V
Aidann avait réussit, entre les notes de son carnet flétri aux pages rongées de mots et de tâches, à extraire quelques sens essentiels. Il montrait les mots en caractères universels à Bloem, qui les corrigeait à l'oral, et lui montrait l'objet en question. Cependant, Aidann avait vite rencontré des difficultés imprévues: alors qu'il désignait le mot "glavo", si souvent entendu, qu'il avait cru comprendre comme étant l'équivalent de "couteau", il fut surpris quand Bloem étendit ses bras pour lui montrer l'intégralité de leur environnement. Aidann montra une pierre pointue du doigt, et dit "glavo" - Bloem acquiesca, mais il se leva et toucha un arbre: "glavo", dit-il. Puis, il répéta le mot en touchant une feuille, ses propres cheveux, des galets lisses et finalement, en pointant son doigt sur Aidann: "glavo". Aidann comprit alors que "glavo" signifiait "tranchant" ou "coupant", et que cet adjectif pouvait désigner pour Bloem autant une branche que lui-même.
Ensuite, Aidann entailla légèrement son doig sur une ronce qui rampait près de ses jambes, et monra la perle rouge qui apparut au bout de son doigt: "arane" dit-il. Bloem acquiesca, mais de nouveau, indiqua d'autres objets: une pétale, un insecte, de nouveau une feuille, puis montra son propre corps: "arane". Ainsi, arane voulai dire "ce qui peut-être tranché", ou "ce qui est fragile": arane pouvait être la feuille qui se déchire, mais cette même feuille pouvait être le glavo qui tranche les peaux blanches.
"Bloem", sourit Aidann en désignant son ami, qui acquiesca. Mais Bloem souleva de nouveau son doigt, et designa le peuple derrière, allongé autour du lac - "Bloem", dit-il en montrant un enfant en train de rire; "Bloem" dit-il pour la fille aux dents rondes, assise près du jeune homme de la cérémonie, "Bloem" enfin, pour l'homme géant du premier jour. Bloem n'était pas un prénom, mais une entité, un tout, un peuple. Le jeune homme du désert eu la triste impression que devant lui se dressait un inconnu, dont il ne possédait pas même le nom.
Aidann se montra lui-même, et demanda: "Bloem?". Bloem rit, et dit non d'un geste de la main - "Aidann" répondit-il, comme l'évidence qu'on répond aux questions simples des petits enfants.
Bloem, amusé du jeu, posa la main sur son coeur et dit "Alm" - puis, il désigna le couple de la cérémonie, et dit "Alm". Enfin, il se montra lui-même, puis montra Aidann, et dit plus doucement "Alm". Aidann sentit son coeur s'épanouir brusquement, couper la respiration qu'il s'apprêtait à prendre, quand il comprit que Alm était le coeur, le couple, mais aussi l'action d'aimer, le mot pour communiquer son amour. "Alm", répéta-t-il, les joues cramoisies - le sourire de Bloem, qui ne comprenait pas cette soudaine réaction, grandissait d'amusement.
Si l'approche de l'amour differait grandement dans cette confrontation entre deux peuples, ce n'était pas la seule chose. Aidann comprit que le peuple de la forêt traitait d'une égalité pure toutes les formes de vies - que ce soit celle de la mousse, des insectes, des animaux et des hommes. Blom désignait autant l'éclosion d'une fleur qu'une naissance, adje était une formule de respect qu'on adressait aux anciens comme à l'herbe. Aidann se rendit alors compte qu'il n'avait vu aucune personne véritablement agée dans ce peuple, mais si Bloem comprit sa quesion, il ne répondit rien.
Le jour, le soleil, la lune et la nuit était la même chose - aeen -, ce qui voulait aussi dire "lumière"; l'obscurité, l'ombre entre les feuilles, ou la noirceur d'une eau était eaan. Le dur et le mou, le froid et le chaud... il n'existait pas de telles distinctions, car la pluspart du temps, ces éléments étaient désignés de glavo, à ne surtout pas approcher.
