Chapitre quatre
Le coeur battant, j'observais les manoeuvres d'accostage. Le port de Lariz était peu fréquenté, seuls quelques Elfes nous regardaient, vaguement intrigués. L'équipage de Rana effectuait tous les gestes nécessaires tandis que j'observais l'orée de la forêt. Des murmures sifflaient légèrement promettant une magie sans limite. Ma cape volait sous les assauts de la brise sérotinale. J'étais entièrement équipée de mes armes. Mon harnais contenait une épée, logée entre mes omoplates. Une dague à lame longue reposait dans l'étui en travers de ma poitrine. Mon arc et mon carquois étaient cachés par ma cape. La capuche rabattue sur ma tête dissimulait mes cheveux d'or. Si je gardais la tête baissée, avec un peu de chance, personne ne remarquerait la couleur de mes iris. Notre plan était simple. Arriver au palais. En vie, de préférence.
L'esprit d'Othar s'enroula autour du mien, me prévenant de notre débarquement imminent. Je me rapprochai du bastingage. Je croisais plusieurs matelots qui m'offrirent des sourires remplis d'espoir. Je leur rendis, maladroitement. Je ne pouvais flancher mais je me sentais mal de recevoir autant de poids sur mes épaules. Rana donnait ses dernières recommandations à son second. Il devait repartir en mer pour accoster officiellement à Asmon, le principal port du royaume des Elfes. Une petite troupe débarquait avec moi. Othar, Mardil, Valacar et Rana étaient bien entendus de la partie. Venait aussi Beorn, le métamorphe ours. Kane, le Yacunura, resterait sur l'Adventure Galley en sa qualité de second. Thaos, le berbaland, venait avec nous. Mon regard se porta dans ses orbes onyx flamboyantes. Ses cheveux de cendres étaient volontairement portés aux regards des autres. Mais personne ne remarquait cette couleur si singulière. Tous étaient obnubilés par les deux ailes démesurées, repliées dans son dos. Semblables à celles d'une chauve-souris, elles étaient d'un noir abyssal. Pourtant à l'expression de son pouvoir, elles devenaient aussi rougeoyantes que le métal chauffé. Ses traits durs ne laissaient rien transparaître à part une rage de combat. Originaire de Volta, il entretenait une rancune sans pareille vis-à-vis de l'Usurpateur. Il avait vu sa femme mourir sous ses yeux, dévorée par des flammes irréelles, signes de la magie noire qui coulait dans les veines de Nephisto. Son corps était une arme taillée au millimètre. Surentraîné, il comptait parmi les meilleurs combattants de Volta. Du temps de l'âge d'or du royaume, quand la Golda n'était encore qu'une légende, il avait été le conseiller du Roi Lestate. Mais les batailles avaient séparé les deux hommes, dans une mesure que je ne serais jamais en droit de saisir. Cela les concernait. Les brûlures qui recouvraient son visage ne me rebutaient pas. Elles marquaient son histoire, d'une manière pourtant peu intime, ainsi exposées au monde. Mais elles faisaient parties de lui. Et cette sévérité constante masquait à peine une douleur déchirante et sans limite.
Rana siffla, le bout des doigts dans sa bouche. Tout le monde approcha de lui. Il semblait vouloir donner ses dernières instructions.
— La majeure partie de l'équipage va repartir en mer une fois l'étape à Asmon effectuée. Tous ceux qui sont à mes ordres sont sous le commandement direct de Kane jusqu'à mon retour. D'ici trois jours au plus, nous embarquerons de nouveau pour la mer de Létos. Ceux qui descendent à Asmon ont reçu leurs ordres. Vous ne pouvez pas tous venir avec la princesse au palais. Alors effectuez votre mission, obéissez à vos ordres. Rependez la nouvelle comme on repend une rumeur. Sifflez les nouvelles. Je veux que cela parvienne aux oreilles de l'Usurpateur avant la prochaine pleine lune.
Tous hochèrent la tête de concert. Je me redressai, maîtresse de mon corps, dirigeante de mon destin. Ma main gantée était serrée sur la lanière de mon sac.
— Pour Elios, soufflai-je comme un murmure, pour les six royaumes. Pour la paix et la liberté.
— Pour la paix et la liberté, répétèrent les voix.
