Chapitre 15 - Chez Heinrich
Le mercredi soir, Emil insiste pour me prêter une chemise et un pantalon. Il veut que je sois beau pour la soirée d'Heinrich. Je me laisse faire, heureux qu'il s'occupe de tout. Contrairement à lui, je ne suis pas très au fait question mode. Il porte toujours des pantalons en toile fine, remontés sur les mollets, et ses chemises. Moi, je me contente de mon short de bain, ou d'un t-shirt passé à la va-vite. Assis sur sa chaise de bureau, il m'inspecte de ses yeux bleus, les cheveux dégoulinants d'eau, parce qu'il vient de se laver. Il sent encore le soleil, après sa journée au club de voile avec les enfants.
Auguste est à côté de lui, le bonsaï semble me juger autant que lui.
— C'est très bien ! décrète-t-il.
Il se relève et vient remettre un dernier bouton en place. Je me sens comme lors de la remise des diplômes en terminale. C'est Aurélien qui m'avait aidé à m'habiller.
— Tu sais, tu devrais songer à poser pour les étudiants aux Beaux-Arts.
— Moi ? Quelle idée !
— Ou juste pour moi ? continue-t-il, un sourire aux lèvres. On a toujours besoin de volontaires pour apprendre à dessiner le corps humain. Et tu es très très beau.
Ses lèvres se perdent sur mon cou, je frissonne sous ses baisers, surtout en pensant à toutes les statues de nus qu'il aime regarder pour apprendre à dessiner. Est-ce qu'ils ont vraiment des modèles humains ? Est-ce que ces modèles posent nus ? Je me fustige intérieurement. Je ne vais pas être jaloux d'un modèle ou d'une statue, c'est ridicule.
C'est la première fois que l'on me dit que je suis beau, moi qui me trouve banal. Sous les yeux d'Emil, je me sens beau, en effet. J'ai envie de plaire pour la première fois de ma vie. Je lui relève le menton et épouse ses lèvres fines. Je voudrais que cela dure des heures, je ne suis jamais rassasié de ses baisers.
— Tu vas me manquer, me dit-il en m'enlaçant.
— Je serai de retour dans quelques heures.
— Je garde la place au chaud dans le lit.
Il se rassoit sur la chaise, sourire aux lèvres, puis se tourne vers le dessin qu'il est en train de réaliser pour ajouter une ligne. Il fait souvent cela, comme si l'inspiration venait au fur et à mesure. Puis, il revient vers moi. Je ne l'ai pas quitté des yeux durant tout son manège. Je m'apprête à partir quand il me rappelle :
— Est-ce que tu voudrais venir avec moi dans notre Hausberg ce week-end ?
Je plisse les yeux. Emil me désigne une illustration sur son mur. Celle que je l'ai vu réaliser quelques jours après mon arrivée. Un petit chalet en bois, niché dans la montagne, dans un paysage verdoyant et bucolique.
— Vous avez vraiment un chalet dans la montagne ?
— Oui, répond-il. J'aimerais t'y emmener. On pourrait y rester quelques jours.
Cette fois, c'est lui qui rougit. Ça change, pour une fois. Depuis que je le connais, mes joues n'en finissent plus de s'échauffer. Je passe par tous les dégradés de rouge. Au début, cela me gênait que mes émotions s'affichent autant sur mon visage. Maintenant, cela ne me gêne plus. Rien ne me gêne quand cela concerne mon amour pour Emil. Il mâchonne son crayon, dans l'attente de ma réponse. Je viens déposer mes lèvres sur les siennes.
— Avec plaisir.
— Super ! s'écrie-t-il.
Il m'embrasse encore, puis me laisse partir. Je quitte la chambre pour retrouver Capucine et Olga qui m'attendent dans la cuisine. Ma meilleure amie porte une robe courte, qui lui va comme un gant. Olga est habillée d'un short et d'un débardeur bleu. Il est dix-neuf heures quand nous quittons la maison pour rejoindre celle d'Heinrich. Il vit à Bad Wiessee lui aussi, pas très loin à pied. Sur le chemin, je jette un regard à mon téléphone pour lire mes messages. J'ai mis notre selfie à tous les quatre, sur la passerelle, en écran verrouillé, et celle d'Emil et moi, endormis l'un contre dans la voiture, en page d'accueil. Je l'adore. En fait, j'aime toutes nos photos avec Emil. Capucine dit que je ne suis pas objectif.
