Chapitre 1 : La clinique

Une fois de plus, la porte de ma chambre s'ouvre dans son dérangeant grincement. Le fin filet de lumière blanc qui s'infiltre dans la pièce m'agace aussitôt. Je plonge alors mon visage dans mon oreiller et tente de me rendormir en vain. Mon infirmière ne semble pas décidée à me laisser faire. En effet, comme tous les matins, elle traverse rapidement la pièce accompagnée de ses lourds bruits de pas résonnant dans mes oreilles. Elle s'arrête et ouvre d'un geste rapide les volets. Ce sont maintenant les rayons du soleil qui envahissent la salle. Ils viennent se poser sur moi et me réchauffent doucement. Le coussin ne suffisant plus à me préserver de la clarté, j'enroule mes bras autours de ma tête. Mon aide-soignante s'approche de mon lit. Son parfum fleuri arrive à mes narines et vient se mêler à l'odeur de désinfectant et de médicament ancré dans chaque recoin de cette pièce. Un mélange fortement déplaisant. J'entends sa voix qui me paraît si lointaine. J'ai énormément de mal à comprendre ce qu'elle me dit, comme si j'étais dans du coton:

"-Tu devrais te lever, l'heure du petit-déjeuner est bientôt terminée."

Elle attend une réponse mais je reste terrée dans mon mutisme. Quelques secondes s'écoulent puis, sachant que je ne daignerai ni répondre ni bouger, elle s'éloigne. L'entendant partir, je relève légèrement la tête et la tourne en sa direction. Sans dire un mot, je me mets à scruter sa vague silhouette. De dos elle est si frêle; elle est extrêmement mince et plutôt grande. Sa longue blouse blanche l'amincis d'autant plus. Ses cheveux blonds, quand à eux, sont soigneusement attachés en chignon. À quelques centimètres de la sortie elle se retourne, sûrement pour vérifier si oui ou non je me suis décidée à me lever. Nos regards se croisent et le sien me semble triste. La main sur la poignée, elle se fige :

"-Ce n'est pas en rejetant ceux qui t'entourent que tu iras mieux.., souffle-t-elle avant de me laisser seule."

Après un petit temps de réaction, je hausse les épaules. Il n'y a plus que le son de ma respiration pour briser le pesant silence qui s'est à nouveau imposé. Je laisse retomber ma lourde tête dans l'oreiller et ferme à les yeux. Mon esprit est embrumé et mon corps lourd. Au début, cet état d'inertie me frustrait au plus haut point. Mais maintenant je m'en fiche, lâcher prise est plus simple et bien moins fatiguant. Après une dizaine d'ennuyeuses minutes, je prends une grande inspiration et m'assoie au bord du matelas laissant mes jambes se balancer mollement dans le vide. Du coin de l'oeil, une forme attire mon attention. Je dévie mon regard en sa direction et remarque un oiseau. Il est de l'autre côté de la fenêtre et vient se poser sur une branche toute proche. Il étire son petit cou et se met à zinzinuler comme s'il tentait de me parler. Je l'observe tandis que ses magnifiques couleurs brillent au soleil. Son ventre jaune étincelle grâce aux rayons dorés. Je reste ainsi à le contempler jusqu'à ce que, d'un petit coup d'ailes bleues, il finisse par s'envoler loin de là. Je baisse la tête et fixe le sol. Toi tu es libre, l'envié-je après l'avoir vu s'éloigner. Tout en soupirant, je place mes mains sur le lit, prends appuis et saute. Je manque de tomber mais me rattrape sur la table de chevet avant d'avancer, fébrile, pieds nus sur le sol atrocement froid. Un frisson me parcourt le corps.

Arrivée à la fenêtre, j'attrape la poignée et l'ouvre avant de regarder le ciel avec mélancolie. Moi aussi je voudrais m'envoler loin d'ici. Je pose mes coudes sur le rebord et laisse la brise effleurer mon visage tandis que mon esprit divague. Soudain, quelqu'un toque à la porte. Je ne me retourne pas et susurre la bouche pâteuse :

"-Je ne veux pas manger."

C'est alors que ce coutumier grincement précède une voix étrangère.

"-Tu devrais, ça les inquiète que tu manges pas."

Mais de quoi il se mêle lui..? Puis c'est qui d'abord ?

"-Je vais bien, lui répondis-je froidement.

-Fais comme tu veux mais si t'as faim, moi j'y vais j'ai la dalle."


