Le poids de ta main

Des lunettes sur le nez, Sakura lisait le dernier document de la pile que Tsunade lui avait demandé de regarder. La médecin de 19 ans n'avait émis aucune complainte sachant que sa professeure quitterait bientôt à nouveau le village et lui laisserait la gestion de l'hôpital. Cette perspective l'empêchait de dormir certaines nuits. La femme avait l'impression que peu importe combien elle apprenait et approfondissait la science de la médecine, ce n'était jamais assez, qu'elle ne serait jamais à la hauteur de la Godaime. Un stress qui faisait ses doigts taper nerveusement sur le bureau et glisser ses lunettes à cause de la sueur. Elle remonta l'accessoire d'un doigt, son autre main écrivant rapidement laissant des gribouillis incompréhensibles pour ceux ne travaillant pas dans le domaine de la santé. Plusieurs diraient que tous les docteurs écrivaient mal. Ce qui en soit n'était pas faux, mais le personnel médical savait que seulement la vitesse les faisait ainsi écrire et à force, les médecins prenaient l'habitude, oubliant de prendre leur temps. Un concept qui n'existait même pas réellement dans le monde médical. Chaque manipulation était comme une bombe à retardement. Chaque moment d'attente était une seconde de plus où le corps vivait dans son mal. Non, personne ne pouvait se permettre de prendre son temps. Une seconde s'égrenant était le lapse de temps où le personnel prenait sa décision et c'était ce qui rendait le monde médical si productif, mais aussi ce qui rendait ce monde rempli de personnes au bord du burn-out. Un problème que la Senju avait essayé de corriger. Cependant, pour cela, il aurait fallu que la nouvelle génération prenne un intérêt pour ce domaine. Sauf que sur la vingtaine de genins qui graduait par an, il était un miracle en soi qu'un(e) ait assez de détermination pour entreprendre ce long chemin sinueux. Bien sûr, la plupart des ninjas apprenait la base en allant quelquefois au-délà, mais la pensée de rester au village dans un hôpital les faisait aussitôt se détourner de cet art. La population civile quant à elle méprisait ce métier quasiment autant que les shinobis. D'un côté, travailler dans le monde médical signifiait un travail à temps plein rebutant les hommes d'épouser une femme dans ce milieu et de ne pas prendre l'héritage marchand de ses parents, car la majorité des civils étaient des marchands. Sakura elle-même avait été une fille de marchands destinée à marier un homme qui prendrait en charge le commerce familial. À la place, elle était devenue une médic-nin. Un poste méprisé à travers la communauté ninja. Les médic-nins étaient vus comme des ratés n'ayant pas les capacités nécessaires pour aller au front. Une croyance sexiste puisque le monde médical était grandement constitué de femmes et que la même chose n'était pas dite des équipes de traque. Elle aurait pu s'épancher des jours sur les inégalités de la société dans laquelle ils vivaient, mais un coup sur le porte la sortit de ses pensées tourbillonnantes. Sans attendre sa réponse, un homme au teint pâle apparut dans le cadre. Ses sourcils étaient froncés, s'interrogeant certainement sur une situation sociale. La bouche du ninja était droite ne relevant aucune émotion et ses yeux fuligineux étaient deux puits où rien ne transparaissait. Les longues jambes de l'ancien coéquipier de Sakura, couvertes d'un simple pantalon ample, l'amènerent devant la femme. Cette dernière releva des yeux fatigués sur l'homme. Loin de s'haïr, ils étaient devenus ce qu'on pourrait qualifier d'amis. Deux amis s'entraidant, lui pour ses émotions, elle pour ses arts ninjas. Alors qu'il vint la voir un dimanche matin, la kunoichi n'en était pas vraiment surprise. Elle fut encore moins étonnée lorsqu'il lui annonça être malade. Pour Saï, chaque nouveau sentiment était comme une maladie, inconnue à son corps et le parasitant. Se levant, Sakura ramassa les feuilles pour les déposer dans les bras de l'homme. Il la fixa d'un oeil morne.

-Tu m'expliqueras en route.

Le panneau de bois se renferma derrière eux tandis que Saï prit la parole, les lèvres cachées par la tour de documents.

-La main d'Ino s'est posée sur mon épaule et mon cœur a semblé battre plus vite.

Sakura sourit en lui levant les sourcils suggestivement bien qu'un goût amer lui ait remonté dans la bouche. Quelque chose qu'elle blâma sur l'absence de son hydratation.

-L'amour, peut-être ? proposa-t-elle.

Il sembla réfléchir un instant.

-Je ne pense pas. Les livres disent que c'est agréable. Ce ne l'était pas. Enfin, je ne pense pas. Mon corps s'est tendu et s'est déplacé pour rompre le contact.

-Oh, alors tu as raison. Ce n'est certainement pas ça. Probablement du stress face au contact dû aux abus durant ton enfance.

Avec tout autre patient, elle aurait pris des pincettes, mais c'était Saï et si on ne lui disait pas clairement, ça ne semblait pas être traduit. L'homme enregistra ses mots, les sourcils froncés. Sans même qu'il ait à ouvrir la bouche, elle savait que quelque chose avec cette théorie le perturbait.

