Prologue


Un coup de folie

Hier, nous avons réservé des billets de train pour Tegernsee.

Comme ça. Sur un coup de tête.

Capucine et moi étions allongés sur le canapé, le corps engourdi par la chaleur. Les yeux rivés sur le deuxième épisode de la saison 1 de Hearstropper, que nous re-regardions en prévision de la saison 2 (une idée de Capucine), nous nous demandions si nous n'allions pas mourir de chaud dans notre appartement parisien. Situé sous les toits, il approchait les trente-deux degrés et je me liquéfiais sur le canapé. Pour tenter de faire face à l'alerte canicule, Capucine avait placé une bouteille d'eau glacée devant un ventilateur. Selon Météo France, cela permettait de rafraîchir l'espace. Eh bien, c'était faux. La tête de Capucine reposait sur mon épaule, je fixais la télé, tout en vaporisant de l'eau sur Auguste – le bonzaï – pressentant qu'il risquait de mourir de déshydratation, quand soudain, elle lui m'a plaqué son téléphone au visage.

— Eh ! J'vois plus rien ! me suis-je écrié.

La tête de Charlie a disparu derrière l'écran du smartphone, juste au moment où Nick s'apprêtait de l'embrasser. En général, je ne suis pas friand de ce genre de série, je préfère la Fantasy, du genre Shadows and Bone ou The Witcher, mais Capucine avait insisté. En plus, je trouve Charlie et Nick mignons, avec tous les cœurs qui volent au-dessus de leurs têtes chaque fois qu'ils se regardent.

À cause du téléphone, Auguste avait failli se faire percuter. J'avais repoussé l'écran, mais Capucine s'était acharnée.

— Regarde ! a-t-elle exigé. Tu reconnais l'endroit ?

En soupirant, j'ai rivé mon regard sur l'écran. Une photo s'y affichait, elle datait d'au moins trois ans. On avait quoi ? Seize ans, dix-sept ans ? Un bonnet sur la tête, un manteau d'hiver, des gants.  Mars, d'après ce que je lisais en tout petit sous l'image. Derrière nous, de hautes montagnes, des sommets enneigés. Et devant, un lac, magnifique, aux reflets bleutés. Un garçon et une fille nous prenaient chacun par les épaules.

— C'est qui ? ai-je demandé.

— Heinrich et Olga.

J'ai plissé les yeux, puis hoché la tête. Maintenant qu'elle le disait, je reconnaissais l'endroit. Nous étions en Allemagne. Les cheveux bouclés d'Olga transparaissaient sous son bonnet, nous revenions de Munich.

— Ah ! Mais oui ! Les profs avaient organisé un rallye à Munich, c'était nul, ai-je commenté.

— Mais non, c'était cool ! On avait mangé des bretzels, tu ne te souviens pas ?

J'ao secoué la tête. Moi et la mémoire, ça fait deux. C'est pour ça que je galère autant pour apprendre mes cours. Capucine a continué à faire défiler les photographies, pendant que je tentais de me reconcentrer sur la série. Les cœurs pleuvaient sur les têtes de Nick et Charlie.

— T'as des nouvelles d'eux ? a continué Capucine.

J'ai haussé les épaules, pendant qu'elle pianotait sur son smartphone. En seconde, notre enseignante d'allemand avait organisé un échange entre la ville de Buc, où nous suivions nos études, dans les Yvelines, et le Gymnasium de Tegernsee, dans le Sud de la Bavière. C'est là-bas que j'ai rencontré Olga, ma correspondante. J'ai séjourné chez elle durant deux semaines, on a même eu une brève aventure, rien d'exceptionnel. On s'entendait bien, on s'est embrassé un soir, parce qu'on avait un peu bu – les Allemands ont le droit de boire des seize ans – et on est resté ensemble à peu près cinq jours. Un record pour moi !