Cette langue si simple - adaptée aux silences dominants dans leurs communications - était pourtant complexe aux oreilles étrangères. Si Aidann absorbait tant qu'il le pouvait les mots, il n'arrivait pas à comprendre la structure de phrases à but autre qu'informatif - où il suffisait de prononcer l'idée clef: "attention" était glavo, "je t'aime" était alm, "félicitation" était blom; jamais d'idée inutile comme "il fait beau" ou bien "j'ai faim" ne pouvait s'exprimer - ce système évitait les plaintes, et n'en autorisait qu'une seule: "j'ai mal", arane. On se saluait en s'effleurant les cheveux, on se quittait sans rien se dire. On ne remerciait pas, on n'accusait pas - si ce n'est par le regard. Certaines intonations comme eide ou maravele traduisait une accentuation de l'idée, soulignait de bonheur le mot qui suivait. Au contraire, aide et mechevele annonçait une triste nouvelle, ou montrait une peine éprouvée.
Dans un tourbillon de mots, de gestes et d'expressions, Bloem lui apprenait sa langue, qu'Aidann capturait à l'encre blanche sur ses feuilles brunes et durcies. Il répétait ensuite leur traduction en langue du désert, et Bloem riait en prononcant les syllabes dures, avec un accent qui arrondissait les angles des mots, polissait leurs formes raclantes. Aidann fut touché de la musicalité que Bloem apportait à sa langue maternelle, et jamais il ne trouva le mot "amour" plus charmant que dans sa bouche.
- Aidann, voilà que tu ré-apparaît de nouveau le soir ! s'exclama Guul dans son dos.
- Guul, c'est fascinant !
- Quoi donc ? Tes disparitions ? Nous sommes d'accords !
- Te rends-tu compte que ce peuple parle un language dénudée de toute notion égoiste ! Regarde - il lui montra son carnet noircit - ils ne nomment pas les choses, car ils n'estiment pas les posséder ! C'est merveilleux, tu ne trouve pas ?
- Et bien, oui, c'est très collectif comme façon de parler, dit finalement Guul, accroupit, les sourcils froncés sur les lettres blanches qui se bousculaient.
- Collectif, répéta Bloem en souriant.
- Comment, voilà que cette énergumène parle notre patoi !
- Il apprend aussi vite que je prends des notes. Je n'ai jamais vu pareil talent: il retient sans même se concentrer !
- Vraiment ? Voilà qui plaira à notre vieille ancêtre.
- Ils abordent le monde d'une manière tellement simple, mais en même temps, tout se joue dans les intonations, le contexte, où même les yeux ! As-tu déjà vu des regards plus expressifs que les leurs ?
- Oui, enfin.. non, tu as raison. On dirait bien que tu as ré-apprit à parler, toi aussi, d'habitude si taciturne !
- Et tu as entendu la musicalité de cette langue ? Les pires mots deviennent agréables ! Et regarde, le soleil est aussi la nuit, car tout deux sont de la lumière ! La nuit ici est si claire, qu'ils ne la différencient pas du jour si sombre. N'est-ce pas éclatant de poésie ?
- Maravele, résuma Bloem qui saisissait les mots rapides.
- Voilà que tu t'enflamme, mon petit. Range-moi ce carnet, avant que ta langue n'implose. Sinaya te cherche, elle a pleuré tout à l'heure.
Guul se releva, coupant cours à l'enthousiasme d'Aidann, dont le visage s'était brusquement fermé.
- Je ne suis pas responsable de ses états d'âmes, dit-il durement.
- Tu le lui dira toi-même. Nous partons demain à l'aube, les os d'Aguul craquent dans cette humidité comme une plaque de sable trop sec. Tu agiras à ta guise, ajouta Guul avant de s'éloigner.
Bloem assit près de lui, et lui dit en désignant Guul:
- Coeur de sable n'aime pas forêt.
Il effleura les cheveux d'Aidann:
- Coeur d'Aidann, aime Bloem.
***
Le départ pour l'aube n'était pas une plaisanterie. Sinaya avait ignoré Aidann toute la soirée, et boudé de son air le plus insolent les sourires de Bloem. La sagesse d'Aguul s'était aigrie sous la douleur de ses articulations, et Guul n'avait rien ajouté à leur conversation, même si jamais il ne montrait des signes de colère.
Aidann sentit dans son sommeil le jour émerger d'entre les feuilles, et fut complètement réveillé par les grognements ensomeillés de Sinaya que Guul secouait du pied. Il se redressa et regarda instinctivement la place près de lui: il n'y avait plus personne. Il toucha de sa paume l'herbe tassée, où ne restait aucune trace de chaleur témoignant cette dernière nuit passée auprès de Bloem. Lorsequ'il releva ses yeux où persistait les marques lourdes du sommeil, il vit que la clairière était vide. Où plutôt, que tout ses occupants s'étaient réunis à la lisière. Guul qui s'approchait de lui lacha:
- Que font ces énergumènes, si tôt le matin ?