Tout le monde se saisit de ses paquets et le pont en bois fut installé. Rana descendit en premier, et s'adressa directement aux elfes postés sur les quais. Les gardes hochèrent la tête à ses paroles et s'écartèrent après l'avoir gratifié d'une tape sur l'épaule. Mardil et Beorn descendirent à leur tour. Thaos passa devant moi, Othar à mes côtés et Valacar ferma la marche. Les regards des sentinelles me grignotèrent la peau, sous ma cape. Mais le corps d'Othar faisait barrage. Des murmures se répandirent à travers tout Lariz. Cela représentait une toute petite partie de personnes. Mais d'ici trois jours, toute la Thyminie serait au courant. C'était notre but après tout. Mais cela avait un côté légèrement terrifiant. Une fois la rumeur lancée, elle serait incontrôlable. Notre groupe se tassa et je me retrouvai au milieu de tout ce petit monde. Nous suivîmes Rana jusqu'à l'orée de la forêt. Les elfes se placèrent à côté de lui, observant leur patrie, ainsi étendue devant eux. Vala posa son bras sur mes épaules de manière nonchalante.
— D'ici, nous en avons pour quelques heures de marche à peine, commenta Othar, nous ne nous arrêterons pas en route, les bois sont remplis de créatures désireuses de vous croquer.
— Surveillez vos paroles, ajouta Rana, les arbres ont des oreilles.
— Les arbres sont des oreilles, murmurai-je tout bas.
C'était sans compter l'ouïe affutée de Beorn, dont les lèvres se retroussèrent d'amusement. Ses pupilles m'offrirent un sourire amusé, pas plus étonné que moi du petit discours des elfes. Après tout le métamorphe originaire de Grinos, avait parcouru des forêts plus grandes et plus dangereuses que celles des elfes. Le pays terrestre possédait des forêts de légendes, décrites à travers plusieurs de milliers de contes pour enfants. Et au moins autant de monstres cachés. Mais la magie des terres des Elfes n'était pas à sous-estimer.
— Soyez vigilants et prêts à dégainer à chaque instant, nous sommes peut-être déjà observés. En route.
Nous commençâmes notre périple. À mes côtés, Othar excellait dans le rôle du protecteur militaire. On aurait dit qu'il avait fait ça toute sa vie. Son rire résonna dans ma tête et je souris en le lorgnant d'une oeillade moqueuse.
J'ai fait ça toute ma vie, Indo.
Vantard.
Son sourire goguenard nous accompagna pendant de longues minutes, avant de disparaître au profit d'une concentration camouflée par le calme profond. Nous avancions en silence. Dans plusieurs kilomètres, la route bifurquerait et nous serions obligés d'abandonner le confort d'un chemin tracé au profit des sols inconnus de la forêt. Tous marchaient à un bon rythme. Thaos et Beorn, aussi silencieux que les arbres, ouvraient la marche. Encadrée des deux frères, je les suivais de près, perdue dans mes pensées. Mardil avait entraîné son compagnon à l'arrière, ralentissant le pas pour le forcer à avoir une discussion. Leurs mots restaient à la portée de nos oreilles mais aucun d'entre nous ne se permettrait de les écouter. Les arbres se succédaient, tous plus touffus les uns que les autres. La Thyminie était le royaume magique, peuplé par les elfes. Il s'agissait du plus vieux royaume. Les elfes étaient l'espèce qui possédait la longévité la plus impressionnante. Le Roi Aldaron, seigneur des arbres, devait être au moins aussi âgé que Beorn, qui foulait les terres de l'Astrada depuis des millénaires. La Reine Gilgalad, étoile rayonnante, était à ses côtés depuis presque autant de temps. Ils avaient connus de nombreuses batailles et de terribles guerres, bien avant la montée de l'Usurpateur. La magie noire de la Golda avait toujours été en opposition constante avec la magie de l'esprit, principale faculté des elfes de Thyminie. Chaque royaume avait connu de nombreux conflits. Certains avaient été sanglants, décimant des populations entières. Des populations presque oubliées, dont nous ne gardions aucun souvenir.
Un frisson me parcourut et le regard améthyste de mon protecteur se porta sur moi. J'avais froid, alors que j'étais entourée de ma cape chaude. Ses sourcils se froncèrent. Une de ses mains entoura ma taille et me rapprocha de lui. Son autre main se posa sur le pommeau de son épée. Une nouvelle salve de frissons me parcourut. Rana se rapprocha à son tour et scruta les environs.
