Chapitre 4 :
Une heure après la dispute, Sarah fut finalement sortie de chez ses parents. Elle fourra ses mains dans les poches de son manteau et descendit lentement les marches du perron.
La douleur était encore vive.
Elle se revoyait, un an auparavant, où elle avait découvert la trahison d'Hakim. Ils étaient fiancés depuis quelques mois, la date du mariage gravée dans leurs esprits et sur les lèvres de leurs familles. Tout semblait aller bien, jusqu'à ce qu'un soir, elle recut ce message inattendu d'une femme qu'elle ne connaissait pas.
__ Hakim te parle de moi ? Je veux juste savoir où je me situe.
Au début, la jeune fiancée avait cru à une erreur, un malentendu. Mais en le confrontant directement, elle avait vu la vérité se dessiner dans ses yeux avant même qu'il ne prononça un mot. Il avait d'abord nié, puis voyant qu'elle ne cédait pas, il avait explosé.
__ Sarah, c'est... Ce n'est rien, crois-moi ! Tu veux gâcher tout ça pour une fille qui cherche juste à semer la zizanie ?
Mais ce n'était pas « rien ». Tout ce qu'elle avait découvert par la suite, avait détruit le peu d'estime qu'elle lui portait. Il avait multiplié les infidélités avec une désinvolture qui la faisait frissonner aujourd'hui encore. Le pire, c'était la manière dont il s'excusait, comme si c'était à elle de comprendre et d'accepter.
Et pourtant, sa mère n'avait vu que l'embarras d'un mariage annulé.
__ Tu crois que tu es la seule à souffrir? Nous aussi. Comment tu veux qu'on relève la tête après ce que tu as fait ?
Ce qu'elle avait fait... C'était toujours de sa faute.
La jeune femme serra les poings dans ses poches, ses pas devenant plus rapides. Elle longeait maintenant l'ancienne aire de jeux où elle avait passé tant d'après-midi insouciantes. La balançoire grinçait doucement sous l'effet du vent et le bruit la ramena habituellement à ces jours où ses plus grands soucis étaient les devoirs à rendre ou les amies qui l'avaient ignorée le temps d'une journée.
Elle s'arrêta, regardant autour d'elle. Les souvenirs refirent doucement en surface, mais ils ne suffisaient pas à apaiser le nœud dans sa poitrine.
Sa mère lui avait tellement reproché cette soirée-là, d'avoir rompu avec son ex gendre.
__ Peut-être qu'il aurait changé. Les hommes ont besoin qu'on leur montre le droit chemin. Mais toi, tu es tellement têtue, tellement... égoïste !
Égoïste. Le mot avait résonné en elle comme un coup de poing.
Elle baissa la tête, en fixant ses chaussures. Elle n'était pas égoïste... Juste, elle avait fait ce qu'il fallait pour se protéger, pour refuser une vie où elle aurait constamment été rabaissée. Mais expliquer cela à sa mère revenait à parler à un mur.
Ses pensées furent vite interrompues par un un éclat de rire aigu. Elle tourna la tête et aperçue des femmes assis sur un banc. En les observant de loin, Sarah reconnues immédiatement : Louna, accompagnée de clara et Julie, deux anciennes camarades de classe.
__ Oh non, pas eux.
Elle n'était pas prête à les affronter et les éviter soigneusement ces derniers mois. Son instinct lui cria de faire un demi-tour. Mais trop tard. Louna remarqua sa présence.
__ Sarah ?! Eh, Sarah ! cria-y-elle avec un enthousiasme un peu trop exagéré à son goût.
Un frisson parcourut son dos. Elle hésita une seconde, mais s'efforça à avancer. Faire demi-tour aurait été pire. Ensuite, elle s'approcha lentement, un sourire figé sur ses lèvres.
Assises sur un banc, Louna, Clara et Julie avaient l'air d'être parfaitement à leur place. Elles la scrutèrent de la tête aux pieds, leurs regards appuyés comme pour évaluer sa tenue.