Aidann sentit ses jambes bouger toutes seules, irrémédiablement attirées par la réunion silencieuse, décidé à ne pas partir sans voir une dernière fois son ami.
- Et où vas-tu, mainenant ?
- Je vais juste voir ce qu'il se passe, là-bas. Attendez-moi.
- Douce Mirabaille ! Je viens avec toi !
- Et moi aussi, ajouta la vieille Aguul qui arrivait - elle éleva la voix -, Sinaya, vient ici ! N'es-tu pas curieuse ?
Sinaya ne répondit rien, mais s'approcha fièrement. L'odeur des étoiles imprégnait encore l'air, et le soleil, rond comme une orange, s'élevait juste dans les dos blancs du petit peuple. Ensemble, ils hésitèrent à marcher vers eux - la scène revêtait des aspects religieux. Les familles s'engouffrèrent alors des le bois dense, rapides, les enfants derrière. Seul resta Bloem, à moitié dans l'ombre, à moitié dans le soleil, qui ne regardait qu'Aidann. Aux appels des siens, il disparut. Aidann avança à son tour, traversa la clairière, et s'appréta à plonger dans les feuilles.
- Douce Mirabaille ! Aidann, s'essouflait Guul. Es-tu bien sûre que c'est une bonne idée ? Nous ne devrions pas nous imposer..
- Il m'a dit de le suivre.
Guul souffla d'un air impuissant, une main sur sa poitrine palpitante:
- Et bien, suivons-le !
La traversée de la forêt fut particulièrement longue. Sinaya trainait ses pieds, et Aguul prit vite place sur le dos de Guul, qui ne perdait pas son humeur joviale, et taquinait la petite pour la faire avancer. Aidann voyait parfois un éclat blanc entre les feuilles, un regard vert le guider, qui disparaissait aussitôt.
- J'espère que ce beau monde va bien quelque part, grommelait Sinaya, qui portait entre ses petites mains les épais tissus de sa robe.
- Pourquoi enmène-tu partout tes jupes ? la grondait Guul.
Alors Sinaya le regardait l'air profondément choqué, et repondait:
- Plutôt mourir que de me séparer de ma tenue de prière !
Guul et Aguul haussait des épaules en même temps. Plus ils pénétraient dans la forêt, plus les arbres se faisaient immenses, comme étirés d'une main invisible jusqu'à la voûte qui se cachait derrière leurs branches. De plus en plus épaisses, ces branches donnaient à chaque pas, une impression grandissanter d'avancer sous la terre - ou bien en pleine nuit. Quelques yeux jaunes luisaient comme des soleils dans la verdure, et Aidann se demanda quelle faune peuplait ces lieux si grouillants de bruits, gardés par les énormes oiseaux aux plumes vertes. Un nouvel éclair blanc se détacha du fond, pour lui faire changer de direction. Un insecte long comme un serpent et épais comme un doigt, fait d'anneaux munis de petites ailes bleutées, coula dans les air près de son oreille. Il se retourna juste à temps pour voir Guul s'écrouler d'horreur, sous les injures de son fardeau effrayé.
- Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? s'exclama Sinaya.
- Un insecte ! Enorme ! Douce Mirabaille, quelle frayeur !
- Voilà les anciens qui ont peur d'une chenille volante, rit Sinaya, en écartant d'un geste le myriapode ailé.
Aidann sourit, et sentit un vent lourd et velu s'infiltrer autour de lui jusqu'entre ses cheveux - une armée d'insecte passait comme un torrent, fendu par sa silhouette immobile. Les Kraaaliens hurlèrent, et se plaquèrent contre la mousse, proférant de longues litanies de fin du monde. Sinaya elle, tournoya entre les scolopendres, l'air émerveillée.
- Regardez, cette couleur bleue, on dirait des morceaux de ciel !
Le nuage azuré s'éloigna, et Aidann dit d'un ton pressant:
- C'est terminé. Aguul, Guul, nous repartons.
Et ils repartirent, les jambes de Guul toujours tremblantes sous l'émotion violente. Aidann n'arrivait pas à savoir depuis combien de temps la randonnée s'étirait - les broussailles absorbait le temps comme la lumière, et si Bloem n'apparaissait pas parfois pour le guider, il aurait penser être complètement perdu.
