Chapitre 5
S'asseyant avec une lenteur chargée de précaution, Nephtys saisit le petit paquet ainsi que la lettre qui y était jointe. Elle déplia le papyrus délicatement, prenant soin de ne pas abîmer le fin papier. Ses yeux parcoururent le mot et elle sentit un sourire étirer ses lèvres.
Nephtys,
Mes mots ont dépassé ma pensée.
Afin de me faire pardonner voici un petit présent qui ne te sera pas inconnu.
Ton frère, Pat.
La princesse le connaissait suffisamment pour savoir que cette note lui avait demandé beaucoup d'efforts. Il avait toujours été une personne très orgueilleuse et cela revenait pour lui à mettre sa fierté de côté, ce qu'il ne réussissait que difficilement à faire. Elle ne s'en sentait que davantage touchée. N'étant pas de nature rancunière, Nephtys acceptait bien volontiers ses excuses. Son geste était déjà une avancée considérable dans laquelle elle avait envie de placer de l'espoir.
Curieuse de voir ce qu'il avait pensé devoir lui offrir afin d'appuyer ses excuses, elle observa le tissu d'un bleu cyan éclatant. Le prenant au creux de sa paume, elle l'ôta d'une main fébrile pour découvrir ce qu'il camouflait. Ses yeux s'embuèrent de larmes en découvrant le médaillon. Il représentait trois cobras enroulés autour d'un disque solaire et s'attachait à l'aide d'une cordelette en cuir brun. Nephtys tourna et retourna le pendentif entre ses doigts secoués par l'émotion. Ce collier avait appartenu à leur mère. Elle le revoyait se balancer au-dessus de son nez lorsqu'elle l'enlaçait. Amôn l'avait offert à sa femme à la naissance de leur benjamine, seize ans auparavant.
Son cœur s'émut à la montée de souvenirs, tous plus joyeux les uns que les autres. Par les dieux, que sa mère lui manquait ! Elle en chérissait sûrement une image idéalisée par le temps, mais c'était cette vision aimante qu'elle souhaitait garder de ses parents. Néphtys passa le bijou autour de son cou et chargea l'un des soldats qui gardait ses appartements d'aller remercier Patmosis. Ce collier avait bien plus de valeur que tout l'or du monde.
Cela faisait déjà plus d'une heure que Nepthys était assise dans l'un des salons du palais, écoutant l'un de ses suivantes jouer de la lyre. Ses cinq autres compagnes, dont Rië, étaient à ses côtés, profitant de la mélodie ou discutant. La princesse aimait la musique plus que tout. C'était un goût que lui avait transmis son oncle. Durant son enfance, il insistait pour qu'une fois par semaine, lors d'une petite réception en comité réduit, un groupe de musicien les divertisse. Il aimait à varier les styles et les instruments et enseignait à sa nièce tout ce qu'il savait à ce sujet. Ces moments privilégiés étaient devenus une habitude délectable. La distraction la lassa plus rapidement que de coutume. Nephtys finit par se lever et marcha jusqu'à la fenêtre qui donnait sur les jardins.
– Assez, lança-t-elle en se retournant, je ne puis souffrir davantage cette oisiveté. Le temps est absolument radieux, pourquoi ne pas nous promener un peu ? Les jardins sont suffisamment ombragés pour que nous nous y sentions à notre aise.
Cessant immédiatement leurs activités, les jeunes femmes obtempérèrent. Le petit groupe quitta la pièce afin de rejoindre la cour du palais. Tandis qu'elles déambulaient à travers les allées verdoyantes, Nephtys aperçut Siyx qui les suivait de loin. Fidèle à ses habitudes, le garde avait un air renfrogné sur le visage et guettait d'un oeil vif le moindre danger qui pourrait survenir. Elle se demandait si le soldat avait reçu une punition pour les avoir accompagnées, Rïe et elle, à l'extérieur du palais. Bien décidée à lui poser directement la question, elle nota mentalement ses intentions afin de pouvoir y penser lorsque l'occasion se présenterait. Plongée dans ses pensées, elle ne peut s'empêcher de sursauter lorsque Rië-Sephret lui attrapa le bras avec entrain.
– Vous me semblez bien soucieuse, Votre Altesse, souhaitez-vous m'en parler ?
Le visage jovial de la suivante lui rendit le sourire.
– Je ne vais pas t'embêter avec mes réflexions Rïe, sinon nous n'en finirions plus.
Arborant un air faussement sévère, cette dernière renâcla avec bien peu de grâce.
– Allons, ne dites pas cela, vous savez bien que vous pouvez tout me dire. Bien que cela soit mon rôle de vous divertir, ne sommes-nous pas amies ?
Nephtys serra sa main chaleureusement.
– Bien sûr que nous le sommes. Tu es de loin ma seule amie dans ce palais. J'ai beau être plus entourée que bien des gens, tu es la seule que je considère réellement comme mon amie.
Un court silence s'installa. Son interlocutrice, dont le regard s'était éclairé de reconnaissance, semblait attendre qu'elle lui livrât le cours de ses pensées.