Olga est très sympa, mais nous sommes trop différents. Elle aime faire la fête, elle vit une vie à cent à l'heure. Totalement mon opposé. On est quand même resté en contact depuis, on s'appelait régulièrement au lycée et on se suivait sur les réseaux. C'était moins le cas cette année, à cause de mes études – que je déteste – et qui occupe tout mon temps.

— J'ai trop envie d'aller là-bas ! s'est écriée Capucine. T'imagines ! Le lac ! L'air frais ! Munich à côté. La bière.

— J'aime pas la bière.

— Le Schnaps ?

J'ai fait une grimace. C'était pire que la bière.

— Ah ! Mille pardons. J'oublie toujours que toi, c'est le Alpfelwein, ta boisson préférée. Un millésime de pommes fermentés.

— Très drôle Capu, très drôle.

Parfois, je me demande comment j'ai pu accepter de me mettre en coloc' avec elle. On s'entend aussi bien qu'on se déteste. Je la connais depuis la seconde, lorsqu'elle est arrivée au Lycée Franco-Allemand. On s'est tout de suite entendus, même si on passe notre temps à se chamailler. Après le bac, on a naturellement décidé de s'installer ensemble. Capucine suit des études de lettres à la Sorbonne. Moi, j'ai intégré une école de commerce, pour faire plaisir à mon père, et parce que je n'ai jamais su m'imposer.

— On pourrait leur proposer de nous accueillir ! a lancé Capucine.

— On ne va pas débarquer chez eux, comme ça !

— C'est ça ou mourir de chaud à Paris. Tu choisis quoi ?

— Mon père veut que je trouve un boulot, pour les vacances. Je dois rester ici.

— On peut toujours vendre des bretzels en Allemagne. Et pratiquer la langue.

Elle m'a jeté un regard coquin, plein de sous-entendu. J'ai levé les yeux au plafond. La chaleur avait sans doute augmenté, j'allais mourir sur ce canapé. C'était bien de Capucine ça, vouloir faire la fête, sortir avec des garçons tout la nuit, collectionner les aventures. Mais ce n'était pas moi. Je n'avais jamais su draguer, elle le savait. J'aurais bien aimé avoir son courage.

— Capu ! Tu sais bien que je ne peux pas, ai-je tenté d'argumenter.

— Si ! Tu peux ! Allez Raph ! Qu'est-ce que tu as vraiment envie de faire, au fond de toi ? Passer ton été à Paris à bosser dans une banque ou faire du surf sur le lac Tegern ?

Dis comme ça.

Incapable de répondre – parce qu'au fond, je savais ce que je voulais, mais que mes envies s'opposaient à mes devoirs – j'ai encore haussé les épaules. Capucine a soupiré.  La perspective de retourner en Bavière était alléchante. J'avais adoré cet échange au lycée et je nous visualisais bien en train de squatter tout l'été chez Olga. Mais quand même ! On ne pouvait pas faire ça. Comme ça ? Sur un coup de tête ? Sans préparation ? Sans planification ?

Pourtant, Capucine me regardait toujours, avec de l'envie dans le regard et cet air de me dire « Cap ou pas Cap » ? Je me suis mordu la lèvre. À la télé, Nick avait embrassé Charlie. Ou l'inverse. Les cœurs volaient partout autour d'eux.

J'ai repensé à Olga. Elle m'avait déjà proposé de venir passer l'été chez elle, à plusieurs reprises. Elle-même était revenue une fois, lorsqu'elle était en terminale, pour visiter Paris avec une amie. Elle ne verrait sûrement pas de problème à ce que nous passions quelques semaines chez elle. Des souvenirs que j'en gardais, sa maison était très grande. Olga vivait à Bad Wiessee, elle prenait un ferry pour se rendre au lycée tous les matins – un ferry ! – et ses parents possédaient même le petit ponton donnant sur le lac. La famille ne manquait pas de moyens. Comme beaucoup de munichois !

— Pourquoi tu ne demanderais pas à Heinrich de t'accueillir, plutôt ? ai-je proposé.

— Hors de question que je parte sans toi. Et puis, il est lourd.

