Chapitre 7 - Escapade à Munich




            Le samedi, Capucine et moi prenons la BOB, direction Munich. On s'est levé tôt pour choper le ferry huit heures et le train de neuf heures, si bien que je somnole sur l'épaule de ma meilleure amie, pendant qu'elle pianote sur son portable, assise dans le train. Qu'est-ce qu'ils sont confortables les sièges ! Et comme le wagon est silencieux. Rien à voir avec le métro parisien, toujours plein à craquer de personnes irrespectueuses qui ne peuvent s'empêcher d'écouter la musique à plein volume, ou de te tousser dessus, comme si elles étaient seules au monde. Ce n'est pas comme si on sortait d'une pandémie mondiale pourtant !

            Il y a même une dame qui a retiré ses chaussures la dernière fois, pour placer ses pieds puants sur le siège à côté de moi.

            — Ils sont sacrément propre, ces trains, constate Capucine en écho à mes pensées.

            Elle relève les yeux de son smartphone deux secondes, puis replonge sur son écran. Son mouvement m'arrache un grognement. Je ferme à moitié les yeux, pour ne pas louper le paysage qui s'offre à moi, même si j'aimerais me rendormir sur son épaule. 

            — Hein hein ! marmonné-je.

            — Tu te rends compte qu'il n'y a même pas de portique de sécurité pour scanner les billets ! Incroyable. Imagine, la même chose à Paris ?

            — Ça ne marcherait pas, les gens frauderaient.

            Les Allemands respectent les règles, ils achètent leurs billets, c'est pour cela qu'il n'y a pas de portiques, et quasiment aucun contrôleur. À Paris, sans sécurité et barrière, je ne suis pas convaincu que les gens payeraient.

            Capucine bouge et me donne un coup de coude au passage, m'arrachant un autre grognement. Depuis que nous sommes arrivés, elle ne cesse de prendre des photos pour alimenter son compte Instagram. Sa communauté augmente en flèche, elle a obtenu une centaine d'abonnement supplémentaire en deux semaines et elle s'extasie de sa nouvelle popularité. Visiblement, les gens apprécient le compte rendu qu'elle fait de notre séjour en Bavière.

            — Elles sont jolies tes photos, commenté-je en jetant un coup d'œil à son feed.

            — Emil m'a montré des techniques.

            — Humm...

            Emil lui a montré des techniques photographiques. Ben voyons...

            Alors que moi, il m'évite. 

            J'aimerais qu'il s'excuse pour ce qu'il a dit lors du déjeuner. D'un autre côté, je ne suis pas sûr qu'il ait à demander pardon. Après tout, il a raison. Je suis chez lui, dans sa maison, dans sa chambre, parce nous nous sommes imposés. Emil n'a rien demandé. Il a fait des efforts pour être gentil et sa sœur l'a rembarré. Il avait de quoi être en colère, même si ses mots m'ont blessé. J'aurais aimé qu'ils ne les prononcent pas, je pensais qu'un début d'amitié s'établissait entre nous.

            Du coup, une part de moi lui en veut, et une autre s'en veut de lui en vouloir. C'est un cercle vicieux qui nous a conduit à ne nous adresser que des « bonjour » et « bonne nuit » gênés toute la semaine.

            — Tu as reparlé à Emil ?

            Pourquoi faut-il toujours que Capucine lise dans mes pensées ? Je secoue la tête et me tourne vers la vitre. Les paysages montagneux et le lac ont cédé leur place à des maisons et des champs. Au loin, j'aperçois des vaches et des fermes, tout est vert ici.

            — Non. On s'est à peine croisé.

            — Olga a été vache avec lui, tu ne trouves pas ? soulève Capucine.

            — Lui aussi. Tu as vu comment il lui parle ?

            — Et elle, tu as vu comment elle lui parle ?

            — Ok, ils se parlent mal tous les deux. Mais il n'avait pas à dire ce qu'il a dit.

            En suis-je vraiment sûr ?