Il attend deux ou trois secondes avant de repartir sans même me dire au revoir. Je me retourne et fixe la porte blanche, fermée. Une ruée de questions me traverse l'esprit. Qui est-il ? Pourquoi être venu juste pour me dire ça ? Qu'est-ce ça peut bien lui faire ? Les infirmiers s'inquiètent pour moi ? Depuis quand ? Je m'adosse à la fenêtre plaquée contre le mur puis croise les bras. Sa voix grave me hante. De quel droit s'invite-elle dans ma tête ? Je veux juste qu'on me laisse tranquille moi, seule. Alors pourquoi je n'arrive pas à me la sortir de mes pensées ? Cela a le don de m'énerver, je me fiche des gens, je ne veux plus en entendre parler et encore moins y penser. J'essaye de songer à autre chose mais il n'y a rien qui puisse m'apaiser ne serait-ce qu'un petit peu. Rien ne peut distraire mon esprit pourtant déjà embrumé. Tout est si blanc, les murs, le sol, la porte, les meubles, même ma tenue est oppressante de blancheur. Et les lumières.. elles sont si blanches qu'elles en deviennent, toutes, aveuglantes. Il n'y a que le soleil et le bouquet de fleurs coloré, apporté régulièrement par ma mère, qui offre un semblant de vie à cet endroit. Elle sait que je ne supporte pas ce blanc alors elle tente de laisser une touche de gaieté lors de ses visites. Cependant dès lors que les fleurs fanent, elles sont retirées et ma chambre retrouve sa fadeur déconcertante.

Je soupire et mon ventre se met à gargouiller. Par réflexe, j'appuie dessus avec mon avant-bras gauche.

« Tais-toi espèce d'idiot, grondé-je faiblement. »

Comme s'il me comprenait. Je roule des yeux me trouvant ridicule. "Je n'ai pas faim" murmuré-je en secouant la tête. Je ne ressens pas l'envie de manger. Je dirai même que c'est tout le contraire, rien que de penser à de la nourriture me donne une atroce envie de vomir. Et c'est sans parler des odeurs, je les déteste. Je les déteste plus que l'odeur de cet hôpital. Mais si je vais manger, je croiserais peut-être la personne de tout à l'heure, mais je ne sais même pas à quoi il ressemble. Je serre les poings, de toute manière je n'irai même pas lui parler donc à quoi bon ? Je ne veux parler à personne, ni que personne ne me voit. Je souffle d'ennui et de lassitude. Je veux juste partir d'ici et retrouver ma vie d'avant.

Les heures défilent j'ai finis par me laisser glisser le long du mur, me retrouvant face à la porte. Je n'ai ni la motivation ni l'énergie de bouger, tout semble flou autours de moi. Je me recroqueville et enfouie ma tête dans mes genoux. Alors que je m'apprête à m'endormir, la porte s'ouvre dans son sempiternel grincement. Je me couvre les oreilles par réflexe. Mon infirmière s'avance légèrement :

« -Ta maman est à l'accueil, elle a un rendez-vous avec ta psychiatre et sera donc un peu en retard, elle m'a demandée de te prévenir, m'annonce-t-elle avec douceur."

Je grommelle en guise de réponse n'ayant pas compris mais surtout pas écouté ce qu'elle m'a dit. Tout ce que j'ai besoin de savoir c'est que ma mère va venir me rendre visite.
Mon aide-soignante pénètre dans la pièce et arrive rapidement à mon niveau. Je sais qu'elle me tend la main gentiment mais je n'ai pas la moindre envie de me relever et encore moins l'envie qu'elle me touche. Elle me prend le bras et me force à me redresser. Si j'en avais la force, j'aurais brutalement retiré mon bras. Au lieu de ça, je serre les dents et me laisse faire.

« -Va au moins t'assoir sur ton lit, ta maman n'aimerait pas te voir comme ça. »

Je me mords la langue et retourne, sans réelle volonté, me mettre en tailleur au milieu du matelas. La sensation du tissus sur ma peau est désagréable, il est irritant et froid; je frissonne. Sans vraiment le contrôler, je pousse un lourd soupire.
Le temps s'écoule doucement et mon ventre se remet à gargouiller. Je prie pour que mon aide-soignante n'émette aucune réflexion à ce sujet, je ne veux vraiment plus débattre sur ça. Elle non plus apparemment puisqu'elle fait semblant de ne rien avoir entendu.

« -Bon.., soupire-elle, tu sais que si ça ne va pas tu nous préviens. Et puis ta maman ne devrait plus tarder, dit-elle tout en quittant les lieux. »

Me retrouvant seule je peux enfin aller me préparer. Je me laisse glisser hors de mon lit et me traîne jusqu'à ma commode. Je m'accroupis devant celle-ci et pose au sol ma main gauche pour me soutenir. J'ouvre un tiroir afin de récupérer une tenue propre impeccablement pliée avant de le refermer. Je pose l'espèce de robe sur mon épaule avant de me rendre dans la salle de bain. Il ne faut vraiment pas être claustrophobe car cette pièce est minuscule. J'ai tout juste la place de me retourner mais au moins, elle est fonctionnelle: toilettes, douche, lavabo, petit meuble de rangement et ce miroir. Comme si j'avais envie de me voir, soupiré-je en haussant les sourcils. Après m'être déshabillée, je me lave en vitesse. Je sais qu'elle ne va pas tarder je dois donc me dépêcher. Je dépose une serviette au sol et sort de la douche, trempée. Je commence à étouffer, la pièce s'est transformée en sauna avec l'humidité et la buée. J'ouvre la porte et la plaque contre le mur. Immédiatement la pièce s'aère et je respire à nouveau. Je m'habille rapidement et enroule une serviette autours de mes cheveux, sans leur accorder le moindre soin. Je sors ensuite de la salle de bain en traînant des pieds. A part attendre, je n'ai plus rien à faire. 

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