Chapitre 22 - Sur le quai de la gare




Le coffre claque. Je sors la valise de Capucine, puis mon sac.

            J'ai le cœur lourd depuis ce matin, l'estomac noué, comme s'il était rempli de pierres.

            Un bruit de cliquetis nous indique que la Tesla est verrouillée. Nous nous éloignons vers le quai. Emil propose de prendre mon sac, je refuse. Sa main tient la mienne, il ne cesse caresser mes doigts. J'ai pleuré dans ses bras une partie de la nuit. J'ai traîné des pieds ce matin pour me lever, quand le réveil à sonner. Même la douche ne m'a pas sorti de cet état léthargique. Je ne suis toujours pas dans le train, pourtant, Emil me manque déjà. Nous n'avons pas pris le temps de parler de la suite, lui et moi. Je sais que les filles m'y ont encouragé, mais comme toujours, j'ai repoussé le sujet. Je n'ai pas osé lui demander si je comptais vraiment pour lui. Si j'étais plus qu'un été.

            Je devrais me sentir soulagé. Même si mes parents m'ont dit que l'on « reparlerait » de mon inscription soudaine à la Sorbonne et de mon abandon de l'école de commerce, je pense qu'ils ont compris que je ne ferai pas demi-tour. C'est ma vie, pas la leur, même si j'ai mis du temps à le leur dire, et à me l'avouer. Je devrais être fier de moi, me focaliser sur mes futures études et mon bonheur à l'idée d'enfin faire ce qu'il me plaît. Il n'en est rien. Je ne pense qu'à Emil.

            Emil, dont je ne tiendrai bientôt plus les doigts, que je ne pourrai bientôt plus serrer contre moi.

            Nous nous arrêtons sur le quai. Le train est déjà là. Il est sept heures du matin, nous devrions être à Paris à dix-huit heures, si aucun de nos trois trains ne décide de changer sa destination à la dernière minute. Capucine en a encore reparlé hier soir, lors de notre dernière soirée au bord du lac. Je crois qu'elle est traumatisée à vie par cette histoire. Olga me serre contre elle, puis prend ma meilleure amie dans ses bras. Elle nous promet que l'on se reverra bientôt. Je lui rends son étreinte, comme un automate. Je n'ai d'yeux que pour Emil qui me fixe de ses yeux clairs. Je sens que lui aussi se retient de pleurer.

            — Vous nous envoyez un message quand vous arrivez, promis ? nous lance Olga.

            — Bien sûr, tu peux compter sur moi, répond Capucine.

            — On se revoit l'année prochain pour le road trip de toute façon. Ça va vite passer.

            Cette phrase s'adresse à Capucine. Pas à moi. L'année prochaine, ils parcourront tous les quatre, avec Liselotte et Heinrich, l'Autriche et la République Tchèque, peut-être aussi la Slovénie. Heinrich et Capucine se sont dit au revoir la veille. Je ne sais pas où ira leur histoire, peut-être nulle part, peut-être quelque part. Ils préfèrent tous les deux rester libres, même s'ils se plaisent et qu'ils prévoient de se retrouver l'an prochain. Moi, je ne pense pas que je pourrais supporter l'idée de partager Emil, comme elle le fait. Il y a sûrement plusieurs façons d'aimer, mais moi je l'aime tout entier, en exclusivité.

            Capucine embrasse Emil et Olga une dernière fois, puis elle grimpe dans le wagon. Je reste sur le quai, les yeux dans ceux d'Emil.

            — Je t'attends au parking.

            Olga s'adresse à son frère, elle s'éloigne ensuite en me faisant un signe. J'espère que leurs rapports s'amélioreront avec le temps.