Je fais défiler mes notifs et mes messages. J'en ai trois non lus. Un d'Emil, les autres sont de mes parents.
Emil : À ce soir mein Liebling <3
Maman : J'espère que tu profites de tes vacances.
On parlera à ton retour.
Papa : J'espère que ce n'est pas trop grave.
À plus tard, Raphaël.
J'ai eu mes parents au téléphone hier soir pour leur annoncer que j'avais quelque chose à leur annoncer. Capucine s'est moquée de moi. Elle m'a dit que j'aurais mieux fait de leur parler tout de suite, plutôt que de repousser l'échéance. Je n'ai pas réussi. Nous avons discuté une bonne demi-heure. Mon père me reproche toujours d'être parti en vacances sans prévenir, alors que j'aurais mieux fait de travailler. Ma mère dit que je dois profiter et me reposer, que ce n'est pas grave. Ils ont marqué un temps d'arrêt quand je leur ai dit qu'il faudrait qu'on parle à mon retour. Mon père a lancé un « J'y compte bien », ma mère a dit « Tu as un souci ? » et j'ai éludé en prétendant que ce n'était pas très important, juste que j'aimerais qu'on discute en famille.
Je range mon portable. Je ne veux pas penser à cela pour le moment. Nous allons passer une bonne soirée chez Heinrich, c'est tout ce qui compte pour le moment. Trouver sa maison n'est pas très difficile, on entend la musique depuis la rue et Olga connaît le chemin. Il s'agit d'un chalet, sur plusieurs étages. On entre par la porte du rez-de-chaussée. À l'intérieur, le décor kitch et tout en bois me rappelle mes vacances au ski, à Serre-Chevalier, dans les Alpes de Haute Provence. Des poutres grimpent sur les plafonds, une mezzanine laisse entrevoir un petit bureau et une jolie bibliothèque. Plusieurs personnes s'entassent dans le salon composé de deux canapés recouverts de plaids rouges avec des cerfs, qui donne sur la terrasse. Celle-ci fait face au lac, on aperçoit le Gymnasium au loin. Un couloir de nage sépare la terrasse du jardin fleuri, des bouées flottent au milieu. Un cygne, un flamand rose, un crocodile, des frites. Certaines personnes se baignent déjà, la musique imprègne l'atmosphère d'un parfum festif qui sent bon l'été.
Heinrich vient nous trouver. Il porte un collier de fleurs autour du coup, et des bracelets fluorescents à ses poignets. La musique l'oblige à parler fort.
— C'est cool que vous ayez pu venir.
— C'est cool que tu nous ais invité, répond Capucine.
— On est enfin en vacances ! s'exclame-t-il. Je n'allais pas laisser passer l'occasion de faire une fête ! Ni de recevoir mon ancienne correspondante adorée.
Il ajoute un clin d'œil en direction de Capucine. Si sa peau avait pu rougir, je suis certain qu'elle l'aurait fait. Ma meilleure amie lève les yeux au ciel, feignant l'indifférence.
— Servez-vous, les boissons sont là, la bouffe ici.
Il nous désigne un buffet. Chacun a apporté quelque chose. Olga dépose le cake confectionné par sa mère et Capucine les chips.
— Y a aussi des bières dans la cuisine, par là, ajoute-t-il.
On hoche la tête, Heinrich passe un collier de fleurs autour du cou de Capucine. Ma meilleure amie se laisse faire, visiblement ravie. On part chercher un verre, et grignoter quelques biscuits apéritifs. Au passage, nous saluons les invités d'Heinrich. Je reconnais Erwin et Liselotte, auprès desquels Capucine ne tarde pas à engager la conversation. Moi, je rejoins Lora et Magdalena. Elles paraissent contentes de me revoir, elles ont bronzé depuis la dernière fois. Lora m'explique qu'elle est partie plusieurs semaines en France, en Bretagne. Magdalena n'a pas pris de vacances cette année, elle effectue un stage à la clinique où travaillent les parents d'Olga et Emil. Elle m'explique qu'elle a été recalée lors du concours d'entrée en école de médecine. J'en suis désolé pour elle. Le concours est très sélectif et les places sont chères, à cause du numerus clausus. On a les mêmes soucis en France. On manque de médecins alors qu'ils en recrutent de moins en moins dans les écoles de médecine.