— Mais squatter chez Olga, ça ne te gêne pas ?

— Tout de suite les grands mots. Tu n'as pas envie de partir en vacances avec ta meilleure amie ?

— Si, mais quand même !

— Quand même quoi ?

J'ai arqué un sourcil. En circonflexe – expression employée par notre prof de littérature, en terminale -, Capucine a soulevé l'autre, en miroir, un sourire aux lèvres. Puis, elle s'est jetée sur moi pour me chatouiller. Une arme imparable, dont elle usait et abusait un peu trop souvent. Je déteste les chatouilles, je les ai en horreur. J'ai poussé des cris sous ces tortures, exigeant qu'elles cessent.

— Je capitule ! C'est bon ! me suis-je écrié. Je vais écrire à Olga.

Voilà comment je me suis retrouvé à lui envoyer un message sur WhatsApp.

Voilà comment Olga m'a simplement répondu « Oui, avec grand plaisir » !

Elle a seulement ajouté « Par contre, il y aura mon frère. Ça ne vous gêne pas ? »

« Non », j'ai tapoté sur mon clavier. Et l'affaire avait été plié.

Ensuite, il a fallu réserver les billets de train à la dernière minute. Heureusement, mes parents me versent un peu d'argent sur mon compte chaque moi, en plus du loyer, et je ne suis pas dépensier – contrairement à Capucine -. J'ai donc un peu de sous de côté, pas grand-chose, mais suffisamment pour prendre des tickets.

— Ça ne va pas plaire à mon père, ai-je quand même marmonné tout en cliquant sur les horaires de train.

— Et si tu arrêtais de faire tout ce que veut ton père ? Fais quelque chose pour toi, pour une fois ! Sinon, tu vas passer à côté de ta vie.

Blessé dans mon égo, j'ai sorti ma carte bleue. Tout était presque plein à cette période de l'année. Les réservations étaient chères. Tant pis. Je trouverai un moyen d'expliquer ça à son père – ou pas ! Après tout, je pouvais toujours argumenter en prétextant vouloir travailler mon allemand – même si je n'en avais techniquement pas besoin ! -. Un séjour en Allemagne pour parfaire mon dossier scolaire, cela devrait lui plaire.

J'ai trouvé des billets pour le lendemain. Un trajet interminable, avec trois correspondances.

Paris-Mannheim / Mannheim-Munich / Munich-Tegernsee.

Une fois tout réservé, j'ai plaqué mon IPhone flambant neuf sous le nez de ma meilleure amie, d'un air triomphant. Capucine a croisé les bras, amusé par mon attitude d'enfant.

— Félicitations, tu t'es affranchi.

— Haha !

— Un jour, il faudra que tu lui dises que tu veux arrêter l'école de commerce.

— Quand je serai diplômé.

— Ce sera trop tard.

J'ai marmonné. Des mots inintelligibles. Je faisais souvent cela. Quand la conversation ne me plaisait pas, je la déviais sur un autre sujet.

Tout s'est accéléré ensuite. Je me suis levé. Capucine aussi. Elle a souri. Moi aussi. On avait rangé l'appartement, puis tout dérangé. Emballés les restes, bouclés les valises. Capucine souriait. Moi aussi.

Le lendemain, au dernier moment, juste avant de claquer la porte de notre appartement sous les toits, pour deux mois, j'ai saisi Gus. Je n'avais pas le cœur à laisser mon bonzaï sécher dans l'appartement tout l'été, il risquerait de mourir étouffé par la chaleur. Nos sacs sur le dos, nous avons pris le métro, direction Gare du Nord.

On allait passer le meilleur été de notre vie. Loin de Paris.

Manger des bretzels, faire la fête à Munich, surfer sur le lac.

J'étais encore loin d'imaginer tout ce que nous allions vivre là-bas.

Si je l'avais su, je serais parti encore plus vite.

Car c'était le début de la grande histoire d'amour de ma vie. 

*

Alors, qu'en avez-vous pensé :) ? 

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