            Olga a exagéré, Emil voulait seulement nous accompagner à Munich. Depuis le départ, je sens de l'animosité entre les deux. Elle lui reproche quelque chose qu'elle ne nous dit pas. Je n'ai pas cherché à savoir, cela ne me regarde pas, mais l'ambiance est toujours électrique quand ils sont dans la même pièce. Toutefois, cela n'excuse pas les paroles d'Emil.

            — Il n'était pas là hier, continue Capucine.

            — Il est parti à Munich avec son ami Axel en fin d'après-midi. 

            Ça, je l'ai retenu, parce que je l'ai vu faire son sac à dos et qu'il m'a dit que je pouvais prendre sa chambre ce week-end, avant de disparaître dans les escaliers. Je n'ai pas osé lui rappeler que moi aussi, j'étais censé passer la journée à Munich samedi.

            — T'as des nouvelles de tes parents, au fait ? demande ma meilleure amie, me tirant de mes pensées.

            À nouveau, je maugrée. Je n'ai pas envie d'en parler. Mon père m'a appelé il y a deux jours et il m'a incendié. Il trouve mon attitude irresponsable. Passer deux mois en Allemagne, alors que j'aurais pu travailler à Paris lui semble exagéré. Un mois, passe encore, mais deux ! Il m'a demandé de rentrer fin juillet. Capucine secoue la tête.

            — Je t'interdis de rentrer à Paris.

            — Je ne comptais pas le faire. Mais... Enfin... mon père n'a pas tort, j'étais censé travailler cet été. Mes parents paient mes études et m'aident toute l'année, c'est normal de contribuer un peu.

            — C'est leur rôle de parents ! Et je te rappelle qu'ils paient des études que tu ne veux pas. Tu ne leur as pas mis le couteau sous la gorge.

            — Ouais, mais...

            — Il faudra vraiment que tu parles à ton père ! m'interrompt-elle.

            — Je sais.

            Mais je n'ai pas envie de lui parler. Je n'ai pas envie de me disputer. Je n'ai pas envie de voir de la déception dans son regard. Pas maintenant en tout cas. Pas demain non plus. Plus tard.

            Un jour peut-être. Ou jamais.

            Capucine replonge dans son téléphone. Quand elle est sur son écran, elle se coupe du monde. Elle répond à ses commentaires, ajoute des likes à des photos de personnes qu'elle suit. Puis, elle le lève devant elle, allume la caméra et me tapote l'épaule pour que je me redresse, afin de prendre un selfie. Je grimace en voyant mon visage et lui demande de mettre un filtre. Ce n'est pas que je ne m'aime pas, c'est seulement que j'ai de gros cernes sous les yeux ce matin. Si ma peau a bronzé avec le soleil, mes cheveux bruns restent ternes, un peu trop long – il faudra que je pense à les couper -, et mon nez est de travers. Mes yeux, couleur café, n'ont rien à envier aux bleus de ceux d'Emil.

            Pourquoi je pense encore à Emil, sérieux ?

            Capucine prend la photo, tandis que je me fustige. Je ne sais pas ce qu'à mon cerveau en ce moment. Depuis que je suis en Bavière, il est branché H24 sur Emil. Cela commence à m'épuiser. 

            — Tu sais, j'hésite vraiment à le faire, ce road trip, dit soudain Capucine.

            — Sans moi !

            Je lui ai dit et répété, je ne partirai par tout l'été dans un van, c'est hors de question. Elle roule des yeux, termine sa story, la poste, puis se tourne vers moi avec un air des plus sérieux.

            — Olga m'a proposée de venir avec eux l'été prochain.

            — Je croyais que tu voulais aller en Angleterre ?

            — Je n'ai rien contre l'Autriche. Vienne, ça doit être magnifique.

            J'approuve. Elle a raison, la ville doit être incroyable. J'ai toujours rêvé d'aller déguster un chocolat viennois dans l'un de ces vieux cafés, typique des films des années cinquante que l'on voit à la télévision. Je prendrai un journal, je m'assiérai en terrasse, tel un intellectuel.

            — C'est une bonne idée, tu devrais le faire.

            J'encourage vivement Capucine, il faut qu'elle vive ses rêves, même si ce n'est pas avec moi. De toute façon, l'été prochain, je resterai sûrement à Pairs pour bosser. Un été à ne rien faire, c'est déjà trop. Je dois redevenir sérieux.

