippai le manteau accrocher non-loin avant de l'enfiler. Je descendis les escaliers de l'immeuble après avoir fermé la porte à double tour, bien qu'il n'y ait pas grand-chose à voler dans ce trou où je logeais.
Je vivais au troisième étage d'un immeuble qui tombait en miettes et dont l'insonorisation était à revoir. Les murs étaient délavés et fissurés mais tant qu'ils tenaient debout...
Comme chaque matin, je décidai de passer par la rue saint-rohand, une rue composée de pavés vieillis par le temps et par les nombreux passages, pour me rendre à mon café habituel. Il ne se situait pas loin de chez moi mais ce n'était pas la seule rue que je devais emprunter. Je connaissais le chemin par cœur : droite sur rue saint-rohand, prendre la troisième ruelle sur la droite avant de prendre la deuxième ruelle sur la gauche, pour finir il suffisait de traverser la grande avenue et on y était. Mais pour l'instant je me contentais de placer un pied devant l'autre en tâchant de ne bousculer personne.
Il devait être sept heure et demie, peut-être plus, j'aurais bien vérifié sur ma montre mais elle s'était arrêtée de tourner il y a un moment et je la gardais sur moi plus pour une raison sentimentale que fonctionnelle. En réalité, je n'avais plus voulu la refaire marcher depuis qu'elle s'était stoppée, en même temps que mon cœur, ce jour-là. Je secouai la tête pour chasser ces souvenirs. Ils avaient contaminé mes toiles, cette période sombre se retranscrivait sur mes peintures et j'avais horreur de ça. Mais étrangement ça se vendait mieux et heureusement, je n'avais pas à les garder longtemps pour le bonheur de ma mémoire qui a pu enfouir une partie de...ça.
J'arrivai vers le bout de la rue, il y avait du monde malgré l'heure plutôt matinale.
Et c'est là que je la vis, à travers la petite foule. Elle regardait les gens passer sans que personne ne lui porte de l'importance. Alors que toutes les personnes environnantes regardaient droit devant eux, je semblais être le seul à la détailler.
Elle était assise sur son lit, regardant par sa fenêtre, ses yeux sondaient la rue. Quelques mèches brunes en batailles lui tombaient devant les yeux, contrastant avec sa peau pâle. Ce que je devinais être sa chambre était au rez-de-chaussée d'un immeuble qui me paraissait en meilleur état que le mien. Quand elle porta son regard fatigué sur moi, mon souffle se coupa. Ses yeux sombres rencontrèrent les miens et ça me figea. Je m'étais arrêter au milieu des passants, comme paralysé. Son visage était creusé et ses yeux soulignés par des cernes. Elle lui ressemblait tellement... oui en l'observant je reconnu ma petite sœur dans ses traits. Sans que je m'en rende compte une larme rebelle coula sur ma joue et ma main tritura nerveusement ma montre. Je savais que ce n'était pas elle car la fille se trouvant en face de moi était manifestement bel et bien vivante. Quand je commençai à reprendre le contrôle de mes membres, la seule chose que je réussis à faire fut de lui adresser un sourire triste. À ce geste son regard sembla s'illuminer et, en réponse, elle m'offrit un sourire éclatant. Je restai là un moment, l'observant. Je n'arrivais pas à reprendre mon chemin. Quand je réussi enfin à bouger mes jambes je me jurai de retourner la voir.
Je continuai donc mon chemin et arrivai à ma destination. Je poussai la porte du café et un bruit de clochette m'accueillit. Une voix familière ne tarda pas à retentir :
- Oh, c'est toi. Je me demandais si tu viendrais. Je suis contente que ce soit le cas.
- Tu sais bien que je viens tous les jours, ce n'est plus une surprise. Affirmai-je en souriant.
Elle me rendit simplement mon sourire avant de me demander si je désirais la même chose que d'habitude, ce à quoi je répondis par l'affirmative. Elle m'apporta ma commande et repartit servir les autres clients. C'était un endroit chaleureux et le personnel était adorable. Malgré le fait que j'étais le seul à être seul à ma table, je ne me sentais pas de trop.
Les jours qui suivirent je continuai à aller au café comme je le faisais d'habitude, mais c'était aussi une excuse pour passer devant sa fenêtre. Ses lèvres se fondait toujours en un sourire en m'apercevant et ça me réchauffait le cœur. D'ailleurs si cette vitre ne nous séparait pas je serais sûrement en train de la serrer dans mes bras. Elle était exactement comme elle, elle aussi était la seule à sourire à mon passage. Ça changeait des regards méprisants. Croiser le regard de cette petite, ce jour-là, était comme une occasion de la revoir. Je la percevais en elle, en quelques sortes.
Un jour, je me trouvais chez moi, seul. Il était midi et je fixais mon assiette sans envie. La solitude me coupait la faim, bien que je dusse avoir l'habitude. C'était là où j'eus l'idée. Je me fis un sandwich, délaissant mon assiette remplie, et allai me poster devant la fenêtre, sur un muret. Elle était là, comme toujours, et un mélange de surprise et de joie se traduisait sur son visage paraissant bien trop vieux pour son jeune âge. Elle ne s'attendait pas à me voir. Je lui tendis fièrement le sandwich comme pour lui faire comprendre que je venais partager mon repas. Puis, je pris une grande bouchée, avalant presque la moitié en un coup. Elle sourit et tourna la tête, semblant chercher autour d'elle. Elle attrapa quelque chose et me le montra. C'était un plateau plein de nourriture. Comme les autres plateaux que j'avais aperçu, jamais entamé. Je supposais qu'elle refusait de manger. Son geste me toucha d'autant plus. Elle se mit à manger avec moi, un pauvre passant, un étranger à qui elle n'a jamais pu adresser un mot.