-Pourquoi ça ne me fait pas ça lors de tes examens, mocheté ?

Sakura fit fi du surnom.

-Probablement parce qu'ils sont médicaux et que tu as confiance en mon professionnalisme.

Elle avait, il y a longtemps, cessé de frapper ses camarades si on excluait les entraînements amicaux. La femme pouvait encore se souvenir du moment où Naruto avait placé ses mains sur sa tête en prévention du coup et que trop choquée, elle n'avait rien fait. Depuis la médecin avait étudié les conséquences de tels comportements et il ne se passait pas un jour sans qu'elle ne détestait cette gamine qui avait levé la main sur ses coéquipiers.

-Mais si ça te met mal à l'aise, dis-le à Ino-pig, elle arrêtera son flirt.

Il hocha la tête pensivement en ouvrant du pied la porte du bureau de l'Hokage.

-Entraînement ? suggéra la femme au moment où ils entrèrent.

L'homme ne fit qu'acquiescer tandis que la porte se referma derrière eux.

Des créatures d'encre couraient à toute allure vers la forme de Sakura. Des serpents se déplaçaient vers ses mollets, se camouflant dans les herbes hautes du terrain d'entraînement. Saisissant son katana, Saï lui apprenant le kenjutsu, elle éventra les monstres à quatre pattes. Quelques taches du liquide noir éclaboussèrent ses joues alors qu'elle pirouetta dans les airs pour endommager l'oiseau sur lequel était son ami. Dès que son arme s'enfonça dans l'aile du volatile, des créatures de toutes sortes se mirent à pleuvoir sur elle. Prenant appui sur le manche de son épée, elle sauta au moment où l'oiseau disparut dans une gerbe d'encre, son arme tourbillonnant massacrant le plus de bêtes possibles. Pendant une fraction de seconde, les yeux de Sakura croisèrent ceux de Saï qui dessinait à toute vitesse. Lui adressant un sourire, la femme créa une onde de choc dans les airs qui annihila toutes les créatures. De l'encre imbiba le sol tandis que Sakura effleura du bout des orteils le terrain avant de courir, le katana dégainé, vers Saï, sortant à son tour son arme. Les lames s'heurtèrent avec bruit. Ne perdant pas de temps, les deux ninjas se séparèrent. Saï manœuvra son épée fluidement pour trancher l'épaule de Sakura. Une attaque que la femme para de son propre katana. Se déplaçant de quelques millimètres, elle plongea en avant, visant à lacérer le torse de son ami. Lequel esquiva tout en profitant de sa garde ouverte pour pointer le bout de sa lame vers son flanc gauche. Se déplaçant sur son axe, elle évita le coup. Toutefois, la kunoichi se retrouva bien vite une lame apposée sur la trachée. Respirant fortement, les veines de sa gorge palpitaient sous le métal. L'homme lui faisait face, son visage couvert d'une fine sueur. Un sourire victorieux conquit les lèvres de la femme.

-J'ai réussi à te faire transpirer, dit-elle avec enthousiasme.

-Tu t'améliores, mocheté, admit-il en rangeant son katana dans son fourreau.

Son ton était une octave plus basse à cause de l'effort et cela initia une réaction impromptue chez Sakura. Le cou de la médecin s'enflamma alors que son esprit imagina les doigts de l'homme jouer sur sa peau nue, l'individu murmurant la même phrase. Une pensée qu'un ami ne devait pas inciter. Enfin, elle pensait, pas que son esprit soit assez clair en ce moment pour en décider. Sa rougeur monta à ses joues lorsque ses pensées s'emplirent de touchers fantomatiques sur sa clavicule et le dessus de ses seins. S'empressant de chasser ces images obscènes, elle prit conscience du bruit frénétique d'un crayon sur du papier. Sakura leva la tête vers son ami à l'instant au moment où le bâton cessa de s'agiter. S'approchant du carnet, elle attendit son accord pour jeter un œil au dessin. Un reflet d'elle-même ornait la page. Chaque trait précis avait son importance et la beauté éthérique du portrait coupa le souffle à Sakura. Ce n'était pas qu'elle se trouvait d'une telle beauté, loin de là, mais la façon dont l'homme avait réussi à capturer l'émotion dans les perles verdâtres de Sakura qui la fascinait. Les doigts pâles de Saï reposaient sur ses yeux, effleurant le papier comme s'il essayait de capturer ce sentiment. Pour une fois, elle fut contente qu'il ne put définir les émotions, car les prunelles fiévreuses et désireuses du dessin ne laissaient place à aucun doute. Elle ne dit rien. Ce fut le bruit du déchirement de la feuille qui rompit le silence suivi du grattement de la mine sur le verso du portrait. En pattes de mouche, le titre suivant s'y lisait: «Mocheté, 19 ans.» Elle soupira. Irrécupérable.

