5. La fin du cauchemar

Les cris et les couleurs se mélangeaient, je n'arrivais plus à les distinguer clairement, à leur donner une contenance ou même à leur donner un nom. Tout ne me semblait plus être que chaleur et bruit. Ces deux allaient bien ensemble. On assimile plus le froid au calme...
C'était la folie.
Quand cette idée me traversa l'esprit, le silence reprit sa place et la chaleur ne venait plus que de mon corps coincé dans un cocon de draps trempés de sueur.
Il faisait nuit et le silence régnait en maître.
Je dormais, ce n'était qu'un rêve. Un rêve de fou! Mais je suis folle.
Je respirais rapidement, ce cauchemar m'avait beaucoup affecté. Mais comment avais-je pu confondre la réalité, logique, rationnelle et terne, à ce monde coloré et fantaisiste?
Cette grosse truie, cette reine farfelue et tout ces animaux qui défiaient les lois de la nature n'étaient que le fruit de mon imagination!
Pourtant, lorsque je m'assieds pour regarder les alentours, je découvre le sac en papier du jardin. Je me glisse hors de mon lit pour en vérifier son contenu et j'y découvre avec horreur les langues boursoufflées que m'avait commandé la truie. Ce n'était pas possible.
Enfin si, puisqu'il se trouvait que j'avais entre les doigts un morceau de langue! Répugnant.
Mère nous en avait déjà préparé, à Harlan et moi. Harlan les avait avalé sans broncher mais je n'y avais pas touché. Mère avait donc sombré dans une colère noire et après m'avoir roué de coups et m'avoir punie de sortie pendant une semaine, m'ordonna de monter dans ma chambre.
Dans ma petite chambre aux murs nus et au lits aux draps trempés de sueur chaque nuit par mes rêves tourmentés.
Je faisais de plus en plus souvent des rêves colorés où les animaux parlaient comme vous et moi. Mais ils étaient courts et jamais ils me paraissaient aussi vrais...

Mais, en témoignait ce sac, les évènements de cette nuit étaient bien réels, si fou que cela puisse paraître.

Mais je suis folle, je devrais y être habituée. Qu'en témoigne le fait que je m'en ailles à la cuisine prendre mon petit-déjeuner sans m'en inquiéter plus que ça.

J'y croises mon frère. Harlan a les yeux tristes, comme toujours, et moi je lui souris, comme toujours. Je lui dit que j'ai vu Marc. Il reste plongé dans ses pensés mais souris à son tour. Ses yeux semblent moins triste, j'y verrais presque deux silhouettes y danser devant les flammes. Mais son sourire s'éteint comme le feu de ses yeux aussi vite qu'il m'est apparu, comme s'il ne m'avait laissé voir qu'un fragment de son intimité.

Nous mangeons en silence, mais cela ne me dérange pas, j'en profite pour me demander comment retourner donner ses langues à la truie.

En fait Harlan ne parle jamais, hormis pour me souhaiter une bonne nuit, je crois qu'il se doute que je fais des rêves étranges. Cela me dérange, quoique je m'en fiches.

Aujourd'hui je joues dans le jardin, sur la balançoire miteuse accrochée au saule depuis plus de 10 ans par Harlan.

Elle grince quand je me balance mais je m'en fiches, elle a toujours grincé du plus loin que je me souviennes. Le saule est tout près de l'étang, il est peu profond mais tout ce qui y vit y est heureux. Une fois j'y ai vu un poisson rouge écarlate, mais il a disparu très vite. D'ailleurs je crois bien que ce poisson avait une tâche jaune, mais je ne saurais plus dire. Je n'aime pas les sardines, ça pue et...

Je suis toute mouillée, et je ne respire plus. Je suis sous l'eau? J'ai entendu u craquement, je crois que c'est la corde de la balançoire qui a cédé. Mince, j'aimais bien cette balançoire.

L'étang n'est pas sensé être si profond, si?

Je remontes à la surface mais je ne suis pas dans le jardin, je suis de retour dans cet étang couvert de nénuphars, avec le pont en bambou plus loin, et le couvert d'arbre au-dessus de nous tous. La mante religieuse et son haut de forme ne semblent pas être là. Un jeune homme se trempe les pieds dans l'eau vaseuse, c'est Marc, encore lui.

Je me souviens qu'il traînait souvent avec mon frère avant. Mais il a attrapé la grippe bovine, et il est mort.
C'est triste qu'il soit mort, moi aussi je l'aimais bien, et je crois qu'il était vraiment très proche d'Harlan.

«On est dans le pays des morts ici?
- Comment ça? me demande le jeune blond avec surprise.
- Bah t'es mort de la grippe non? L'été dernier...
- Heu, il marque un temps d'hésitation, je crois que tu perds la boule.
- Bah oui je suis folle t'as oublié?»

Il rit un coup puis s'allonge en regardant les feuilles jaunes des arbres au-dessus de nous.

«Ton frère me manque, murmure-t-il.
- Je crois que tu lui manques aussi.»

Mon ton était celui d'une enfant qui répond à contre cœur à son frère pour jouer au docteur.
Je n'ai jamais joué au docteur.
La dernière fois que j'en ai vu un, je n'étais pas rassurée...
Je ne me souviens pas très bien.

+++

La lumière blanche m'aveugle, je crois que je dormais, j'ai mal à l'épaule, on me l'a piqué avant de dormir, les piques font mal, un grand monsieur a la tête penchée au-dessus de mon lit, ses lunettes cachent son regard, il a des rides en forme de pattes d'oies aux coins des yeux, il ne me rassure pas malgré son sourire.

+++

«Je suis mort depuis combien de temps? me demande Marc.
- Je t'ai déjà dit: l'été dernier!
- Oui...»

Son ton, son regard et sa posture sont tristes. Il est renfermé sur lui-même, les épaules voûtées, comme Harlan depuis sa mort.

Il y a eu une dispute peu avant sa mort, Maman et Papa ne voulait plus voir Marc et Harlan ensemble. C'était bizarre, Harlan a commencé à se vouter et se taire. Marc n'est jamais revenu. J'étais triste car il était gentil. Un jour Maman nous a dit qu'il était tombé malade et que la maladie l'avait vite tué.

Marc me regardait curieusement depuis un moment avant de rouvrir la bouche:
«Tu ressembles un peu à Harlan, tu as les mêmes yeux passionnés.
- Si tu le dis, dis-je en haussant les épaules.»

J'étais couverte de vase et ça commençait à me gratter mais je m'en fiches.
Il n'y a pas encore eu beaucoup de moustiques, l'été est sec cette année.

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