— Tu danses ? propose Lora.
Fort de mon expérience à Munich, je ne refuse plus de danser, désormais. Nous rejoignons la piste de danse improvisée, et je me laisse vite entraîner par la musique. Cette fois, Axel n'est pas là pour détourner mon attention, ni Emil, et j'ai pris conscience que le ridicule ne tue pas. Mes mouvements ne sont toujours pas coordonnés, mais nous ne sommes pas dans une danse de salon. Personne ne fait attention à personne en réalité.
Je me déhanche au rythme de la musique, un peu n'importe comment. C'est un mélange de techno et de pop allemande. À un moment, je crois même reconnaître Durch Den Monsun du groupe Tokio Hotel. Un groupe de rock allemand, parti aux Etats-Unis, dont on n'entend plus trop parler depuis un moment, mais que je suis sur les réseaux sociaux. Les tenues de Bill et son look assumé m'ont toujours fasciné. Je danse pendant au moins une demi-heure. Capucine finit par nous rejoindre avec Heinrich. Je ne sais pas si c'est l'alcool qui fait ça, ou simplement l'été et les vacances, mais j'ai l'impression qu'ils se sont rapprochés, tous les deux. Ma meilleure amie danse contre lui, alors que quelqu'un lance une playlist latino. Ils sont particulièrement proches, on applaudit leur coller-serrer.
Olga est assise sur un transat, elle discute avec Erwin. En sueur, je m'éloigne de la piste pour aller me servir à boire. Je récupère un verre du cocktail préparé par Heinrich. Lora et Liselotte sont venues l'aider à tout préparer cet après-midi. Je me sers, puis me rends compte qu'il n'y a plus de chips dans le saladier. Une fille passe près de moi et me désigne la cuisine, pour aller recharger. Je la remercie et m'éclipse vers ladite cuisine. Là-bas, on trouve les mêmes meubles en bois. Quant à la cuisine, avec ses petits rideaux rouges, elle me rappelle la montagne. Je trouve rapidement des paquets de chips que je renverse dans le plat.
C'est seulement là que je remarque que je ne suis pas seul. Accoudé contre le comptoir se tient un garçon que je ne mets pas longtemps à reconnaître. Il s'agit de Lukas, celui qui n'avait pas cessé de se moquer d'Emil lors de notre première soirée. Je fais mine de ne pas le voir. Je m'apprête à sortir quand il m'appelle.
— T'as pas vu les bières ?
Je me retourne. Il est penché en avant, vers un placard. Je repose le plat et m'approche pour jeter un coup d'œil, avant de lui désigner un meuble où se trouvent les caisses.
— Elles sont ici, indiqué-je.
— Danke schön !
Olga et Erwin arrivent. Eux aussi cherchent les bières. Je leur désigne la caisse à leur tour. Erwin en prend une, la décapsule et trinque avec Lukas avant de s'éclipser. Je m'apprête à m'en aller pour de bon, quand la voix de Lukas me fait me retourner d'un bond.
— C'est des bières de pédé ça, comme ton frère ! Elles ont aucun goût.
Ces mots ne s'adressent pas à moi, mais à Olga. Elle s'arrête pile au moment où elle s'apprêtait à franchir la baie vitrée pour retourner sur la terrasse. Je la vois resserrer ses mains autour de sa bière, puis se retourner très lentement. Lukas tient sa bière à la main et l'observe avec une grimace.
— Ferme la, Lukas et fais-toi pousser des neurones ! rétorque-t-elle.
Olga part vite au quart de tour. Si elle se dispute souvent avec Emil, j'ai aussi remarqué qu'elle est toujours la première à le défendre.
— Ça va, calme-toi, c'était juste une remarque, souffle celui-ci.
