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- Sophie ?
- Lizzie ! s'exclame la métisse, à l'autre bout du fil. Qu'est-ce qu'il se passe, ça fait vingt minutes que tu devrais être là ?
Je me mords la lèvre. Je déteste mentir, mais là pas le choix.
- Écoute, je... je ne me sens pas bien du tout : j'ai des nausées, j'ai un peu vomi, aussi, c'est pas la grande forme... Je pense que je ferai mieux de ne pas venir, je me sens vraiment mal.
- Ah bon ? elle s'étonne et je croise les doigts pour que mon mensonge passe comme crème. Tu avais l'air bien, pourtant, ce matin - un peu fatiguée, certes, mais bien.
- Oui, je... Je crois que j'ai avalé un truc qui n'a pas dû passer.
Elle reste silencieuse un moment, puis répond :
- OK, je m'en occupe avec l'équipe de production.
- Merci, Sophie, t'es vraiment un ange.
- Je sais, je sais... Juste une question, Liz, pour me rassurer.
- Oui ?
Je sens une petite boule se former dans ma gorge.
- T'es pas enceinte, quand même ?
Je manque de m'étouffer.
- Mais... non ! Enfin, qu'est-ce qui te fait dire ça ? Je ne... En plus, j'suis célib', alors...
- Non, désolée, c'était juste pour m'en assurer, s'excuse-t-elle. C'est juste que...
- Attends, t'es quand même pas en train de me dire que j'ai grossi, là ?
- Non, mais tu as les symptômes, c'est tout. Désolée. Bref, j'te laisse, y'a la productrice qui m'appelle.
Je raccroche et soupire, honteuse. Je déteste mentir, encore plus à quelqu'un d'aussi sincère et généreux que Sophie.
Je rajoute dans mon sac mes écouteurs, un paquet de chewing-gums et mon livre, puis réserve le billet de train. Il y en a un dans une demi-heure, direction Chantilly, là où vit mon père - et où j'ai passé toute mon enfance.
J'enfile ma veste, attrape mon sac et quitte mon appartement. Je me dépêche de prendre le métro ; heureusement, la gare n'est pas très loin et j'y suis rapidement.
Une fois dans le train, j'ouvre mon livre, mais n'arrive pas à me concentrer sur l'histoire. Les mots dansent devant mes yeux, mon esprit est ailleurs.
Et si...
Pour passer le temps, je mets mes écouteurs et lance une playlist. Les yeux dans le vague, je me laisse porter par la musique et oublie tout le reste - le hater, Just... Laugh, ma mère et même le loyer que j'ai légèrement en retard ce mois-ci.
Je prends le bus à mon arrivée à la gare - les Uber sont décidément hors de prix - et arrive au bout de quelques temps face à la maison qui m'a vue naître, grandir et partir. Elle est grande, entourée d'un jardin laissé en friche, mais une joyeuse ambiance y règne.
Je pousse avec hésitation la porte de l'atelier de mon père où j'entends du bruit.
- Papa ?
Il est là, assis sur une chaise haute. La perceuse qu'il utilise surpasse presque en volume la musique à fond sur sa vieille radio, ce qui explique sans doute qu'il ne m'ait ni vue ni entendue entrer. Il est tellement concentré sur son travail que je dois répéter plusieurs fois son nom pour qu'il m'entende.
- Lizzie ? il s'étonne en coupant sa radio - Dieu merci, je n'ai rien contre Johny Halliday, mais les interférences rendent vraiment le son horrible.
- Désolée, je m'excuse en refermant la porte abîmée derrière moi. Je ne t'ai pas prévenu que je passais te voir aujourd'hui.
J'angoisse beaucoup. Je n'ai pas du tout planifié cette visite et je ne sais pas comment présenter le sujet pour qu'il ne se braque pas - il déteste parler de ma mère ; la plaie est encore très vive chez lui. Je décide de jouer la carte innocente en espérant que son passé de policier ne me dénonce pas de suite.
Il range sa perceuse et s'essuie les mains sur son tablier élimé pour me serrer dans ses bras.
- Tu m'as manqué, Lizzie ! s'exclame-t-il en resserrant son étreinte.
De tous mes proches, il est le seul à prononcer toujours mon prénom en entier - « À quoi bon se tuer la tête à te trouver un prénom si c'est pour qu'on finisse par t'en donner un autre ? », grommelle-t-il toujours quand je l'interroge à ce sujet.
- Les garçons ne sont pas là ? je lui demande.
- Ils viennent de partir, pourquoi ? Tu voulais les voir ?
Les garçons, c'est le nom qu'il donne à une bande de cinq lycéens passionnés de bricolage et de nature qui viennent régulièrement le voir. Un peu chahuteurs, très envahissants mais adorables, ce n'est pas le moment pour qu'ils débarquent.
- Non, je voulais te voir toi, Papa !
Un sourire heureux éclaire son visage fatigué aux rides marquées. Ses yeux bleus me scrutent avec bienveillance. J'ai hérité de lui mes épais cheveux châtains - même si sa calvitie avancée a tout ravagé -, tandis que mes yeux verts et ma fossette me viennent de Maman.
Ancien flic et bricoleur passionné de nature, mon père, Timéo, coule aujourd'hui des jours heureux à Chantilly. Je m'en veux de le tourmenter avec le passé, mais j'ai besoin de connaître la vérité.
- Un café, ça te dit ? me propose-t-il.
- Avec plaisir ! je lui réponds avec un sourire.
Nous montons à l'étage et je sens mon cœur se serrer à la vue du cadre sur la commode. C'est une photo de Maman et de moi, prise le jour de sa mort. Elle sourit, radieuse, ignorant qu'il ne lui reste que quelques heures à vivre, accroupie à côté de moi. Mon grand sourire dévoile mes incisives manquantes et mes tâches de rousseur parsèment tout mon visage.
Je reporte mon attention sur le reste de la pièce. La cuisine est moins bien rangée que d'habitude et des bouteilles traînent sur la table.
- Tu as bu ? je lui demande, étonnée.
Il ne répond pas et range les bouteilles.
- Alors, quelle est la raison exacte de ta venue ici ? me demande Papa en sortant deux tasses.
- Je voulais voir comment tu allais.
- Lizzie, pas à moi, rétorque-t-il en s'activant près de la cafetière.
- OK, je voulais que tu me parles de Maman, j'avoue.
Il soupire.
- Tu vas me dire que tu as fait tout ce chemin pour que je te parle de ta mère ?
- Oui ! Je l'ai si peu connue...
Je sens tout de suite que mon mensonge n'est pas crédible.
- Crache le morceau, s'il te plaît, Lizzie...
Je me mords la lèvre inférieure.
- Okay... Je voudrais que tu me racontes ce qui s'est passé ce jour-là, s'il te plaît, Papa.
- Je te l'ai déjà dit, l'enquête n'a mené à rien. On a juste retrouvé ta mère noyée dans le lac où nous passions l'après-midi, il y a dix-huit ans.
- Mais je sais que ce n'est pas vrai ! Tu dois forcément savoir quelque...
Je m'interromps brusquement, mon attention captée par autre chose.
- Qu'est-ce qu'il y a ? me demande mon père.
Sur le plan de travail se dresse son ordinateur, encore ouvert sur une session : plus précisément une page de connexion YouTube.
- Tu as une chaîne, toi ? je m'étonne.
Il se fige brusquement, mais c'est trop tard. J'ai déjà vu l'identifiant.
- C'est toi..., je murmure, sidérée. Le hater, -timeo93...
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