Chapitre 2 : la visite
Tournant en rond au milieu de ma chambre, chaque seconde me paraît durer une éternité. Soudain cet horrible grincement, qui, pour une fois, résonne agréablement dans mes oreilles. Je me redresse et me rue en direction le porte. Je m'arrête nette quand je la vois, juste devant moi, avec son sourire habituel:
"-Bonjour ma chérie, me dit gaiement ma mère."
À ses mots, je me jette dans ses bras et l'enlace de toutes mes maigres forces. Elle m'étreint à son tour, bien que surprise par ma réaction. En effet, cela doit faire des mois que je refuse de la prendre dans mes bras. Que je refuse que quiconque m'approche d'ailleurs.
Je pose mon menton sur son épaule et j'enfouis mon visage dans ses cheveux. Son doux parfum et sa chaleur m'apaisent. Cette sensation m'avait étrangement manquée. Mes muscles se détendent un à un et toute ma tristesse et mon ennui s'évaporent doucement. Elle est la seule qui puisse m'apporter cette sérénité. Elle finit par s'écarter et, tout en relevant le sac qu'elle tient dans sa main droite, elle s'exclame :
"-Tu dois avoir faim !"
Mon ventre répond avant moi et nous rigolons légèrement. Je récupère le sac provenant de mon fast-food préféré et saute sur le lit. Remarquant qu'elle ne s'assoie pas à mes côté, je pose mon regard sur elle. Je ne l'avais pas remarqué, trop obnubilée par la nourriture, mais elle tient en sa main gauche un magnifique bouquet arc-en-ciel. Elle le dépose délicatement dans le vase, jusqu'à présent vide, puis vient s'asseoir à ma droite. Je contemple ces sublimes anémones. Ce ne sont rien que quelques petites fleurs fragiles mais pourtant je les aime.
L'écoeurante odeur des frites mêlée à celle des burgers fait frétiller mes narines et réveille mon appétit, deviant alors mon attention de ce bouquet resplendissant. Je ne veux pas manger mais je me précipite sur le sachet. Je récupère les deux sandwichs et en tends un à ma mère. Nous les entamons dans une ambiance agréable.
Elle finit sa bouchée puis interrompt ce moment de paix :
"-J'ai vu ta psy et..
-Je sais, la coupé-je immédiatement la bouche pleine.
-Si tu le sais pourquoi tu ne l'écoutes pas ? Pourquoi tu ne fais pas ce qu'ils te demandent ? Ne serait-ce qu'en mangeant. Tu te rends pas compte mais tu fais peur à voir. Tu as vu ta maigreur ?! Quand je te tiens dans mes bras j'ai l'impression de tenir un sac d'os.. Puis t'es devenue si blanche que tu es presque translucide..! "
Je réponds en haussant le ton :
"-Mais je n'ai pas faim ! Tout m'écoeure et me saoule ici. Que ce soit les gens les odeurs tout..! Tout m'oppresse ici..! TOUT ! Je veux rentrer, dis-je sentant les larmes me monter aux yeux et ma gorge se nouer. Je ne veux plus rester ici..! Tu crois que ça m'amuse d'être comme ça ?! Honnêtement.., dis-je dans un murmure. Cet endroit commence à me rendre dingue...
-Que ça t'amuse ou pas tu es en train de te détruire ! Tu veux rentrer ? Alors écoute ta psychiatre et arrête de faire ça ! Merde à la fin..!
-Je..."
Je me coupe et pose ma tête contre son épaule n'ayant plus la force de parler, ma gorge me brûle trop. Je compresse mon burger et je sens la sauce me dégouliner entre les doigts.
Nous restons un moment ainsi, moi au bord des larmes et elle silencieuse ne sachant quoi me dire. Pourquoi ça m'arrive à moi tout ça...?
Finalement, elle soupire puis demande afin de me changer les idées :
"-Et tu n'as rien à me raconter sinon?"
Mes yeux se posent sur les restes de mon burger, je les mets dans le sac avant de m'essuyer brièvement les mains dans ma tenue. Elle me jette des serviettes en papiers tout en haussant les sourcils.
"-Tu fais n'importe quoi, lâche-t-elle."
Je hausse les épaules mollement. Elle veut que je lui raconte quoi..? Mes journées ne se résument à pas grand chose. Elles sont rythmées par les venues de mes soignants que ce soit pour manger ou pour mon traitement. Donc mis à part pour me plaindre, je n'ai rien à raconter.
Cependant, la voix de l'homme me revient à l'esprit au moment où je secoue faiblement la tête de gauche à droite. Mon visage se crispe.
"-Tu me caches quoi, me questionne-t-elle inquiète."
Je me redresse et, après une hésitation, je lui parle de cet inconnu qui est venu me voir hier. Un homme que je n'avais encore jamais vu et qui voulait probablement manger avec moi. Elle s'exclame :
"-Mais tu es bête, tu aurais dû y aller !
-Je n'ai pas eu le courage, rétorqué-je. J'ai eu peur de ne pas supporter, de mal réagir, de faire une crise au milieu de tous ces gens...