Il balaye l'air de sa main. Je sens la colère gronder à mon tour dans mon estomac et serre mes doigts autour de mon propre verre. Il n'en a jamais marre de jeter des piques sur Emil ? Qu'est-ce qu'il cherche à la fin ?
— Tu te sens mieux maintenant que tu as lancé ton petit commentaire ? demande-t-elle.
J'aurais pu répondre pareil.
— C'est bon. Déstresse-toi. C'était juste une blague.
J'arque un sourcil. Il commence vraiment à énerver. Sa remarque sur Emil me blesse, même si je n'en suis pas la victime. Je déteste quand quelqu'un lance une insulte, puis se défend en prétendant que celui ou celle qui la reçoit n'a pas d'humour. Insulter quelqu'un et se moquer, ce n'est pas rire.
— Les blagues sont faites pour être drôles, rétorqué-je à mon tour. Or, la tienne n'a rien de marrant.
Lukas se fige, sa bière à la main. Il me toise des pieds à la tête.
— T'es qui, toi au fait ?
— Raphaël.
— Ah ! Oui. Le correspondant français.
Son petit air condescendant ne me plaît pas du tout. Il arbore une montre de luxe à son poignet et son t-shirt de marque laisse clairement comprendre de quel milieu il vient. Je ne dis pas que tous les riches sont comme lui, loin de là. Mais lui me rappelle mes camarades de l'école de commerce.
— Tu connais bien Emil Von Leibniz à ce que je vois, ricane-t-il.
— Mieux que toi je pense, je réplique.
— Wao. T'es hyper susceptible en fait ! Ou alors il y a autre chose ? Il te plaît ?
— Raph, viens, ça ne sert à rien de discuter avec Lukas quand il a bu.
Olga me tire derrière elle. Je reste planté ou je suis, sentant la colère monter.
Non, elle ne monte pas, elle enfle et menace d'exploser. Je me retiens de lui jeter mon verre de mojito dans la figure.
— De quel droit tu te permets de parler d'Emil comme ça ? l'agressé-je.
— En quoi ça te gêne ? C'est ton mec ?
— Ouais, c'est mon mec ! répliqué-je.
J'ai parlé plus fort que ce que je pensais. Olga resserre ses bras autour du mien et me tire derrière elle. Lukas marque un temps d'arrêt. J'ai envie de me battre avec ce garçon. Parce que c'est juste un connard et qu'il s'en prend à Emil alors qu'il n'est pas là pour se défendre. Je n'ai jamais été victime d'homophobie, je pensais naïvement que cela ne se voyait plus dans certains endroits. Nous n'avons eu que du positif pour l'instant, Emil et moi. À part Olga qui fait sa mauvaise tête - ce qui n'a rien à voir avec de l'intolérance - tout le monde a l'air content pour nous.
Je fais un pas en avant, les poings serrés. Lukas affiche maintenant un petit sourire condescendant que j'ai envie de lui faire ravaler.
— Oh! Vraiment, vous êtes ensemble ? Félicitations. Je ne savais pas que t'étais gay.
— Je ne savais pas que tu étais homophobe.
— Je ne suis pas homophobe, j'ai un très bon ami gay.
Olga resserre sa main. Ma colère enfle. Je vais le tuer.
— Raph, il n'en vaut pas la peine, répète Olga.
Je souffle, je cherche à me contrôler, à faire passer la rage qui pulse en moi.
Elle a raison. Je ne devrais pas m'abaisser à son niveau. Mais son petit sourire hautain et sa mine satisfaite me donnent envie de lui renverser mon verre sur la tête, de l'agripper par son t-shirt Ralph Laurens et de le jeter dans la piscine d'Heinrich. Voir, de lui mettre mon poing dans la figure. Bon, en réalité, je ne pourrais sûrement pas faire tout ça, je suis loin de savoir me battre. Mais dans mon esprit, le scénario fonctionne plutôt bien. Ça m'agace ce truc de « La violence ne résout rien », parce qu'en attend, ce type de gars peut continuer à balancer des insultes.
— C'est ça, pars la queue entre les jambes retrouver ton toxico. T'as que de la gueule en fait !
Je me retourne. Cette fois, je vais le frapper.
