Chapitre 8 :
La trentenaire ajusta sa montre avant d'attraper son sac à main. Dans le salon, ses yeux fixa nerveusement la table basse, où un verre d'eau trônait à moitié vide.
Elle attrapa son téléphone et envoya un message à Lucie :
« Je vais arriver plus tard ce matin. Prends en charge l'accueil de la nouvelle recrue. Je t'appellerai pour plus de détails. »
Être à la tête de sa propre entreprise avait des avantages, se dit-elle en sirotant son café, le regard perdu dans les volutes de vapeur qui s'échappaient de la tasse.
Si elle avait eu un patron, aurait-elle pu prendre cette liberté ? Probablement pas !
Mais en contrepartie, ce choix venait avec d'autres sacrifices : les responsabilités infinies, la solitude d'être seule aux commandes et cette constante nécessité de prouver sa valeur.
Elle avait choisi cette voie, pour ne dépendre de personne. Et pourtant, parfois, elle se demandait si cette indépendance n'était pas un luxe qu'elle payait au prix fort.
Elle se souvenait encore pourquoi elle avait fait ce choix de vie. Le souvenir des années où sa famille avait tout juste de quoi vivre lui revint comme une lame froide. Son père, ouvrier à l'époque, ramenait un maigre salaire qui ne suffisait jamais à couvrir les besoins de leur foyer.
Elle revoyait sa mère, hésitante, demandant de l'argent pour des dépenses pourtant essentielles. Sarah n'oubliait pas les regards agacés de celui-ci, ni les soupirs résignés qu'il poussait en sortant quelques billets. Mais ce qui l'avait le plus marqué, c'était cette scène, un jour d'adolescence, où elle avait surpris sa mère en train de déchirer un vieux voile.
__ Qu'est-ce que tu fais, maman ? avait-elle demandé, perplexe.
__ On n'a plus de serviettes hygiéniques, avait répondu sa mère, nécessitant de croiser son regard.
À ce moment précis, une colère aigre avait jailli en elle. Pas contre sa mère, ni même contre son père, mais contre cette réalité injuste qui leur imposait de vivre avec si peu. Elle s'était juré que jamais elle ne vivrait cette humiliation, ni ne la ferait vivre à quiconque.
Aujourd'hui, elle et son frère, tous deux adultes et financièrement indépendants, avaient inversé les rôles. Avec la retraite modeste de leur père, c'était à eux de veiller sur leurs parents.
__ On peut maintenant leur offrir ce qu'ils n'ont pas eu... mais est-ce que ça suffit à effacer ce passé ? pensa-t-elle, la gorge serrée.
Un coup à la porte, la tira de ses pensées. Elle posa sa tasse et alla ouvrir. Nawal se tenait là, l'air éteint. Ses yeux rougis trahissaient une nuit sans sommeil.
__ Tu es prête ? fini-elle par demander doucement.
Une heure plus tard, elles étaient en voiture, roulant vers l'association que Sarah avait trouvée en ligne. Leïla, assise à côté d'elle, triturait nerveusement un mouchoir en papier.
Sarah, les mains sur le volant, laissa ses pensées vagabondes. C'était dans ces moments-là qu'elle réalisait à quel point être son propre patron pouvait être un privilège. Elle avait la possibilité de modifier son emploi du temps pour aider une amie, mais combien de personnes pouvaient se permettre une telle flexibilité ?
Le GPS les guida jusqu'à un bâtiment simple, aux murs blancs. Une enseigne dindiquait : « Solidarité et Soutien – Aide aux Femmes » .
Sarah coupa le moteur et se tourna vers Nawal.
__ On est arrivés.
__ Tu es sûre que ça va servir à quelque chose ? Les associations, les conseillers... c'est toujours la même histoire. Ils écoutent, compatissent, mais au final rien ne change.
__ Oui. Ces gens là ont vu des situations comme la tienne de dizaines de fois. Ils savent quoi dire et quoi faire... Mais la vraie question, c'est toi : es-tu prête à parler, à chercher de l'aide ?
Nawal hocha la tête, détournant le regard pour observer la rue par la fenêtre
__ Tu sais ce qui me fait peur ? finit-elle par dire d'une voix inaudible.
Sarah attendit, lui laissant le temps de formuler ses pensées.
__ J'ai peur qu'ils me disent que c'est de ma faute. Que si ma vie est comme ça, c'est parce que je n'ai pas fait le bon choix dès le début.
Sarah sentit une bouffée de colère monter en elle, contre tout ce système qui poussait les femmes à porter des fardeaux qui n'étaient pas les leurs.
__ Et si c'était le cas ? répondit-elle d'une vois calme mais ferme. Si tu avais fait des choix qui ne te plaisent pas, ça veut dire que tu ne peux pas en faire d'autres maintenant ? Que tu es condamnée à rester dans cette situation ? Non Nawal. Tu as le droit de changer de direction.
Nawal acquiesça, puis ouvrit la portière.
À l'intérieur, elles furent accueillies par une vieille dame au sourire bienveillant. Après quelques formalités, la jeune femme attendit dans une petite salle pendant que sa meilleure amie était conduite dans un bureau pour parler avec une conseillère.
Assise seule, elle regardait autour. Les murs étaient couverts de messages d'espoir : « Une nouvelle chance est possible. » ou encore « Vous n'êtes pas seules ».
Pas seules.
Sarah s'appuya contre le dossier de la chaise, laissant cette phrase tourner dans son esprit.
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