            Après une heure, le train s'arrête en gare de Munich. Nous descendons pour rejoindre rapidement le métro, direction Marienplatz. J'ai calculé notre itinéraire la veille grâce à City Mapper. Capucine me fait signe de me lever, j'attrape mon sac à dos et lui emboîte le pas.

            Après plusieurs stations, nous sortons de la rame et débouchons sur Marienplatz, en sortant du métro. Dès que nous rejoignons l'extérieur, la température nous accable, étouffante ! Munich est un îlot de chaleur urbain, semblable à Paris. Merci le réchauffement climatique. Heureusement, la capitale de la Bavière - aussi surnommé le « poumon vert » - comprend de nombreux parcs où nous comptons bien trouver refuge dans l'après-midi.

            Marienplatz nous accueille, ainsi que les milliers de touristes qui s'y réunissent. À l'origine, la place s'appelait Schrannen, mais elle a été rebaptisée « Place Sainte-Marie » pour demander à la Vierge Marie de protéger la ville de l'épidémie de choléra qui la menaçait. C'est notre prof d'allemand qui nous l'avait expliqué, je ne sais pas pourquoi j'ai retenu cette information. L'endroit est le théâtre d'événements publics importants et de plein de célébrations, de concerts et d'autres manifestations. La première chose que l'on voit – que Capucine s'empresse de poster en story sur Instagram, tout en nous géolocalisant -, c'est l'hôtel de ville. Construit dans un style néo-gothique, il possède un carillon qui sonne toutes les heures, avec des automates qui interprètent le Cooper Dance, une mélodie qui célèbre la fin de la peste.

            Nous délaissons la place pour rejoindre le café Rischtart. Il s'agit d'un salon de thé où Capucine et moi souhaitons prendre notre petit déjeuner. Les rues sont déjà pleines, de nombreux touristes se pressent sur la place. Des boutiques s'alignent partout, un concert se prépare. Des Allemands, sandwichs à la main, salés comme sucrés, mangent en marchant. Quand nous étions venus en échange, nous sommes restés surpris par leurs pratiques alimentaires. Ils grignotent toute la journée, sans jamais se poser. Le concept de « pause repas » leur est étranger, ils déjeunent sur le pouce.

            Nous entrons chez Rischtart. Au rez-de-chaussée se trouve une pâtisserie-boulangerie. Nous la délaissons pour grimper les escaliers qui nous mènent dans une salle simplement décorée, où sont alignés des dizaines de pâtisseries. Mon estomac gronde face à tous ces plaisirs sucrés. Un serveur nous conduit à une table. Nous faisons mine de réfléchir – tout nous fait envie -, mais optons rapidement pour deux Apfelstrudel, avec des chocolats chauds. Il s'agit d'une spécialité autrichienne à base de pâtes feuilletée, de pommes, de noix concassées, de poudre d'amande, de cannelle et de raisins secs. Le tout servi avec de la crème fouettée. Un délice. Là aussi, c'est un concept purement allemand de prendre le dessert avant le plat, leur goûter ayant lieu à 10h du matin. Tout est inversé et dans le désordre. Pour le maniaque que je suis, c'est un peu perturbant, même si je m'adapte. Je suis en vacances après tout.

            — Putain c'est trop bon ! s'extasie capucine.

            Je dois reconnaître qu'il n'y a pas meilleur dessert au monde, même si je ne rechigne jamais devant un gâteau aux chocolats. Certains m'ont fait de l'œil à l'entrée, il faudra que je teste plusieurs spécialités. Le mélange cannelle et pomme est un véritable délice, je salive en mangeant, tout en sirotant mon chocolat chaud. Les gens pensent toujours que les Allemands ne se nourrissent que de saucisses et de pommes de terre, il n'y a rien de plus faux. Ils se nourrissent surtout de gâteau, notamment les bavarois, qui bénéficient des spécialités autrichiennes. La frontière n'est qu'à quelques kilomètres de Bad Wiessee, il faudra que nous allions faire un tour à Salzbourg si nous avons le temps. Je crois que c'est là-bas que Mozart, le compositeur, est né.