__ Salut, Vous, dit-elle en tentant de garder un ton neutre. As salamou anlaykum.
Elles la regardèrent avec un mélange de curiosité et d'amusement avant de répondre en même temps.
Puis, Louna lui fit une place, tapotant le banc.
Sarah s'assit, plus par obligation que par envie.
__ Ça fait longtemps ! dit sa voisine. Assieds-toi ! On discutait justement de... tu sais, la vie, les hommes... tout ça. Toi, comment tu te portes ?
Son sourire, plein de sous-entendus, déclencha un léger rire chez Clara. Julie, fidèle à elle-même, observa le silence.
Le sarcasme était subtil, mais elle le sentit instantanément. Elle esquissa un sourire trop croustillant.
__ Bien grâce à Dieu. Et toi ?
Mais avant que Louna ne puisse répondre, Clara intervint, son regard malicieux fixé sur la trentenaire.
__ Dis, Sarah... T'as toujours personne dans ta vie ? Pas de fiancé, rien ? demanda-t-elle, en arquant un sourcil.
Sarah sentit sa poitrine se serrer. Elle avait appris à encaisser, mais là, après tout ce qu'elle avait déjà entendu chez ses parents, elle se sentait plus vulnérable.
__ Non, pas encore, dit-elle, tentant de garder son calme. Ce n'est pas une priorité pour moi.
Elles s'échangèrent des regards amusés entre eux, comme si elles étaient témoins d'un spectacle comique.
__ Oh, tu sais, de mon côté je fais ce que je peux. Mais au moins, on ne reste pas seules. C'est important, non ?
Louna lança un regard appuyé à Clara, qui éclata d'un rire discret.
__ Oui, c'est important,... Mais encore faut-il trouver quelqu'un qui en vaille la peine.
__ Ah, mais il ne faut pas être trop difficile, dit Louna, son sourire élargit. Il faut parfois accepter les imperfections. Mais bon, certaines d'entre nous aiment attendre... un peu trop. Tu vois ce que je veux dire ?
Sarah croisa les bras dans sa poitrine. Elle savait exactement où elle voulait en venir.
__ Mieux vaut attendre la bonne personne, que se précipiter et regretter, répondit-elle calmement.
Julie haussa un sourcil.
__ Oh, tu parles d'Hakim ? C'est dommage, vous faisiez un si joli couple. dit-elle.
Clara renchérit, sa voix douce, faussement innocente.
__ C'est vrai. Il te dévorer des yeux. Pourquoi ça n'a pas marché, au fait ?
__ Tu veux dire avant ou après qu'il m'ait trompée avec trois femmes différentes ? Ou peut-être quand il m'a menacée parce que je refusais de revenir vers lui ?
Julie ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Louna détourna les yeux et Clara paraissait soudainement fascinée par ses ongles.
Sarah continua, sa voix tremblante mais ferme.
__ Alors oui, j'attend. Parce que je mérite mieux que ça.
__ Oh, Sarah, on ne voulait pas te vexer. C'est juste... une conversation légère, tu vois ?
Sarah secoua la tête.
__ Vraiment ? Vous vous réunissez pour juger celles qui ne vivent pas comme vous,... et vous appelez ça une conversation légère ? Mais laissez-moi vous dire une chose : vivre seule n'est pas une punition. Mais rester avec quelqu'un qui vous détruit, ça l'est.
__ Mais, à ton âge, ça commence à devenir urgent, dit Clara.
Sarah planta son regard dans celle-ci.
__ Urgent pour qui, justement ? Je ne crois pas qu'il y ait une date limite, dit-elle en serrant les dents. Je ne suis pas pressée de finir ma vie avec quelqu'un, juste pour éviter d'être vue comme une célibataire en crise.
__ C'est vrai, mais bon... À un moment donné, il faut penser à l'avenir.
Le ton faussement compatissant fit bouillonner la jeune femme. Elle se refusa de céder totalement à la colère.
