🎹Chapitre 14 : Tiraillé :

J'aurais tant aimé que cela ne soit qu'un cauchemar dont je me réveillerais, certes le cœur martelant, mais que j'oublierais le temps d'une journée. Mais cela était une réalité que je devrais vivre pour toute une vie. Aéna et moi partagions la même grand-mère et elle le savait mais n'avait jamais daigné m'en parler, et s'est jouée de moi. Dire que je la haïssais serait peu décrire ce que je ressentais à son égard.

Le matin arriva enfin. Vous ne pouvez imaginer à quel point j'attendais impatiemment le lever du soleil. Je m'habillai rapidement et rejoignis en quatrième vitesse notre voiture. Le chauffeur me conduisit à l'école et je me hâtai de déboucler ma ceinture et me pénétrer dans l'établissement. Je montai les escaliers quatre à quatre puis... je me rendis compte que j'avais oublié mon sac à dos sur la banquette arrière de l'automobile. Mais que suis-je bête ! Je redescendis et retrouvai George devant le portail, mon sac à la main. Je le sais et le remerciai avant de redémarrer ma course.

Devant la porte de son bureau, mon courage se faisait de plus en plus petit et je n'arrivais à toquer. Après quelques minutes, je décidai de remettre cette confrontation à plus tard. Au moment où je tournais les talons, la porte s'ouvrit et Grand-mère apparut.

-Tu ne vas tout de même rester planté là, lâcha-t-elle.

Je me raclai la gorge, gêné.

Je m'installai sur l'un des fauteuils qui occupaient la pièce. Elle prit place devant moi et me scruta en soufflant de désespoir.

-Je ne pensais pas que tu hésiterais autant à toquer. Je ne mords point, le sais-tu ?

-Comment avez-vous su que j'étais là ? Lui demandai-je.

-Je te rappelle qu'il y a une caméra juste au-dessus de la porte de mon bureau. Il y en a plusieurs dans la totalité de l'école, d'ailleurs.

Je hochai la tête, ne sachant quoi répondre.

-Je n'ai tout mon temps. Que voudrais-tu savoir ? Qu'on en finisse, lâcha Grand-mère, me faisant perdre tous mes moyens.

-Euh... je...

Elle soupira en se massant les trempes.

-J'ai beau essayé de comprendre ce que vous m'aviez dit hier, mais je n'y suis arrivé. Aéna ne peut être ma sœur ! D'ailleurs, pourquoi mon père vous blâmerait-il si lui-même avait commis une erreur ! La questionnai-je.

La directrice se leva et se dirigea vers la baie vitrée qui donnait sur le centre-ville. Après un court moment, elle se mit à discourir :

-J'ai connu ton grand-père quand j'avais dix-huit ans. Nous étions très amoureux à l'époque. Il était patient, calme, tendre et semblait m'aimer très fort. Un an plus tard, il m'avait fait sa demande et j'avais tout de suite accepté. La vie d'un couple marié est dure, très dure même. Devoir se voir tous les jours a dû faire diminuer cette flamme entre nous. Nous pensions que la naissance de ton père allait la rallumer, que nous serions à nouveau épris l'un de l'autre. Durant ma grossesse, il prenait soin de moi tel un prince le ferait à sa princesse. Il répondait à tous mes besoins, me chérissait et il suffisait que je donne les ordres, le voilà qui répond à toutes mes demandes et à tous mes caprices. Nous avions bien sûr été heureux d'avoir un enfant, ton grand-père était d'un bonheur qu'on ne pourrait décrire avec les mots. Il s'en occupait, veillait jours et nuits à le bercer, à vérifier sa température, l'allaiter et le changer. Le fait que je n'avais à m'occuper de mon enfant m'a procurée de la liberté, malheureusement. Ton grand-père était tout le temps pris à prendre soin de notre enfant, et ses cernes, ses vêtements qu'il ne changeait que très peu, m'a poussée à ressentir du dégoût à son égard. Un jour, alors que je revenais de chez le coiffeur, un homme m'interpella. Il était peintre. Il demanda ma permission pour qu'il dessine mon portrait. J'étais si joyeuse qu'on me trouvait jolie.

A la mention de cette homme, sa voix tremblota, elle se réprimait de pleurer. Qu'a fait ce peintre, bon sang ?