            Je rive mon regard en contrebas, à travers l'immense baie vitrée qui donne sur Marienplatz. J'ai envie de tout visiter. L'université de Munich, la résidence des ducs de Bavière, les églises – alors que je déteste ça d'habitude, n'étant pas croyant pour deux sous -, le marché aux victuailles. Capucine, elle, parle faire les magasins. Une fois notre petit déjeuner avalé, nous filons au marché aux victuailles, où nous déambulons à travers les étalages. Je fais l'acquisition d'un porte-clé en forme de bretzels avec une cloche, Capucine s'amuse à le faire tinter. Elle achète des cartes postales et je craque pour une cuillère kitch trop mignonne avec deux bavarois, l'un en salopette, l'autre en robe. Ma meilleure amie se moque de moi, je lui tire la langue.

            Nous partons ensuite faire les magasins. Au vue des prix, nous optons pour les friperies. J'enfile une salopette traditionnelle. C'est affreusement laid et cela m'étrique entre l'entre-jambe. Capucine insiste pour faire des selfies. Nous enfilons un à un des vêtements, je finis même par me retrouver en robe bavaroise, et elle en culotte de peau. La photo est risible, mais elle emporte rapidement une cinquantaine de likes.

            — Tout le monde adore ta robe ! rit-elle en me montrant les commentaires.

            J'ai l'air d'une fille, parce que Capucine a passé des mèches de cheveux sur les miens, pour créer l'illusion. Cela ne me gêne pas. Il nous est déjà arrivé à nous rendre à des soirées costumées. Mes camarades promo sont très porté là-dessus, même s'ils le font pour la blague. Si un mec sortait habiller en robe, je doute qu'il trouverait ça drôle. Moi, j'avoue que je ne me suis jamais posé la question.

            — On va déjeuner ?

            Nous sortons de la boutique, mon ventre gronde, j'ai de nouveau faim. Capucine me montre tous les commentaires qui ont été postés. Visiblement, notre séance shoping a beaucoup plus. Capucine s'est trouvée une jupe et une chemisette, je me suis acheté des chaussures. Nous nous installons à une terrasse pour manger une salade, avant de repartir. Le reste de l'après-midi défile sans que l'on ne voie passer le temps, jusqu'à ce que nous nous installions dans l'English Garden, épuisés. Il est incroyable ce parc, on y trouve aussi bien des touristes, que des étudiants ou des familles.

            Capucine s'écroule dans l'herbe, les pieds dans l'eau fraiche. Je l'imite, retire mes chaussures et glisse mes pieds dans l'Isar, le fleuve qui serpente dans Munich et à travers le parc. Cela fait du bien de se détendre après une journée aussi intense. Nous avons presque fait vingt-milles pas, j'ai gagné de l'argent sur WeWard. Mon compteur de pas me félicite. Capucine se retourne à plat ventre. De nombreux allemands nous ont imité, ils sont venus trouver refuges sous les arbres. Certains sont même dans l'eau, en maillot de bain. L'eau est glacée, mais cela n'a pas l'air de les déranger.

            — On fait quoi ce soir ? demandé-je.

            Elle a toujours les yeux rivés sur son portable, une vraie toxicomane. Je passe un filet d'herbe devant ses yeux pour la faire réagir, elle le repousse d'un mouvement vif.

            — On sort, répond-elle aussitôt. J'ai repéré un bar sympa avec de la musique.

            — Cool.

            J'approuve d'un hochement de tête. Je fais confiance à Capucine pour dégoter les endroits festifs et sympa. De toute façon, on a prévu de ne pas dormir cette nuit et de rentrer par le premier train demain matin. Je fais rarement cela, je ne suis pas ce genre d'étudiant en principe – contrairement à ma meilleure amie -, mais là, j'ai envie de m'amuser. Nous décidons d'attendre vingt heures ici, allongés dans le parc, les pieds dans l'eau. L'endroit est agréable, je ferme les yeux, et m'endors rapidement.

            J'ai trop besoin de faire une sieste pour pouvoir tenir le reste de la nuit.

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