Un silence lourd s'installa. Julie détourna les yeux, mal à l'aise.
__ Eh bien... je pense que chacun a son propre chemin à suivre, finit-elle par dire, en s'imposant de garder sa dignité qui se dissout peu à peu sous la pression.
Elle déglutit difficilement, se sentant plus seule que jamais dans ce cercle d'amies qui, autrefois, avaient été les filles avec qui elle passait des heures à discuter.
__ Oui, mais... il faut bien que tu comprennes que tu perds ton temps à vouloir construire une carrière avant d'avoir une famille, dit sagement Julie.
Les autres acquiescèrent en silence, comme si c'était une vérité universelle.
Sarah se sentit comme une adolescente prise au piège dans une discussion qu'elle n'avait pas anticipée.
__ Franchement, c'est bizarre... T'as tellement l'air d'avoir tout et pourtant, tu es toujours célibataire. C'est quand-même... inquiétant de finir seule.
__ C'est drôle que tu dises ça, Louna, rétorqua Sarah. Parce que, de ce que j'ai entendu, ton mari passe plus de temps à voyager qu'à être avec toi. Tu dois souvent te sentir seule, non ?
__ Tu sais, c'est pas que... c'est juste que tu es déjà assez vieille pour avoir des enfants. T'as bien une horloge biologique. C'est pas un peu angoissant ?
Sarah éclata de rire, un rire qu'elle tenta de garder léger mais qui résonna étrangement fort.
__ Une horloge biologique ? Clara, on dirait que tu viens de découvrir les lois de la nature. Merci, mais je n'ai pas besoin de « me précipiter ». Tu sais, l'angoisse, c'est quand on fait quelque chose juste parce que tout le monde le fait.
Sarah ne s'arrêta pas là, car son esprit était surchauffé.
__ Franchement, vous me faites rire, dit-elle. Comme si ma vie vous préoccupait plus que la vôtre. Sachez que si n'ai pas encore trouvé quelqu'un, c'est parce que je ne me contente pas de n'importe qui.
La jeune femme sourit, mais ses yeux furent glacials.
Désormais, ses camarades complètement silencieuses, visiblement déstabilisées par sa réponse tranchante.
__ Bon, on sait bien que tu préfères t'enfermer dans ton travail et ton petit monde plutôt que d'essayer de rencontrer quelqu'un. dit Louna, dans un dernier effort pour reprendre le contrôle de la discussion. Ça te fait peur, de sortir de ta zone de confort.
__ Peut-être que j'aime justement mon monde. Peut-être que c'est toi qui as peur de te rendre compte qu'une vie entière ne se résume pas à un homme à ses côtés.
Le silence fut désormais total. Sarah se permit de savourer sa victoire silencieuse. Elle avait une montée d'adrénaline et ses lèvres se plissèrent en un sourire qui ne masqua plus du tout son agacement. Elle était fatiguée de leurs jugements à l'emporte-pièce, et maintenant, les remarques qu'elle s'apprêtait à faire n'auront aucun filtre.
__ Quant à toi, Clara, j'ai entendu dire que ton mari aimait bien diversifier ses goûts . Mais bon, qui suis-je pour juger, hein ?
Les filles échangèrent des regards tendus. Julie, la plus silencieuse du groupe jusqu'alors, tenta de calmer la situation.
Mais Sarah n'avait pas terminé. Elle les regarda droit dans les yeux, avant d'enchaîner.
__ Et au lieu de me juger, vous feriez mieux de vous poser la question : pourquoi vous avez tant besoin de me critiquer pour vous sentir mieux dans votre peau, conclu-t-elle. Vous savez quoi ? Je dois y aller. Certaines d'entre nous ont des vraies choses à faire. Bonne soirée les filles.
Elle tourna les talons, ses pas résonnant sur le sol comme un gong et son cœur battant fort comme s'il voulait sortir de sa cage thoracique. Elle ne leur devait rien. Pas d'explications, pas d'excuses.
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