Chapitre 10 : Le bar du Paradis

Munie d'un pantalon de toile beige et d'une petite veste en jean, Anna arpentait à nouveau les rue de la ville portuaire. Elle n'avait croisé personne à la réception et ne put s'empêcher de se questionner : Evelyne tenait-elle seule ce petit hôtel ? A son âge, ce devait être un véritable défi !

Bien vite, elle se retrouva près du port et se félicita d'avoir repéré le chemin jusqu'à la marina pendant la journée quand elle vit qu'elle y était déjà arrivée. Malheureusement, il n'y avait toujours pas âme qui vive sur le bateau. Pour patienter, elle s'installa donc à la terrasse d'un bar et commanda un jus de fruits. Ce lieu atypique semblait être un repaire de marins et l'ambiance était plutôt bon enfant. Elle percevait les rires des hommes et des femmes accoudés au bar ou attablés à l'intéreiur depuis la petite terrasse légèrement surélevée par rapport à la rue. De là, elle avait une vue imprenable sur le port et pouvait apercevoir la Gasparine. Si son propriétaire se pointait, elle ne pourrait pas le manquer !

- Tiens donc !, s'exclama une voix grave derrière elle. Mais ce ne serait pas notre petite admiratrice de ce matin ?

Anna se tourna et reconnut immédiatement le jeune marin qui l'avait renseigné un peu plus tôt dans la journée. Il était accompagné de deux autres hommes. Elle hocha la tête pour le saluer, peu désireuse d'engager la conversation avec lui, mais cela ne sembla pas le décourager pour autant. Alors que ces compagnons pénétraient dans le café, il la rejoignit. Elle redirigea son attention vers la Gasparine pour cacher le fait que cette rencontre la mettait mal à l'aise. Elle n'appréciait pas le regard lubrique qu'il lui avait jeté encore une fois ce soir. Il s'appuya contre la balustrade à côté d'elle et ricana :

- Vous ne lâchez pas l'affaire, hein ? Il en a bien de la chance, le Brieuc. Mais je serais de vous, j'abandonnerais...

- Pourquoi dites-vous ça ?

Elle regretta immédiatement son intervention quand l'homme prit place sur le siège en face d'elle sans lui en demander la permission. Elle se tortilla sur sa chaise pour lui montrer que ça ne lui plaisait pas, mais l'esprit déjà bien alcoolisé de l'homme ne lui permit pas de comprendre le message qu'elle essayait de lui renvoyer.

- Il remet jamais ça deux fois avec la même fille... Mais moi, je suis dispo si tu veux !

- Hum, non merci, lui répondit-elle, gênée par ce comportement malpoli et un brin harcelant.

- Laisse donc cette petite tranquille, Calvin !, l'interrompit une voix autoritaire dans son dos.

Anna se retourna vers une femme d'une quarantaine d'année, vêtue d'un tablier bleu et portant un plateau. La main sur la hanche, elle lui faisait les gros yeux. Le dénommé Calvin grommela :

- C'est bon, Carla. C'était juste pour rigoler...

Son regard noir lui fit comprendre qu'il valait mieux ne pas en rajouter et il se leva prestement pour rejoindre ses amis sans demander son reste.

- Excusez-le. Il n'est pas bien méchant, mais il faut parfois lui rappeler les limites à ne pas dépasser.

- Thanks, lui répondit Anna.

- Vous êtes anglaise ?

- Oui...

- Laisse-moi deviner... Ca ne te gêne pas si je te tutoie ?

Anna sourit à cette femme joviale qui la mit tout de suite à l'aise et secoua la tête en signe d'assentiment.

- Tu viens de débarquer en France.

- Ça se voit tant que ça ?, demanda-t-elle.

- Oh tu sais, moi aussi, j'ai passé mon enfance en Angleterre. Je me suis retrouvée à ta place. Et des petits Anglais un peu perdus, on en croise souvent par ici. Je peux m'asseoir ?

Anna lui désigna la chaise qui venait de se libérer et Carla s'empressa d'y prendre place.

- Ca fait longtemps que tu es installée ici ?