Au même moment, Heinrich et Capucine débarquent dans la cuisine. Ils s'amusent, rient. Ils interrompent à l'instant où je m'apprête à me transformer en Avengers – même si je suis loin de ressembler à Tony Stark ! -. Ils voient tout de suite que quelque chose ne va pas. Les yeux d'Heinrich vont et viennent d'Olga à moi.
— Qu'est ce qui se passe ? demande-t-il.
— Lukas joue au con et Raph a envie de lui taper dessus. Dis-lui de rentrer chez lui avant que ça dégénère.
Je me sens toujours bouillir. Heinrich, qui semble bien connaître Lukas et avoir l'habitude de ses remarques, s'occupe de le raccompagner à la porte malgré ses protestations. Capucine et Olga m'entraînent sur la terrasse. Là, ma meilleure amie me tend un nouveau verre, car j'ai laissé le mien sur le comptoir de la cuisine, pendant qu'Olga vérifier où Heinrich en est avec Lukas.
Je l'avale d'un trait.
Je n'ai plus goût à faire la fête.
J'ai envie de rentrer et de retrouver les bras d'Emil. Les mots de Lukas tournent et retournent dans mon esprit. Je regrette que nous ne nous soyons pas battus. J'en avais envie, ça m'aurait fait du bien je crois.
Capucine voit que ça ne va pas. Elle s'assoit sur le transat ou j'ai trouvé refuge, face à la piscine. Plusieurs amis d'Heinrich s'y sont jetés tous habillés, je surveille qu'aucun ne se noie. Cela me donne un but. Capucine me tend un bretzel.
— Mange ! ordonne-t-elle.
Elle se met en mode maman. Je grignote sans conviction. Comme si on pouvait tout résoudre avec un bretzel. Les grains de sel croquent sur ma langue. J'avoue que c'est bon, un peu sec par contre. Ceux que mange Emil son meilleur. Les larmes commencent à me monter aux yeux. Olga nous rejoint.
J'ai envie de rentrer.
— Qu'est-ce que Lukas a voulu dire ? demandé-je.
Olga soupire.
— Rien, l'écoute pas, c'est juste une grande gueule. Heinrich l'a fait raccompagner chez lui par sa copine.
— Pourquoi il n'aime pas Emil ?
Olga, qui tient un verre de jus d'orange, avale une gorgée.
— Contrairement à ce que tu crois, tout le monde n'apprécie pas mon frère.
— Ouais, mais lui...
— Lui ! C'est particulier ! Je te l'accorde, me coupe-t-elle. En fait, Axel, Emil et Lukas, faisaient de la voile ensemble, enfants. Quant Axel et Emil sont sortis ensemble, il l'a super mal pris. Il s'est moqué d'eux, les a rejetés. Axel a prétendu que c'était qu'une expérience pour revenir dans ses bonnes grâces et tu connais la suite.
— Donc, il est juste homophobe, en fait.
— Oui... il est juste homophobe, je suis désolé.
Je ne sais pas quoi répondre à cela. Sa réponse est simple mais elle ne me satisfait pas. On ne peut pas rejeter quelqu'un juste parce qu'il n'est pas comme nous, si ? Cela me semble aberrant. Je n'avais pas conscience de tout cela avant. De toute cette haine cachée. Je passe ma tête entre mes mains, Capucine me caresse le dos.
— Et... au sujet de ce qu'il a dit ? insisté-je en relevant la tête, les yeux dans ceux d'Olga.
Cette fois, je la vois hésiter avant de répondre.
— Est-ce qu'Emil se drogue ? demandé-je. C'est ça que vous ne voulez pas nous dire avec tes parents ? C'est pour ça que vous vous disputez ?
Est-ce que c'est pour cela qu'il paraît parfois si enjoué et d'autre fois si fatigué ? Je ne l'ai jamais vu fumer. Mais j'imagine qu'il existe d'autres types de drogue. Mon cerveau tisse mille et un scénario. Si ça se trouve, Emil est un dealer qui m'a aveuglé avec de belles paroles et je n'y ai vu que du feu.
— C'est mieux que tu en parles avec lui, d'accord ? chuchote Olga.
— Donc, il se drogue.
— C'est plus compliqué que ça. Laisse-lui t'expliquer.