Quelques jours avaient passé quand Saï se présenta à elle, le même regard questionneur sur le visage. Le soleil tapait sur sa peau de craie teintée de gouttelettes de sang tandis qu'il traversait la cour intérieure où une nuée d'enfants s'amusaient à grimper des barreaux ou à descendre des glissades. Pour certains, cependant, ils ne pouvaient qu'observer, confinés dans leur chaise roulante. Ce furent ces derniers qui remarquèrent en premier la grande et élancée silhouette de l'homme. Dès qu'ils comprirent que le ninja venait voir Sakura, plusieurs commencèrent à murmurer étant la première fois qu'ils le voyaient. Tous les patients de la femme connaissaient Naruto et Ino, les deux se pointant toujours pendant ses pauses, en hurlant de préférence. Captant quelques bribes de conversation, elle tourna la tête vers lui. Contrairement aux enfants, les yeux experts de la médecin prirent en compte le sang peu apparent. Se levant pour aller à sa rencontre, du chakra vert se mit à briller automatiquement de ses mains. Elle souleva la manche d'où quelques sillons pourpres s'échappaient.

-Saï, tonna-t-elle en réparant les tissus déchirés.

Il l'ignora totalement pour prendre une des mains de la médecin pour la poser sur son épaule nue, un regard concentré. La chair tendue chauffait la paume de Sakura alors que la colère montait en elle. Une émotion qui fut remplacée par un choc face aux paroles de Saï:

-Ce n'est pas désagréable. Pourquoi ?

Ses prunelles inquisitrices se figèrent dans les siennes, attendant des réponses que la bouche muette de Sakura n'arrivait pas à fournir. Ses lèvres s'agitèrent, oscillant entre l'engueuler là maintenant devant tous ces enfants ou attendre qu'ils soient seuls. La première option fut finalement choisie.

-Tu te présentes avec une blessure assez profonde et la première chose que tu me demandes c'est pourquoi ma main sur ton épaule ne te met pas mal à l'aise ? s'écria d'une voix étranglée Sakura.

Cette partie d'elle qui avait imaginé ces images déplacées la dernière fois voulait prendre ce visage rempli d'incompréhension entre ses doigts pour qu'il observe la préoccupation que ses yeux dégageaient. Elle résista, ils n'étaient qu'amis après tout. Malgré les multiples nuits où elle s'était interrogée sur ce que Saï était devenu pour elle, la réponse lui filait toujours entre les doigts et elle avait décidé que l'amitié était le seul sentiment possible qu'elle avait envers l'homme. Pourtant, à ce moment, elle n'en avait jamais été aussi peu sûre. Pas quand sa main pouvait sentir une veine battre sous ses récepteurs sensoriels, pas quand il la fixait comme si elle détenait les réponses aux plus grands mystères de l'humanité. Avalant sa salive en évitant son regard, elle retira sa main de son épaule l'utilisant pour finir de soigner l'homme.

-Je ne sais pas pourquoi, Saï. Peut-être parce que tu as confiance.

-J'ai confiance en Naruto, mais ce n'est pas si agréable quand il me tape dans le dos.

Elle a un peu ricané.

-Probablement parce qu'il n'est pas la douceur incarné.

Il réfléchit tandis que la lueur verte dans ses mains s'éteignit.

-C'est différent.

-En quoi, Saï ? demanda-t-elle, patiente.

À nouveau, il prit cet air pensif.

-J'aimerais te dessiner jusqu'à ce que mes doigts soient couverts d'ampoules et que le poids de ta main sur mon épaule devienne mon quotidien, avoua-t-il pensivement.

La bouche de Sakura s'ouvrit en grand, son cœur manquant un battement.

-Ça me fait rechercher ta compagnie aussi ce qui est étrange, car je peux t'assurer qu'avant la guerre, je la fuyais, ajouta-t-il toujours perdu dans son train de pensées.

La mine de la femme se refrogna légèrement à ça avant de reporter son regard sur l'homme. Une chaleur inconnue bordait les coins des billes noires. Ce fut probablement à cause de cette once de lueur qui signifiait plus que tout pour Saï, qu'elle déposa un baiser sur la joue du ninja, agissant impulsivement. Alors que ses lèvres effleurèrent la peau lisse, elle reconnut qu'il n'avait jamais été question d'amitié que ce soit pour ces trois derniers jours ou ces semaines lors desquelles elle l'avait observé à la dérobée mettant cela sur la cause de tout et n'importe quoi. Le bras de Saï l'enlaçant la sortit de ses pensées hasardeuses. Une affection qu'elle n'avait jamais cru pouvoir voir dans ce regard calme brûlait alors qu'il relâcha sa taille doucement.

-Ou peut-être que je préférais que ce soit le poids de tes lèvres sur ma joue qui devienne quotidien.

Pour la plupart des couples, les relations commençaient avec un baiser. Pour Saï et Sakura, tout n'avait commencé qu'à partir d'une lueur chaleureusement humaine qui signifiait plus que n'importe quel baiser. 

***Je ne sais pas si c'est trop rapide. J'essaye de faire du mieux que je peux pour les longs one-shots romantiques, mais il me manque encore de la pratique. Bref, si vous avez des conseils.***

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