            Je reste debout face à mon amoureux de l'été. Mon estomac me fait mal. J'ai envie de le retenir, de lui dire de partir avec moi, de le mettre de force dans ce train et de le fourrer dans mon sac à dos. Mais je ne peux pas faire ça. Emil a sa vie ici et il ne m'appartient pas. Il va retourner aux Beaux-Arts, dans son appartement, en colocation avec Axel – Axel, bon sang ! – et moi, je vais rentrer à Paris. Affronter la déception de mes parents en me répétant que j'ai le droit de choisir ma vie. Je vais garder nos précieux souvenirs, les tourner et les retourner, les faire défiler, sans savoir si cela a autant compté pour lui que moi, ou si ce n'était rien d'autre qu'une parenthèse idyllique. Un joli roman d'été. Éphémère.

            Les doigts d'Emil remontent sur mon bras, puis viennent caresser ma joue. Je m'efforce de ne pas pleurer. Je ne dois plus pleurer devant lui. Il m'a donné tout ce qu'il avait à me donner. Il m'a aimé et je l'ai aimé. J'ai passé le plus bel été de ma vie grâce à lui.

            — Auf Wiedersehen, me dit-il.

            — Au revoir.

            On s'est déjà au revoir cette nuit, à notre façon. L'un contre l'autre, l'un dans l'autre. Aucun mot ne pourra jamais remplacer le contact de sa peau sur la mienne. Ses étreintes, ses baisers. Certaines choses se passent de mots. Notre amour en fait partie.

            Dans les films, je déteste quand les personnages se disent adieu sur le quai d'une gare.

            C'est pareil aujourd'hui.

            — Prends soin de toi, murmuré-je.

            Je ne dis pas non plus tout ce que mes mots silencieux contiennent. Toutes mes inquiétudes vis-à-vis de ses crises de migraines, de ses douleurs au bras, de ses addictions. Cela lui appartient, je peux seulement être là pour lui et l'écouter s'il en a besoin, pas le soigner à sa place.

            — Toi aussi, répond-il.

            Il se penche vers moi et m'embrasse. Je le serre dans mes bras.

            Et voilà.

            C'est fini.

            C'est terminé.

            Emil s'éloigne. Nos mains se séparent. C'est fini. Notre histoire est finie.

            J'en prends conscience alors que les mètres s'accentuent entre nous.

            Emil va retourner à sa vie à Munich. Je vais retourner à la mienne à Paris. Nous nous échangerons des SMS. Nous reprendrons nos chemins là où nous les avons laissé. Nous...

            Non ! Non, je ne peux pas.

            — Emil ! m'écrié-je.

            Il se retourne, étonné de m'entendre hurler sur le quai de la gare. Il me lance un regard plein d'incompréhension. Olga se tient près de la voiture, il lui fait signe de l'attendre et me rejoint en quelques enjambées. Il s'arrête devant moi, sourcil relevé.

            —Je ne veux pas qu'une fois de retour, moi à Paris, toi à Munich, tu oublies notre histoire.

            Emil fronce encore plus les sourcils.

            — Je n'oublierai pas notre histoire, affirme-t-il.

            — Je ne veux pas que tu ne sois qu'un été, poursuivis-je sans m'arrêter. Je veux te revoir. Je veux que tu viennes à Paris. Je veux revenir ici. Je veux...

            Il ne me laisse pas finir, ses lèvres épousent les miennes, ses bras m'enlacent. Mes larmes recommencent à couler. Je répète ce que je veux et ce que je ne veux pas. Je ne veux pas le perdre, je ne veux pas qu'une fois rentré, tout soit terminé. Il va déjà me falloir affronter mes parents et même s'ils m'ont assuré que je ferai ce que je voudrais, même si cela n'est pas le chemin qu'ils avaient choisi pour moi, je ne me sens pas d'ajouter une rupture à cela.

            Emil me repousse doucement et m'embrasse le bout du nez. Dans le wagon, j'entends Capucine crier que nous allons bientôt partir.

            — J'arrive ! m'écrié-je.

            Puis je me retourne vers Emil. Il ne me lâche pas des yeux, sa main serre mes doigts.

            — Je ne veux pas non plus que tu ne sois qu'un été, Raphaël.