– J'étais en train de me demander, poursuivit-elle, si mon frère avait fait punir Siyx pour nous avoir accompagnées dans les rues d'Alexandrie. Il était plutôt mécontent que je lui aie désobéi.
La princesse déglutit difficilement. Elle savait parfaitement que si tel était le cas, elle s'en voudrait énormément d'être la cause de ces sévices. L'homme n'avait fait qu'obéir aux ordres qu'elle lui avait donnés.
– Je ne pense pas qu'il soit judicieux que vous vous torturiez pour cela, Altesse. Son rôle était de suivre vos instructions. Il n'avait guère le pouvoir de vous empêcher d'agir à votre guise et nous laisser seules auraient été une faute grave.
Mitigée, elle acquiesça tout de même et se décida à changer de sujet :
– Te souviens-tu de l'homme du port ?
Rïe plissa le front en se remémorant cet instant. Il y avait eu bien des hommes, mais un seul avait su les marquer. Pas de la bonne façon.
– Le Séleucide ?
Hochant la tête en signe d'assentiment, Nepthys enchaîna :
– Oui, celui-là même. Il venait en effet au palais. J'ai eu la... joie... de le revoir hier.
– Serait-ce de l'ironie que j'entends poindre dans votre voix ? railla la dame de compagnie.
Amusée par cette taquinerie, Nephtys se joignit à ses éclats de rire.
– Tu n'imagines même pas. Nous avons eu une petite altercation qui m'a un peu perturbée. Il est... faux. J'ai un mauvais pressentiment vis-à-vis de lui. Quelque chose de sournois se cache en lui. Cela m'étonnerait que ses intentions soient louables, il doit sûrement ourdir quelque vil projet.
Rïe-Sephret acquiesça vivement.
– Oui, j'ai ressenti cette même impression lorsque nous l'avons aperçu. C'est physique. Peut-être est-ce dû à cet air hautain ou à ce port altier qui relaie les autres au rang inférieur.
Elle joignit le geste à la parole, imitant vulgairement le souverain séleucide. Si un diplomate ennemi les avait surprises en cet instant, nul doute que les conséquences auraient été désastreuses. Les deux amies éclatèrent de rire devant cette caricature ridicule. Bifurquant sur la droite en suivant les plantations, elles s'arrêtèrent net.
L'imposante silhouette d'Antiochos se dessina devant elles, accompagné de son conseiller et de quelques gardes. Un pic de panique traversa Nephtys de part en part à l'idée qu'il aurait pu les entendre. Elle balaya instantanément cette idée en le voyant si concentré. Elle se recomposa une expression affable et effectua une révérence, rapidement imitée par ses suivantes. Serrant ses mains l'une contre l'autre, la sœur de Pharaon le détailla du regard.
– Princesse Nepthys, la salua-t-il, quel plaisir que nos chemins se croisent à nouveau.
– Votre Majesté.
Il inclina la tête en signe de respect en direction des dames de compagnie de son interlocutrice. Son regard s'arrêta plus longtemps que nécessaire sur Rïe, signifiant clairement que ses traits lui disaient quelque chose.
– Mes dames.
Nephtys sourit, un air de défi éclairant ses prunelles grises.
– Le visage de Rïe-Sephret doit vous paraître familier. Je n'étais pas seule au port.
Il planta ses yeux dans ceux de la princesse. Elle tenta d'y lire quelque chose, mais l'impassibilité qui en ressortait était indéchiffrable.
– Accepteriez-vous de venir vous promener en ma compagnie, seul à seule ? demanda-t-il brusquement. Je souhaiterais que nous repartions sur des bases nouvelles.
Si Nephtys mourrait d'envie de refuser, les mots de son frère tournaient en boucle dans sa tête. Ce ne serait pas dans son intérêt ni dans celui de l'Égypte de décliner. Antiochose interpréterait cela comme une provocation et un manque de diplomatie que Patmosis saurait lui reprocher. Acculée, elle n'eut d'autre choix que d'accepter :
– Ce serait un honneur, Votre Majesté.
Elle adressa un sourire à Rïe et saisit le bras qu'Antiochos lui tendait galamment. Il l'entraîna un peu plus loin, avec une assurance surprenante. Si elle ne le connaissait pas, elle aurait pu croire qu'il avait passé sa vie dans ces jardins. Le couple se retrouva isolé, simplement suivi par deux gardes qui se tenaient à distance.
– Pour tout vous dire, commença le souverain séleucide, j'ai craint que vous ne refusiez cette entrevue.
Son intérêt fixé sur le lointaine devant elle, Nephtys pinça les lèvres.
– Vous voyez donc une raison qui pourrait me pousser à ne pas désirer votre compagnie ?
Le sarcasme n'était pas subtil. Antiochos soupira et la saisit par les épaules pour lui faire face, obligeant son interlocutrice à lever la tête.
– Il est évident que des circonstances fâcheuses nous ont fait partir du mauvais pied, vous et moi. Je suis navré de cet état de fait, mais j'en suis aussi parfaitement conscient. Mes intentions en venant dans ce palais sont parfaitement honorables. Laissez-moi une chance de vous le prouver. Oublions le passé et recommençons tout depuis le début.