-Et ça se trouve que tout se serait bien passé, me dit-elle d'un ton qui se veut rassurant. Tu ne peux pas vivre toute ta vie dans la peur...
-Arrêter d'avoir peur ? Comment tu veux que j'arrête d'avoir peur quand tout me revient toujours à l'esprit, je m'écrie presque."
Je serre les dents, comment arrêter d'avoir peur quand toutes ces images défilent ? C'est simple; c'est impossible.
Elle s'arrête un instant et me fixe avec tristesse. Elle tente d'aborder le sujet de mon traumatisme, voulant savoir ce que j'ai réellement vécu. Elle ne peut pas comprendre si je ne lui raconte pas pas mais je ne suis pas prête à en parler et je ne le serai sûrement jamais. Je veux juste tout effacer de ma mémoire, ne plus jamais y repenser.
Voyant ma réticence, elle abandonne l'idée d'en apprendre plus aujourd'hui.
Après un long discours de sa part, elle réussit à me convaincre d'aller
voir cet étrange personne. Qu'ai-je de plus à perdre en soit ? Et puis comme ça, peut-être que sa voix sortira enfin de ma tête. Si ça se passe mal, je peux toujours revenir ici pour me réfugier, bien que je déteste cette chambre. Cependant je déteste moins cette chambre que ces humains alors c'est toujours mieux que rien.
Le temps défile à une allure folle quand je suis avec elle. Regardant l'heure, elle m'annonce maussadement qu'elle doit rentrer. Je fronce les sourcils et une vague de tristesse m'envahit, je ne veux pas qu'elle me laisse seule ici. En plus, cela veut dire que l'heure de mon traitement approche et je déteste ça. Elle récupère les papiers d'emballages et les froisse avant de les mettre dans le grand sac de nourriture vide. Nous nous disons au revoir dans une dernière embrassade. Alors qu'elle se lève et commence à partir, je bondis du lit et la retiens, l'enlaçant par derrière. Je pose ma tête contre son dos, la suppliant silencieusement de rester. Je dois vraiment ressembler à une enfant capricieuse comme ça.
L'infirmière ne tarde pas à arriver à cause du retard de ma mère. Elle vient lui demander, ou plutôt la forcer, à partir interrompant alors ce moment apaisant. Je desserre mon emprise à contre cœur. Ma mère et moi nous disons au revoir pour la dernière fois tandis que me retiens de pleurer. Je ne veux pas perdre la face devant elles. Ma mère sort, me faisant un dernier signe de la main, tout droit suivie de mon infirmière.
Je reste plantée là, au milieu de la chambre, frustrée et désespérée d'être bloquée ici. Sa visite m'a fait du bien, suffisamment pour que mon corps se soit légèrement dégourdi et que mes pensées se soient éclaircies. Je suis plus libre de mes mouvements, moins prisonnière de ce coton entravant. Cependant cela est à double tranchant puisque ces sentiments de haine et de solitude deviennent encore plus insoutenables.
C'est alors qu'un fort bruit vient me surprendre, je sursaute et regarde en direction de ce tapage. Après deux secondes cela recommence. Je m'approche de la paroi et écoute avec intention. C'est comme si, de l'autre côté, quelqu'un se heurtait violemment au mur. La fréquence des coups devient de plus en plus rapide. Je ne sais pas ce qu'il se passe mais cela m'irrite. Agacée, je décide de sortir afin d'en comprendre la provenance. Je toc à la porte adjacente et une fille, probablement de mon âge, ouvre la porte. Elle est assez flippante avec ses longs cheveux noirs qui lui tombent devant son maigre visage. Elle ressemble à la fille dans the Ring, ses yeux sont à peine discernables.
"-Excuse-moi, je ne sais pas ce que tu fais mais arrête c'est un peu.... énervant, lui dis-je d'une voix enrouée.
-J'fais rien, répond-t-elle froidement."
Sans dire un mot de plus, elle me claque violemment la porte au nez. Je reste un instant choquée. La porte est à un centimètres de mon visage. Je ne l'ai pas agressé alors pourquoi a-t-elle réagit comme ça ? Je reste statique à fixer cette porte close. Pourquoi je me retrouve au milieu de ces gens..? Je ne suis quand même pas comme eux..?
Un infirmier m'interpelle et me tire hors de mes pensées, je tourne doucement la tête en sa direction, le regard vide. Qu'est-ce qu'il me veut lui ?
"-Que fais-tu ici, me questionne-t-il de loin."
Je reste muette face à sa question. Il s'approche et me demande de rejoindre ma chambre. Après quelques secondes, je m'exécute ne voulant pas qu'il m'y traîne de force.
"Je reviens dans un instant, m'annonce-t-il avant de repartir."
Ses mots résonnent dans ma tête. C'est l'heure; je vais redevenir ce zombi qu'ils désirent tant que je sois. Il y a au moins un avantage à ça, tout étant un peu vague et mélangé ma notion du temps est déréglée. N'ayant plus conscience des jours et des heures, tout me paraît moins long, tout est un peu superposé, semblable. "Un mal pour un bien", je murmure tout en m'asseyant sur la chaise placée dans le coin de la chambre.
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