- Oh lala, oui ! Bientôt vingt-cinq ans ! Mon père était Français et, quand notre mère est morte, il a préféré revenir sur la terre qui l'avait vu naitre. J'ai toujours voulu repartir en Angleterre, mais ça ne s'est pas fait.

- Et ce bar t'appartient ?, demanda Anna intriguée.

- A moi et à mon mari. C'est à cause de lui si je suis restée !, s'exclama-t-elle en riant.

Décidément, cette Carla lui était vraiment sympathique. Elle lui rappelait à la cuisinière que son beau-père employait et qui lui passait des biscuits en douce en dehors des heures des repas.

- Et toi ? Que fais-tu ici ?

- A vrai dire, je suis à la recherche de quelqu'un...

- Ah oui. Brieuc, c'est ça ?

- Je crois que cet homme n'est pas celui que je recherche... mais il pourrait peut-être m'aider à le retrouver...

Anna décida de faire confiance à cette femme. Elle ressentait le besoin de se confier et Carla lui semblait être la personne idéale pour ça. D'ailleurs, celle-ci prêta une oreille attentive à l'histoire qu'elle lui raconta.

- Je recherche mon père. Je ne le connais pas, ma mère n'a jamais voulu me dire qui il était. Tout ce que j'ai pour le retrouver, c'est ça.

Anna sortit la photographie qu'elle n'avait pas manqué d'emporter avec elle et la déposa devant Carla. Cette dernière s'en empara et reconnut immédiatement le bateau.

- C'est pour ça que tu cherches le propriétaire de la Gasparine ? Brieuc est trop jeune, en effet. Là, dit-elle en désignant l'homme qui se tenait au foc à l'arrière de la photo, c'est son frère Nathan. Le bateau lui appartenait avant qu'il ne disparaisse du jour au lendemain. Personne ne sait ce qu'il est devenu.

- Tu le connaissais ?

- Un peu...

La jeune femme crut apercevoir un voile de tristesse se former dans les yeux de son interlocutrice, mais il disparut bien vite.

- Tu penses que l'un de ses hommes pourraient être ton père ?

- Je n'en sais rien... Ou peut-être que l'un d'entre eux saura de qui il s'agit...

- En tout cas, je n'en reconnais qu'un autre. Ce n'est pas difficile : son visage est placardé partout dans la ville !

- Comment ça ? l'interrogea Anna, intriguée.

- Lui là, désigna-t-elle l'homme qui avait le bras autour des épaules de la jeune Eléonore, c'est Alexandre Beaumont, le maire de Calais. Il est en pleine campagne électorale pour sa réélection !

Anna ne réagit pas, essayant d'intégrer cette information. Alexandre Beaumont... Beaumont comme... Eléonore Beaumont ?! Sa mère avait-elle une famille dont elle ne lui aurait pas parlé ? Elle lui avait toujours dit que ses parents étaient morts et qu'elle était fille unique... Lui aurait-elle caché la vérité aussi à propos de ça ?

Devant son manque de réaction, Carla s'inquiéta :

- Tout va bien, ma petite ? Tu es toute pâle !

- Oh non, ce n'est rien..., tenta-t-elle de se reprendre. La fatigue du voyage sans doute. Tu sais où habite cet Alexandre Beaumont ?

- En dehors de la ville, je crois... Bon, je vais te laisser, le devoir... et mon mari... m'appellent !, rit-elle en faisant un signe à l'homme débordé au bar. N'hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit !

Anna la remercia sans détourner son regard de la photographie qu'elle lui avait rendue, trop troublée par cette nouvelle découverte... La voix de Carla la sortit à nouveau de sa contemplation :

- Tiens, Brieuc ! Tu nous fais l'honneur de ta présence ce soir ?

La jeune fille tourna la tête juste à temps pour l'apercevoir faire la bise à un jeune homme un peu plus âgé qu'elle. La lumière du jour déclinante faisait danser des reflets roux chatoyants dans ses cheveux blonds. Il paraissait fatigué et tenait dans sa main un casque de motard.

Carla la désigna d'un geste du menton :

- Il y a quelqu'un pour toi...


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