- Comment cette forêt peut-elle être si grande ! Quelle idée Mirabaille a-t-elle eu de planter autant de graines ! Le sable suffit bien au bonheur de l'homme, se plaignait Sinaya.
Les troncs, en plus de s'allonger, s'épaississaient, si bien que l'espace entre les arbres rapetissait à vue d'oeil. Il fallut bientôt avancer sur le côté, pour pouvoir traverser les couloirs bruns.
- A-t-on idée de faire marcher des gens du désert dans un endroit clos, frissonait SInaya, qui malgré son insolence, perdait les couleurs de sa voix.
Aidann se sentait de moins en moins rassuré, et son souffle s'accélerait à mesure que l'étau se ressérait. Des sueurs froides dans le dos, ses pas n'étaient plus guidés que par l'idée de Bloem l'attendant au bout du tunnel.
- Je n'avançerais plus, s'exclama Guul en déposant Aguul sur le sol. Mes épaule ne passent plus, je ne vais pas me tordre plus longtemps !
- Sinaya, suit Aidann, regarde, il t'attend. Et cesse de geindre, tu fait trop de bruit: ne vois-tu pas que même la forêt s'est tu ? disait la vieille Aguul, qui s'adossait contre un arbre, ses genoux douloureux ramenés contre elle.
- Aidann, nous allons reculer: cet endroit est trop sombre et étroi, vous nous retrouverez plus loin, ne nous oubliez pas ! lança Guul.
- Sinaya, laisse donc tes jupes voyantes aux anciens. Elles sont trop volumineuses.
Sinaya obéit à la voix d'Aidann. Il lui attrapa la main, et elle n'émit aucune objéction: ils s'enfonçèrent ensemble entre les corridors de végétaux. Il n'y avait plus aucun éclair blanc, et Aidann voyait leur espace réduire de plus en plus: Sinaya sentit sa main se sérrer autour de la sienne. A mesure que la panique gangrenait le coeur d'Aidann, Sinaya sentait cette angoisse imbiber l'air, puis couler jusqu'à son propre coeur. Au bouts de quelques instant, Aidann sentit son pied effleurer le vide, et il trébucha dans un trou noir, Sinaya suivit dans un cri sa chutte, sa main aggripée à Aidann, et ils impactèrent très vite un sol sabloneux. Le souffle coupé par la surprise, AIdann n'arrivait plus à respirer, et le froid empoisona lentement chacun de ses membres déjà transis d'humidité.
- Je ne.. peux plus, articula-t-il, le coeur battant.
Il sentait que l'air rarifié allait lui arracher le coeur - les branches enlacées dans le ciel se penchaient sur lui, de même que les troncs énormes autour, si près de chaque côté de son visage.
- Aidann, reprend ton calme, s'affolait Sinaya. Moi aussi, j'ai peur - elle sanglotait. Retournons voir Guul et Aguul ! Sortons de là !
Mais Aidann ne pouvait même plus bouger. Ses jambes pétrifiées dans l'épaisseur molle et jaune, il posa son front contre une racine énorme qui débordait de la terre. Ses larges courbes brunes réduisaient plus encore son champ de vision, et il ferma les yeux. Son coeur ne se calmait pas, et Sinaya, recroquevillée contre lui, continuait de l'atteindre de sa voix tremblante.
- Aidann, regarde, se redressa-t-elle brusquement. Du sable ! C'est du sable! Les Epoux nous envoient un message ! Ils nous rappelle leur protection !
Aidann repensa étrangement à son petit frêre, qui apparut dans sa peur comme une forme de profil, droite et calme. Il voyait autour de sa longue chevelure - qui dégoulinait en un flot d'or sur ses épaules jusqu'au sol -, le désert. Immense et ocre, sous sa voûte bleue dénuée de nuances, sans aucune frontière, ni barrière - simplement là, profond et chaud. Il sentit presque les mains aux ongles polis de Cyann lui relever la tête, comme un souffle brûlant de sable soulève le sommet d'une dune. Il ouvrit les yeux. Le sable du creux ombré de la forêt de jade, était gris et froid. Sinaya, penchée sur son visage, les yeux trempés et les joues ruisselantes, secouait ses épaules.
- Aidann, reste avec moi !