— Thaos !
L'intéressé se tourna et en une fraction de secondes, ses ailes étaient déployées. Ses yeux passaient d'Othar à moi très rapidement. Une vague de tremblements commença à me secouer, comme si j'étais victime de convulsions. Tous furent autour de moi, me dissimulant aux regards extérieurs. Je serrai la mâchoire pour tenter de maîtriser mon corps. Mais rien à faire. Les frissons parcouraient mes membres à une vitesse folle. Othar m'entoura de ses deux bras pour me faire tenir debout. Je distinguai les silhouettes de mes compagnons de route. Tous étaient tendus par l'inquiétude. Que se passait-il ? Pourquoi étais-je dans cet état là ? Le vent fit frissonner les feuilles, comme si les arbres étaient victimes du même trouble que moi. Les ailes de Thaos se replièrent sous la force du vent. Les arbres pliaient sous la puissance comme si une force magique les y forçaient. Comme s'ils souffraient.
— Tiens bon Indo, je suis là, me chuchota Rana.
Les yeux d'Othar étaient plissés en recherche d'une réponse qui m'échappait. Le vent avait fait tomber ma capuche. Mes yeux tressautaient alors que je tentai de reprendre pied. De la sueur coulait sur mon visage. J'étais secouée de toute part, les organes en vrac au fond de mon ventre. Une nausée remonta le long de mon oesophage et je me penchai en avant à temps pour vomir le contenu de mon estomac. Les frissons cessèrent presque en même temps que le vent. J'étais toujours parcourue d'une sensation de lourdeur mais je tenais presque debout sur mes deux jambes.
— Ça va ça va, rassurai-je tout le monde d'une voix rauque.
Les mains d'Othar portèrent une gourde d'eau à mes lèvres. Je rinçai ma bouche avant de boire quelques gorgées. Tous s'étaient éloignés, me laissant respirer. Le sol se mit à résonner étrangement et je grognais en me remettant droite. Othar dégaina son épée et se plaça devant moi, faisant de son propre corps mon bouclier. Thaos restait vif et alerte, les yeux cherchant le moindre indice. Mais il n'était pas habitué à parcourir ces forêts denses.
— Pensais-tu vraiment pouvoir traverser ma forêt sans que j'en sois informé, Othar ? Clama une voix suave.
Je tournai la tête dans tous les sens, cherchant sa provenance. Mes poils se hérissèrent et je me suppliai intérieurement de rester calme.
— Tu respires aussi fort qu'un griffon enrhumé, vieux frère.
Othar se détendit et rangea son épée dans son étui.
— Tu es aussi discret qu'un cocatrix. Sors de ta cachette.
Mes sourcils froncés n'engendrèrent qu'un sourire éclatant sur le visage de mon protecteur. Nous n'avions même pas besoin de nous voir pour connaître les réactions de l'autre. Cela avait parfois un côté très rageant.
— Cela fait longtemps mon ami, que fais-tu sur mes terres ? Que caches-tu si avidement derrière ton dos ?
— Quelqu'un que tu brûles de rencontrer, susurra-t-il en se décalant.
Mes yeux s'écarquillèrent et je restai bouche bée. Nul besoin d'être présentée pour savoir qui se tenait devant moi. Cela s'inscrivait sur chaque fibre de son être. Le prince Cirdan de Thyminie. Il était entièrement dissimulé sous une cape noire à l'exception de son visage. Ses yeux, de cette couleur améthyste si propre aux elfes, étaient pourtant bien différents. Ils me transperçaient de part en part, ne laissant aucune once de moi dans l'obscurité. La surprise fut remplacée par un sentiment bien plus puissant. Bien plus fort. De l'admiration. Il posa un genou à terre, sa cape s'ouvrant sur ses bottes de cuir. Ses cheveux d'obsidienne glissèrent légèrement sur son visage. Ses boucles encadraient ses traits jusqu'à son menton.
— Majesté, voilà des années que nous vous attendions.