La jeune femme croisa les bras sur sa poitrine.
– Vous me demandez d'oublier que vous avez insulté mon peuple. Vous ne saviez pas que je serais là donc il me semble évident que vous exprimiez le fond de votre pensée. Vous souhaitez sincèrement me faire croire que vous n'en pensez pas autant de mon frère et moi-même ?
Le séleucide resta silencieux un moment, la dévisageant avec insistance. Un sourire suffisant finit par étirer ses lèvres, d'ordinaire si sévères.
– Je vous en prie, vous êtes bien trop intelligente pour penser que ces mots reflètent réellement ce que je pense.
Nephtys passa une main dans ses cheveux, dégageant les quelques mèches qui s'étaient échappées de sa coiffe.
– Admettons que je vous croie. N'avez-vous rien de plus à ajouter ? Quelque chose qui me motiverait à prendre le temps de faire votre connaissance, puisque nous ne nous connaissons pas, Majesté.
Il parut s'amuser de l'impudence de la jeune femme. Peu de personnes lui tenaient tête et il était rare qu'on ne lui donne pas ce qu'il souhaite. Prenant cette réplique pour un défi qu'il comptait bien relever, il choisit ses mots avec finesse :
– Comme vous me permettez de me défendre, sachez que je vous estime de plus en plus à mesure que je vous connais. Pour ce qui est de votre frère, il n'est rien que j'admire davantage que la dévotion. Et, malgré le peu de temps passé en sa compagnie, il est évident que cet homme serait prêt à tout pour son peuple.
Il interpréta le regard qu'elle lui lançait comme un encouragement et poursuivit :
– Puisque cela est réglé, laissez-moi me présenter. Je suis le roi Antiochos III de l'empire Séleucide... et votre dévoué serviteur.
Celui-ci s'abaissa devant elle en signe de respect. Ne souhaitant pas le contrarier et préférant rendre le moment aussi agréable que possible, elle se décida à jouer le jeu. Dès qu'il se fut relevé, Nephtys l'imita en entonnant :
– Honorée votre Majesté. Je suis Nephtys, fille d'Amôn et soeur du pharaon Ptolémée IV d'Egypte.
Lorsque Pat avait été couronné, il avait choisi de prendre le nom de leur ancêtre afin de perpétuer leur lignée. Cette décision avait été légèrement orientée puisque c'était l'une des conditions qu'Isis avait posée avant d'abdiquer. Peu de temps après sa prise de pouvoir, leur cousine avait jugé nécessaire que tous oublient le règne de Kaï. Elle considérait ce geste comme un moyen de redorer leur nom et offrir à l'empire un renouveau tant espéré. Désir de renouveau que Pharaon partageait et souhaitait voir concrétisé par un traité de paix. Signer la fin du conflit avec les Séleucides serait un bon début.
– Ravi de faire votre connaissance, princesse. Vous me faites une faveur inestimable en me permettant de vous accompagner.
Cette courtoisie exagérée amusa la jeune femme qui prit le bras qu'il lui tendait. Ils poursuivirent leur mise en scène un long moment, faisant connaissance par la même occasion. La magie de l'instant se retrouva mise à mal lorsque le roi commença à se montrer un peu trop curieux :
– Je ne puis m'empêcher de me questionner : hier votre frère a dit que vous aviez passé une majeure partie de votre vie en Grèce. Pourquoi avoir passé autant de temps loin de chez vous ?
Nephtys haussa un sourcil et arrêta sa marche afin de le dévisager, soudainement méfiante.
– Vous êtes bien indiscret, Votre Majesté. Si l'Égypte est mon berceau, je me sentais chez moi en Grèce. J'ai vécu chez mon oncle à Athènes durant 9 années. Il me semble inutile de vous donner de plus amples détails, précisa-t-elle sur la défensive.
Le souverain se rembrunit à l'entente de ces mots.
– Pardonnez-moi si vous m'avez trouvé invasif. Ce n'était que de la simple curiosité, je ne souhaitais en aucun cas vous contrarier.
Un bref pincement de culpabilité la saisit. Elle s'était peut-être trop rapidement emportée. C'était un sujet qu'elle n'aimait pas aborder, encore moins avec un inconnu.
– Vous êtes tout pardonné. C'est un sujet sur lequel je n'ai guère envie de m'étendre, ne le prenez pas personnellement.
Leur discussion reprit. Si la désinvolture restait la même, la méfiance que leur échange avait réveillée chez la princesse lui permit d'entrevoir quelque chose qu'elle n'avait pas perçu auparavant. Antiochos employait un ton un peu trop douceureux qui détonait avec ce qu'il dégageait. Il n'était plus qu'affabilités et flatteries, le tout étrangement surjoué. Rien ne lui paraissait moins naturel que les mots qui sortaient de sa bouche.
Ces éléments, nourris par les questions qu'il posait, ne firent qu'alarmer Nephtys. Elle avait déjà des soupçons, mais cet interrogatoire les renforçait.
Antiochos était bien venu à Alexandrie pour une chose précise. Mais était évident que ce n'était pas pour la paix.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top