Il la prit dans ses bras et la serra contre lui - elle dérapa complètement, et se trouva aspirée par l'étreinte, ses pleurs étouffés dans la chevelure enmelée d'Aidann. Elle referma ses petits bras autour de lui, et continua ses prières basses lourdes de larmes. Aidann sentit leurs respirations ralentir au même rythme, et pu ouvrir complètement les yeux: les racines leur offrait une bulle d'écorce, et élançaient leurs ondulations épaisses plus haut que sa tête. Au sommet d'une courbe brune, Bloem l'attendait, une jambe pliée contre lui, l'autre dans le vide. Lorsque leurs regards se croisèrent, Aidann sentit son coeur se vider complètement de tout sentiment obscur, et Bloem lui demanda, les yeux luisant commes des serpents aquatiques:
- Tu as peur ?
- Bloem ! C'est Bloem, s'exclama Sinaya, lumineuse. Quel soulagement !
Aidann se releva sans un mot, et pris Sinaya par la taille. Il la décolla du sable compact, la souleva jusqu'à ce qu'elle s'accroche au sommet de la racine.
- Ne le touche pas, rappela Aidann alors qu'elle tentait de trouver une prise.
Bloem lui montra une excroissance de la racine, qu'elle aggripa pour se soulever contre le sol. Aidann sauta, attrapa la même prise, et se tracta à son tour - lorsqu'il se releva, Bloem était déjà debout, devant eux, dans un espace si maigre que sa peau effleurait presque l'écorce - cependant, il ne s'était fait aucune entaille. Ils reprirent leur chemin, Sinaya gardait dans ses petits poins serrés près de son coeur, du sable - qui coulait parfois entre ses doigts, lorsqu'elle buttait contre une racine ou une pierre.
Aidann fixait ses yeux dans le dos blanc de Bloem, qui contournait les obstacles avec une aisance rapide. Il pensait au désert, à ce sable chaud dans lequel jamais il ne faisait froid, à cette douceur qui glissait sous les pas, comme un miel granulleux, cuit sous le soleil énorme. Il voyait Bloem, au coeur de cet océan tendre, les cheveux dans la lune, un sourire émerveillé aux lèvres, apprendre le nom des étoiles et des vents. Une idée soudaine le traversa: comment du sable pouvait-il se loger entre les racines d'une si épaisse forêt ? S'il n'avait pas été apporté par le vent, alors c'est qu'il était la terre où la verdure plongeait ses racines - mais comment une forêt pouvait-elle pousser sur une étendue de sable ?
- Aidann, le ramena Bloem, tout proche de lui.
Son visage semblait de plus en plus irréel, à mesure qu'ils pénétraient dans le coeur même de la forêt. Ses yeux s'allongeaient, ses pupilles se réduisaient en une fente, sa bouche d'ordinaire rouge devenait aussi blanche que le blanc de ses yeux - et ses iris émeraudes, de plus en plus sombre contre la toile blême de son corps, s'étendaient comme une tache d'encre dans la muqueuse pâle.
- Sinaya, tu vois ce que je vois ? souffla doucement Aidann.
- Je ne sais pas, begaya la petite. Est-ce que ma tête à changé aussi ?
- Non, il est le seul. On dirait qu'il réagit à quelque chose.
- C'est terrifiant !
Sa peau paraissait revêtir un manteau diaphane, et Aidann crut que s'il le touchait, sa main passerait au travers. La substance même de Bloem semblait se fondre dans la forêt, et chacun de ses mouvements répandaient un éclat d'or dans l'air entre les troncs. C'est magnifique, pensa Aidann.
- Voilà qu'il libère des spores ! s'alarma Sinaya. Peut-être va-t-il nous contaminer !
- Cesse de dire des sottises.
- Maravele ! dit Bloem en se retournant, dans un tourbillon d'étoiles dorées.
L'étau des troncs s'ouvrit brutalement, comme déchiré par une ancienne explosion silencieuse. Sinaya s'aggripa au bras d'Aidann, et ils débouchèrent sur un bulle immense d'air, contenue entre les griffes des branches. Le sol de la bulle était une mousse plus verte que le jade, plus flamboyante qu'une lumière vive, qui régnait comme seule présence végétale dans cette sphère irréelle vide de tout arbre. En son coeur, les familles, vêtues de leur halo d'or. La jeune fille aux dents rondes était agenouillée face à plusieurs tas de mousse et de fleurs, la tête baissée.
- Adje, lui murmura Bloem.
Sinaya plaqua sa main sur sa bouche, les traits pétrifiés d'effroi, et elle enfouit son visage contre Aidann. Les délicates fleurs blanches des amas de mousse s'ouvraient sur de longues mains blêmes, et des yeux de lumière.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top