Chapitre 1 : Calais - 2018
Le soleil se levait à peine et la brume enveloppait encore les quais quand Anna se présenta au service des douanes de Douvres. Elle frissonna malgré elle alors que les températures estivales étaient plutôt douces. Elle se sentait fébrile, un mélange entre l'excitation et l'appréhension. C'était la première fois qu'elle voyageait seule et, qui plus est, dans un autre pays, mais il était trop tard pour faire demi-tour maintenant.
Après toutes les formalités d'usage, elle put enfin embarquer sur le ferry. Sans véhicule, elle n'eut pas besoin d'emprunter la longue rampe embouteillée et se dirigea vers la zone réservée aux piétons. Sur sa gauche quelques klaxons impatients se firent entendre alors que les employés de la compagnie, reconnaissables à leur chasuble jaune fluo, dirigeaient les différents véhicules vers leur emplacement de parking à l'intérieur de l'immense bateau.
Trainant derrière elle sa grosse valise, la jeune femme emprunta l'ascenseur qui l'amena vers le pont. Elle dut se serrer pour laisser de la place à une famille de touristes particulièrement excitée par la traversée. Heureusement pour elle, son petit mètre soixante-cinq et sa taille menue lui permirent de ne pas mourir étouffée dans cet espace clos étroit. Un des enfants se tourna vers elle et la dévisagea :
- Toi aussi, tu pars en vacances ?, lui demanda-t-il soudain en français.
Elevée par une mère française, elle maitrisait parfaitement la langue de Molière et elle lui répondit avec un léger accent anglais :
- En quelque sorte...
Il plissa le front devant cette réponse énigmatique, puis, habitué sans doute de ne pas toujours comprendre les adultes, il haussa les épaules et dit :
- Nous, on rentre à la maison !
Sa mère intervint en l'apostrophant :
- Gaspard ! Laisse donc cette dame tranquille ! Je t'ai déjà dit qu'on ne parlait pas aux inconnus.
Une petite sonnerie indiqua l'arrivée de l'appareil sur le pont et la famille disparut bien vite. Anna se dirigea doucement vers un petit café-restaurant. Trop énervée et angoissée par la traversée, elle n'avait rien pu avaler ce matin. Elle commanda donc un rapide petit déjeuner typiquement français. Autant se mettre tout de suite dans l'ambiance... Le serveur lui tendit son café et un croissant et armée de son plateau-repas, elle trouva rapidement une petite table où s'installer confortablement en attendant que l'embarquement se termine.
Une corne de brume retentit une demi-heure plus tard, annonçant enfin le départ du paquebot. Elle se leva alors pour rejoindre les nombreux voyageurs qui s'agglutinaient le long du bastingage pour regarder les côtes anglaises s'éloigner doucement, effacées par la brume matinale qui montait depuis la mer. Ses longs cheveux couleur chocolat s'envolaient allègrement au gré du vent marin lui donnant une impression de liberté qu'elle prit le temps d'apprécier à sa juste valeur jusqu'à être rappelée à la raison par la vibration de son téléphone dans la poche arrière de son jean.
C'était un message de sa mère qu'elle lut avec appréhension : « Bonnes vacances, ma chérie ! Profites-en bien et remets mon bonjour à la famille de Christie ! » Elle la remercia le plus brièvement possible tout en culpabilisant de lui mentir.
Depuis des mois, depuis qu'elle avait trouvé la photo dans les affaires de sa mère, elle préparait son expédition. Elle avait pris sa décision et elle ne reviendrait pas en arrière pour tout l'or du monde... même si sa mère lui en voudrait certainement si elle savait ce qu'elle s'apprêtait à faire. Eléonore Jones-Beaumont n'avait jamais voulu répondre à ses questions concernant son père biologique et elle ressentait aujourd'hui le besoin primaire de comprendre qui elle était vraiment.
Bien sûr, son beau-père, William, lui avait permis d'avoir une figure paternelle aimante. Il avait beau ne pas être du même sang qu'elle, il lui répétait sans cesse qu'il l'aimait comme sa propre fille. Pendant toute son enfance et encore aujourd'hui, il avait été son pilier et elle l'aimait elle aussi. Il avait toujours été de son côté dans les disputes nombreuses qui l'opposaient à sa mère. Il avait même essayé de la convaincre de lui parler, mais Eléonore refusait toute discussion à propos de son passé et Anna aurait bien voulu comprendre pourquoi. Sa mère avait laissé derrière elle sa vie en France, refusant toujours d'y remettre les pieds. Elle n'en avait d'ailleurs conservé aucun souvenir.
C'était du moins ce qu'elle avait toujours cru avant de découvrir cette fameuse photo sous une pile de vêtements au fond d'une armoire dans une des pièces oubliées du vieux manoir de la famille Jones. Et si Eléonore avait conservé ce cliché, c'est qu'il revêtait une grande importance à ses yeux, non ? Elle sortit à nouveau la photo jaunie de sa poche et se retrouva face à tous ces visages inconnus.
Le seul qu'elle avait pu identifier jusqu'à présent, c'était celui de sa mère. Habillée d'un simple maillot de bain une pièce, elle était timidement postée à la droite du groupe composé de trois jeunes hommes et de deux autres jeunes femmes. Ils posaient sur le pont d'un bateau de plaisance dont on apercevait le nom : le « Gasparine ». Tous souriaient et paraissaient heureux comme des jeunes gens de vingt ans qui passent de bonnes vacances sous le soleil.
C'est avec ce seul et maigre indice en poche qu'Anna avait pris la décision de se rendre à Calais, le nom du bateau lui ayant permis de découvrir qu'il faisait partie de la flotte du port de plaisance de la ville encore aujourd'hui. Peut-être son propriétaire aura-t-il une idée de l'identité des gens qui y étaient représentés ?
Son père était-il l'un d'entre eux ? Elle avait mille fois examiné le visage de chacun de ces hommes, cherchant des similitudes avec ses propres traits sans y parvenir : elle était bien évidemment le portrait de sa mère ! Etait-ce le petit brun charismatique qui posait un bras sur les épaules d'Eléonore ? Le grand blond en arrière-plan qui se tenait au foc ? Ou le garçon mince et timide de la gauche dont on ne voyait qu'une infime partie du visage ? A moins que ça ne soit le photographe...
Bref, c'était un indice bien maigre, mais c'est avec ce mince espoir qu'elle laissa derrière elle son Angleterre natale pour se tourner vers son passé... ou son futur : la France !
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Merci à celles et ceux qui ont voté et partagé leurs impressions sur le prologue de cette histoire. Ca fait du bien de vous retrouver ;-) J'espère que la suite vous plaira tout autant.
A bientôt !
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