Je fus incapable de prononcer le moindre mot. J'avais imaginé ma rencontre avec les héritiers des milliers de fois dans ma tête. Mais aucun scénario ne m'avait préparée à ça. À lui. Il se dégagea un charisme de lui. Il irradiait d'une aura de puissance. Une sorte d'assurance combinée à une chose intangible. Le Pouvoir. Il se releva et ses yeux me transpercèrent à nouveau. Il avança sans crainte, maintenant que tous connaissaient son identité. Ses commissures s'étirèrent en un rictus qui affola mon coeur. Face à moi, il me détailla des pieds à la tête, ne se cachant en rien. Une main gantée saisit la mienne et il déposa un baiser sur ma main.
— Vous êtes resplendissante, Majesté. Cirdan de Thyminie, pour vous servir.
Je me contentai d'incliner la tête respectueusement, incapable d'autre chose. Ses yeux pétillaient d'une lueur que je reconnaissais bien. L'espoir. Il se tourna vers mon protecteur à qui il sourit affectueusement. Les deux hommes se serrèrent dans leurs bras, dans une étreinte qui marquait les années passées.
— Cela fait combien de temps maintenant ? Trente ans ?
— Vingt-cinq précisément.
— Tu m'as manqué, vieux frère.
— Toi aussi Altesse.
— Garde ces politesses sans fond pour la cour, veux-tu ?
Ils se sourirent mutuellement avant de tourner leurs regards vers moi. Tous deux m'observaient comme si j'étais la solution à tous les problèmes. De la part d'Othar, j'y étais habituée mais je venais seulement de rencontrer le prince de Thyminie.
— D'ordinaire, elle est plus bavarde je t'assure, le rassura mon protecteur.
— Elle doit être impressionnée, cela fait souvent ça lorsque l'on me voit pour la première fois.
Leurs visages amusés se répondirent et je repris possession de moi.
— Elle n'est pas muette, juste surprise. Je pensais que nous ne croiserions personne avant d'arriver au palais, Othar. Tu me l'avais même assuré.
— Il ne faut pas vous en prendre à lui Majesté, j'ai perçu un étrange frisson et les arbres m'ont mené à vous.
— Je ne suis pas reine, inutile de m'appeler ainsi.
— En réalité, Majesté, vous êtes l'héritière présomptive d'Elios. Depuis la disparition de vos parents, vous êtes donc Reine.
— Je ne suis pas couronnée.
— Ce n'est pas la couronne qui fait la personne, Majesté.
— Cessez de m'appeler Majesté à chaque phrase.
— Bien Majesté, rétorqua-t-il, un rictus éclatant lui mangeant tout le visage.
Mon sourcil se haussa et je serrais les dents d'agacement.
— Est-il toujours aussi énervant ? interrogeai-je Othar.
— Cela vous est réservé Majesté, ne put-il s'empêcher.
Il se reçut une tape sur la tête de Thaos, qui ne partageait pas le même amusement que les deux elfes.
— Arrête de te comporter comme un enfant.
— Général Thaos, c'est un honneur de vous rencontrer, le salua Cirdan plus solennel.
— Altesse, plaisir partagé.
— Pourrions-nous nous remettre en marche, Altesse ? intervint Beorn. Nous ne sommes pas tous aussi sereins que vous en ces bois.
— Bien évidemment, Beorn. C'est un plaisir de te revoir. Mon père va être ravi.
Le métamorphe lui offrit un sourire empli de politesse.
— Rana, Mardil, Valacar, bienvenue chez vous.
— Merci Altesse, le remercia Rana, comment va votre soeur ?
— Isil ? Égale à elle-même. Elle sera ravie d'apprendre ton retour. Thalion également.
Le jumeau d'Othar lui servit un sourire crispé, mais personne ne le releva. Moi si.
— Pouvons-nous y aller ?
Les yeux du prince elfe me pénétrèrent à nouveau. Son sourire grignota son visage et des frissons parcourent mon corps. Je fis comme si je n'avais pas senti son esprit à l'orée du mien. Ayant grandi avec des elfes, il ne pouvait pas lire en moi si facilement, quand bien même il devait être une des seules personnes capables.
— Ma forêt est la vôtre Majesté, s'inclina-t-il en tendant son bras vers notre direction.
Je me remis en marche, tentant d'ignorer son regard qui me brûlait la peau. J'espérais ne pas réagir ainsi à chaque fois que je rencontrai un héritier, sinon, j'étais mal partie. Il m'emboita le pas pour marcher à mon niveau et m'offrit un sourire charmeur. Fichu elfe.
On rencontre enfin le prince héritier des elfes !!
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Des bisous
Jeanne
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