Chapitre 1 ‐ Agathe

Agathe arriva devant le pont familier.

Son regard fut attiré par une silhouette sur le rebord du pont.

Cette personne n'allait pas sauter... hein... ?

Elle fit quelques pas en direction de la silouette sans la quitter des yeux.

Elle sentait une boule dans sa gorge.

Sa respiration s'accélera.

Elle n'avait jamais su réconforter les gens. Elle ne voulait pas que la vie de cette personne repose sur ses paroles maladroites.

Ça n'allait pas marcher.

La dernière fois ça n'avait pas marché.

Mathieu.

La pensée du nom eu pour effet d'empirer son état.

Non.

Elle penserait à Mathieu plus tard.

Là, elle devait se concentrer pour aider la silhouette assise au bord du pont.

Elle prit une grande respiration, plaqua un doux sourire sur ses lèvres maquillées, et franchit la distance qui la séparait de la silhouette.

— Comment tu t'appelles ?

Malgré ses efforts, elle ne put retenir le léger tremblement dans sa voix.

La silhouette, qui s'avérait être un adolescent avec une peau mate et de grands yeux bruns sombres, sursauta légèrement en entendant la question, et se tourna vers Agathe, manquant au passage de perdre l'équilibre.

— Gabriel. Et vous ?

Le vouvoiement avait une sonorité douce-amère aux oreilles de Agathe. Ça faisait longtemps, très longtemps que personne ne l'avait vouvoyée, à part la caissière du supermarché du quartier.

Cette marque de respect, aussi futile soit-elle, eu pour effet de placer Gabriel parmi les gens qu'elle appréciait le plus.

Elle lui répondit donc chaleureusement :

— Agathe. Qu'est-ce que tu fais ici ?

Gabriel détourna la tête, un peu mal à l'aise.

— Je... rien de spécial. Je regardais mon téléphone.

— En équilibre sur le rebord d'un pont ?

Agathe frémit au sarcasme dans sa propre voix.

Elle n'avait pas discuté avec quelqu'un aussi longtemps depuis plusieurs mois.

Et elle ne savait absolument pas quoi dire.

— C'est... une jolie vue, tenta Gabriel, sans grand succès.

En effet, Agathe connaissait bien cette vue. Elle l'admirait tous les soirs.

Les quelques étoiles visibles malgré les nuages se reflétaient sur l'eau du fleuve et les arbres sur les trottoirs, prisonniers du béton, laissaient s'envoler des feuilles aux couleurs chaudes au moindre coup de vent.

Le charme de novembre.

Elle ne répondit pas, se contentant de regarder lâchement la vue nocturne.

Gabriel avoua soudainement :

— En réalité... j'allais sauter.

La phrase fit l'effet d'un électrochoc à Agathe.

Gabriel l'avait dit.

Si seulement Mathieu en avait fait de même...

Non.

Elle ne devait pas penser à ça.

Elle répondit, conservant son doux sourire qui lui allait si bien, même s'il tremblait autant que sa voix :

— Pourquoi tu veux faire ça ?... Est-ce que je peux faire quelque chose pour aider ?

— L'amour.

Gabriel haussa les épaules, comme si ce simple mot était la réponse à tout.

Merde...

C’était aussi "l'amour" qui avait tué Mathieu.

Enfin, plutôt la fin d'un amour.

Mathieu n'avait pas supporté leur séparation, et...

Agathe se força à stopper ses pensées, luttant contre la vague de culpabilité.

Elle respira profondément et, une seconde plus tard, son visage était à nouveau illuminé d'un sourire doux parfait.

— Elle t'a rejeté ?

— Il, corrigea Gabriel, un peu embarrassé.

Agathe ne réagit pas, se disant qu'elle allait simplement empirer la situation.

C’était la seule chose qu'elle savait faire, dans ces situations.

Au bout d'un long silence, elle se décida tout de même à parler :

— Tu devrais pas te foutre en l'air juste à cause de lui.

Merde !

La phrase sonnait bien dans sa tête ! Pourquoi semblait-elle si stupide et moralisatrice désormais ?

Elle tenta de se corriger, de sa voix la plus douce :

— Enfin je veux dire... tu as quoi ? 15-16 ans ? Tu ne peux pas sauter d'un pont à cause d'une personne. Des tas de gens nous font du mal, dans la vie. On ne peut pas vouloir se suicider à chaque fois.

— C'est nul la vie.

Le ton de Gabriel était celui de la constatation. Il disait ça comme un fait, mais son regard n'était pas tout fait sûr de lui. Un peu hésitant.

Agathe comprit que, au fond de lui, il ne souhaitait pas réellement mourir. Elle tenta une nouvelle fois de le faire changer d'avis.

— La mort c'est encore pire.

Le garçon leva la tête, ses grands yeux intrigués.

Non, décidément, il était bien trop jeune pour mourir.

— Pour ceux qui restent, expliqua Agathe d'une voix douce. Imagine comment il se sentira en se disant que c'est de sa faute si tu as sauté de ce pont.

Un instant, Gabriel sembla excité à cette idée. Comme si l'idée que celui qui l'avait rejeté culpabilise était attirante.

Pourtant, il murmura après une légère hésitation :

— Oui. Je comprends. Je... je vais pas mourir.

Agathe ressentit un profond soulagement à cette phrase.

Heureusement que Gabriel n'était pas trop déterminé à mourir.

Sinon, se connaissant, elle savait qu'elle n'aurait sûrement qu'empiré les choses.

La tension sur ses épaules se relâcha, et la boule dans sa gorge disparut.

Elle lui tendit la main, son sourire doux toujours fixé sur ses lèvres.

— Allez, viens. La vue est aussi belle d'en bas.

Une certaine euphorie l'envahit alors que Gabriel la suivait, descendant du pont, s'éloignant de la mort à chaque pas.

Elle n'avait pas pu empêcher la mort de Mathieu, mais elle avait sauvé Gabriel.

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