Pour une fois, elle n'est pas virulente. Elle défend son frère, elle qui est d'habitude si prompt à l'attaquer. Je ne sais pas quoi dire. Comment cela peut-il être plus compliqué ? C'est oui ou c'est non, compliqué n'est pas une réponse.
Au loin, je vois Heinrich s'approcher. Il traverse la piste de danse pour se rapprocher de nous et manque d'être entraîné dans la piscine par deux filles qui cherchent à le pousser. Il s'écarte au dernier moment et elles tombent à l'eau toutes les deux en gloussant.
— Lukas s'est barré, nous apprend-il. Ça va, Raphaël ?
— Mouais, marmonné-je.
— Euh... du coup, félicitations pour toi et Emil.
Je souris tristement. Ses félicitations semblent sincères, mais pourquoi me félicite-t-il ? Je suis tombé amoureux d'Emil, c'est tout, je n'ai rien fait pour ça.
— Je crois que je vais rentrer, décrète-je.
— Je te raccompagne, déclare Capucine.
— Non, reste ici, profite. J'ai envie d'être seul.
J'embrasse ma meilleure amie sur la tempe et lui assure que je vais bien. J'ai juste besoin de prendre l'air, et elle a le droit de s'amuser. La soirée est loin d'être terminée. Capucine adore danser, Olga et Heinrich en ont envie aussi. Je ne veux pas plomber l'ambiance avec ma mélancolie.
Je leur souhaite de passer une bonne fin de soirée et m'éclipse.
Une fois dehors, je marche seul - tel Jean Jacques Goldman -, pour rejoindre la maison de ma correspondante. Il fait bon et frais. Mes pieds ripent sur des petits cailloux sur le chemin. Je marche en fixant mes pieds, il n'y a pas une voiture dans la rue, la ville n'est éclairée que par quelques lampadaires. Mes pensées vont et viennent d'Emil à Lukas, je retourne les paroles d'Olga. Est-ce que cette « complication » dont elle parlait à quelque chose à voir avec les médicaments que prend Emil ? Est ce qu'il s'agit de drogue ? Non, impossible. Ses parents ne laisseraient pas de la drogue en libre-service dans le tiroir de la cuisine, ils sont médecins. Cela n'aurait pas de sens.
Je revois Emil prendre des cachets dans le tiroir. Les avaler. Poser son doigt sur ses lèvres pour que je garde le secret. Son père demander combien il en a pris.
Je laisse mes pensées tourner, tourner, tourner.
Je dois les arrêter. Je ne veux pas que mes angoisses l'emportent. Emil a le droit de se défendre, surtout que je ne l'ai pas appris de la bonne façon. Je n'ai pas envie de lui raconter ce qu'il s'est passé dans la cuisine avec Lukas et que je veux que cela vienne de lui-même.
J'arrive devant leur maison. J'hésite à entrer. Je pourrai m'asseoir sur le petit muret et attendre que les filles rentrent. Si elles rentrent...
Je choisis d'entrer. Mes réticences sont ridicules. J'enlève mes chaussures, grimpe les escaliers, pousse la porte de la chambre. La lumière est éteinte. Je retire mes vêtements et récupère mon pyjama, Emil l'a posé sur le canapé lit. Sa porte grince quand je pénètre à l'intérieur. Je suis accueilli par son souffle léger. Je m'avance doucement pour ne pas le réveiller et me glisse sous les couvertures.
Il se retourne dans le lit, tandis que je me blottis sous la couette. Il s'avance vers moi et pose sa main en travers de ma hanche.
— Tu t'es bien amusé ? murmure-t-il.
— Oui.
Ce n'est pas le moment d'aborder le sujet. Je repousse l'une de ses mèches de cheveux et l'embrasse.
— Rendors toi, mon amour.
Il dort déjà. J'admire sa facilité à s'endormir, alors que je peux parfois tourner des heures pour trouver le sommeil. Emil ronfle légèrement, cela m'arrache un sourire. Je choisis de mettre de côté ce qu'a dit Lukas pour l'instant. Je suis amoureux d'Emil, même s'il n'est pas aussi parfait que je le pensais.
Je m'endors contre lui, le cœur empli de questions, mais certains de l'amour que je porte à garçon.
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