Je n'allais plus au café, je mangeais directement avec elle. Les gens me prenaient pour un fou à rester vers cette fenêtre à longueur de journée, mais elle m'inspirait. J'avais découvert un autre visage de la peinture depuis que je l'avais rencontrée. Il y avait quelque chose de différent et j'avais retrouvé le plaisir et la passion que j'avais autrefois. Parfois, je lui montrais quelques-unes de mes œuvres et elle les contemplait longuement, les yeux brillants, le sourire aux lèvres.
Un jour je me levai avec l'envie incontrôlable de la voir, la veille j'avais fait un petit dessin et j'avais hâte de le lui montrer. J'enfilai mon manteau et sortis sans rien avaler. Je courrai dans les rues, la brise matinale m'envahissait les poumons et rougissait mon nez. Je n'avais pas pensé à prendre mon écharpe, trop pressé. Quelques odeurs de café arpentaient les allées, signe que la ville commençait tout juste à sortir de sa torpeur. Le seul bruit parvenant à mes oreilles était celui mes pas résonnant sur les pavés durs.
J'arrivai enfin devant sa fenêtre, mais je n'avais pas encore pris le temps de la regarder, trop occupé à fixer mes pieds tout en reprenant mon souffle. Ayant retrouvé une respiration normale, je levai mes yeux et un spectacle horrifique m'accueillit. Mon sourire se fana.
Elle n'était plus là. Son lit était fait, sa chambre impeccable. Les machines qui la maintenaient en vie étaient débranchées, pour la plupart, et plus de la moitié débarrassée. Ça avait dû arriver la veille dans l'après-midi, pendant que moi je dessinais tranquillement sur la feuille que je froissais à présent dans mes mains. Je regardai autour pour être sûr, mais aucun camion de déménagement n'était garé sur le trottoir. Elle était bel et bien partie. Je penchai ma tête en arrière et fixai le ciel brumeux. Elle était allée rejoindre ma sœur.
Je serrai les dents ainsi que mes points. Une larme coula du coin de mon œil et, ne pouvant les retenir, de nombreuses autres suivirent, se transformant en flot déferlant sur mes joues. Je m'effondrai à genoux, je ne pensais pas que ça ferait si mal. Je n'entendais plus les bruits environnants, bien que la rue fût calme. Autour de moi, aucun témoin de ma douleur. Je ne sentais plus la morsure du froid, j'étais devenu complètement insensible à mon environnement. À l'intérieur je souffrais, c'est comme si j'avais perdu ma sœur une deuxième fois. Mon corps, replié en deux, était secoué par des sanglots. Je frappai le sol de mes points, une vague de rage me traversant sûrement causée par les regrets.
Quand je m'arrêtai mes mains étaient ensanglantées et mes joues humides. Je me redressai difficilement et me frottai le visage avec mes manches. Je retournai chez moi, vidé. Je n'avais plus la force de bouger alors je m'allongeai simplement sur mon lit, les yeux dans le vide. Je n'avais même pas lavé mes mains mais le sang était sec. Mon regard était comme éteint, sans émotion.
J'avais passé vingt-quatre heures ainsi, peut-être plus. Mais en me levant j'avais eu une idée. Je pris de la peinture et des pinceaux, et je me rendis devant l'éternelle fenêtre.
J'inspirai longuement et fermai les yeux pour me visionner son doux visage. Un petit sourire triste se dessina sur mes lèvres. Je pris mon pinceau que j'avais posé au sol avec le reste du matériel. Je mélangeai quelques couleurs pour avoir les bonnes teintes et me mis à peindre.
Je peignais son portrait, j'essayais de le faire le plus réaliste possible. Je voulais susciter les interrogations, les gens qui l'avaient autrefois ignorée se demanderaient qui était-elle. Tous ces ignorants la verraient enfin, même si ce serait trop tard.
Pendant que je me concentrais sur mon travail, des larmes dévalaient lentement mes joues.
La rue commençait à se remplir et quelques personnes s'arrêtaient, se demandant ce que je faisais. Je les ignorais, rien ne pouvait me déconcentrer.
Quand je finis, le soleil était couché depuis un moment mais les ruelles étaient suffisamment éclairées le soir pour que je puisse analyser mon œuvre.
On aurait dit qu'elle était là, que ses beaux yeux bruns vous regardaient, qu'elle vous souriait.
Je rangeai mes affaires, lui lança un dernier regard et partis. Je revins chaque jour, lui offrir des fleurs, déposer des dessins ou simplement par habitude. Je ne voulais croiser personne, surtout pas sa famille, alors je venais très tôt le matin.
Je faisais de même pour ma sœur, à qui j'avais arrêté de rendre visite, pensant que ça m'aiderait à passer à autre chose. Je n'allais plus au café, j'avais une nouvelle routine.
Je pris tous ces changements pour un nouveau départ, il fallait aller de l'avant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top