            Cette fois, je pleure à chaudes larmes. À chaque fois qu'il dit quelque chose comme ça, je fonds. Où va-t-il chercher ses répliques ? Il devrait écrire un livre, lui aussi. Il revient m'enlacer.

            — Je ne compte pas t'oublier, continue-t-il, et ce n'est pas parce que nous serons à plusieurs centaines de kilomètres l'un de l'autre que notre histoire est terminée.

            — C'est vrai ? Tu veux vraiment...

            Je n'ose pas le demander. Est-ce qu'il veut la même chose que moi ? Est-ce qu'il me propose de continuer ?

            — Tu veux que l'on soit en couple ? Du genre, pour de vrai.

            — Du genre pour de vrai, répète-t-il.

            Là, je souris comme un benêt. Je dois avoir l'air idiot, mais je m'en fous. Mon cœur s'emballe. Emil continue :

            — Je viendrais te voir à Paris pour manger des croissants frais, remonter les Champs Élysées en te tenant la main et prendre un selfie devant la Tour Eiffel.

            — Ça fait tellement touriste, hoqueté-je.

            — Et tu reviendras me voir en Bavière pour manger des bretzels, faire du catamaran sur le lac et visiter d'autres châteaux de Louis II de Bavière.

            — C'est vrai ?

            — Bien sûr que c'est vrai. Je t'aime, Raphaël. Et je ne compte pas me séparer de toi.

            — Moi non plus.

            — Ce sera plus difficile à distance, mais on surmontera ça ensemble, d'accord ?

            Je hoche la tête. Il a raison. Même à distance, ensemble, on peut tout surmonter. Notre amour est au-dessus de tout ça. Il resserre ses doigts autour des miens, puis relève nos poignets. Nos bretzels tatoués brillent dans la lumière du soleil.

            — Prends soin d'Auguste, il a besoin d'amour et d'eau.

            Laisser Auguste ici est un crève-cœur, mais c'est plus sûr pour sa survie. J'étais un piètre propriétaire pour lui, il mérite mieux. Une part de moi se dit aussi que cela me fera une excuse pour revenir à Bad Wiessee.

            — Je t'aime, me répète-t-il. Ne doute jamais de notre amour.

            Je l'embrasse encore, jusqu'à ce que le contrôleur siffle sur le quai et que Capucine me hurle de monter dans le wagon avant que les portes ne se referment. Je saute à l'intérieur, Emil reste où il est. Sa main se plaque sur la vitre du train. Je rejoins Capucine et m'assois à côté d'elle. Nous nous penchons en avant pour faire des signes.

            Olga revient vers son frère. Ils sont l'un à côté de l'autre. Je continue de pleurer. Emil aussi. Il me manque déjà, mais la promesse de le revoir me console un peu. J'avais peur de n'être qu'une parenthèse pour lui.

            Il pose sa main sur sa bouche, puis m'envoie un baiser. Je fais semblant de le réceptionner. Je l'aime, qu'est-ce que je l'aime. Si je le pouvais – et si nous n'étions pas à la fin de l'été, mais en hiver – j'aurais pu tracer des cœurs sur la vitre dans la buée.

            J'ai vécu ma plus belle romance d'été en Bavière.

            Mon portable vibre dans ma poche, je le saisis.

            Notre photo s'affiche et me fait sourire.

            C'est Emil.

            Ich liebe dich mein Liebling.

         Je plaque le téléphone contre mon cœur et lui renvoie son baiser.

Je t'aime, mon amour. Tu me manques déjà.

Ich vermisse dich.

Je t'aime <3

            Et pendant très longtemps, je l'espère, je continuerai de l'aimer.

            J'ai découvert qui j'étais grâce à lui. J'ai plus appris en deux mois qu'en toute une vie. Emil Von Liebniz n'est pas seulement mon été. Mon soleil. Mon amour. Ma première fois.

            C'est surtout le garçon qui m'a donné le courage et l'amour nécessaire pour m'accepter comme je suis.

            Et notre histoire est loin d'être terminée.


Au revoir.

Je t'aime, mon amour.

Tu me manques.

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