-Je n'avais vu un homme aussi délicat, son visage était ravissant, ses traits étaient très bien définis et son regard était un océan dans lequel je m'étais perdue. Dès qu'il m'a tendue mon portrait, celui-là, accroché au mur devant toi, et que nos mains s'étaient frôlées, je n'avais cessé de penser à lui. J'étais tombée éperdument amoureuse d'un homme que je ne connaissais guère. Je savais que ce que je faisais était lâche, immoral, mais je continuais à passer dans cette même place, chaque jour, et rien que pour le voir. Il a sans doute dû le remarquer puisqu'il venait souvent me parler. Nous avions commencé à nous fréquenter et pour être honnête, je ne ressentais aucune empathie à l'égard de ton grand-père. J'étais heureuse. Jusqu'au jour où je suis tombée enceinte de cette homme, du père d'Aéna. Il ne m'a abandonnée. Au contraire, il m'avait assurée qu'il resterait à mes côtés mais à une seule condition : que je quitte mon mari. Mais cela était impossible. J'avais besoin de ses biens, un peintre ne pouvait promettre un avenir radieux à ton père et à son propre fils, alors nous avons continué à nous voir en cachette pendant des années et des années.

Je découvris une autre facette révoltante de ma grand-mère. Elle me répugnait au plus haut point.

-J'ai accouché en cachette, et le seul prétexte que j'ai donné à Philippe était que j'avais besoin d'air et il m'avait tout de suite réservée une suite à Londres, en Angleterre. J'ai tenu à ce que cette homme soit présent et je lui ai moi-même acheté un billet d'avion. J'ai accouché là-bas de Jordan et je l'ai donné à son père et suis retournée chez moi quelques mois plus tard. Il n'avait cherché à me voir et cela était pour le mieux. J'étais devenue anxieuse, craintive, irritée sans aucune raison... mais aucun secret ne peut être gardé pour toujours, n'ai-je raison ? Conta-t-elle, en souriant tristement.

Je fulminais.

-Le personnel de l'hôtel a rapporté à Philippe qu'un homme était en ma compagnie durant mon séjour en Angleterre et son majordome a effectué quelques recherches, m'a même suivie et a tout découvert. Ton grand-père a subi un choc émotionnel sévère et... il nous a quittés. Quelques temps plus tard, l'autre homme est revenu dans ma vie pour m'informer qu'il comptait se marier et qu'il ne pouvait garder Jordan. Il lui a été dévoué pendant plus de cinq ans mais il fallait qu'il songe à son avenir. J'ai accepté de reprendre mon enfant. La tension entre ton père et Jordan était électrique. Il n'avait réussi à l'accepter et avait même commencer à me haïr de toutes son âme. Il pensait que je ne l'aimais point, puisque j'ai voulu avoir un autre garçon, il croyait fermement que j'étais la cause de la mort de Philippe, son père... Les années passèrent et nos différents s'étaient estompés petit à petit. Jordan était très difficile à contrôler, il était rebelle et je n'arrivais à le gérer. Bien sûr, ton père a essayé plusieurs fois de le remettre sur le droit chemin, de me défendre mais rien n'y faisait. J'ai décidé de l'abandonner, une nouvelle fois... je l'avais envoyé en Angleterre quitte à ne jamais le revoir. Alors quand j'ai vu le grand écrivain qu'il était devenu, qu'il avait une fille aussi charmante qu'Aéna, j'ai décidé de me racheter en lui demandant de me confier son enfant et que je ferais d'elle une fierté dont le prénom se prononcera de bouches en bouches. Il avait longuement hésité, il m'avait même injuriée de mots blessants mais que je méritais amplement. Sa femme m'a contactée personnellement et m'a priée de prendre en charge son enfant. Comme tu dois le savoir, cette dernière me hait... mais je la comprends parfaitement, je les comprends tous... maintenant, tu connais toute l'histoire, acheva Grand-mère.

Je ne sus quoi répondre. Comment a-t-elle pu être autant sans cœur, sans conscience ? Elle avait tué Grand-père qui lui était fidèle. Existerait-il en ce monde un homme qui prenne l'entière charge d'un enfant, qui donnerait autant d'importance à sa femme en faisant d'elle une reine, en prenant soin d'elle autant qu'on le ferait à une pierre précieuse d'une rareté. Elle avait détruit une famille qui aurait pu faire envier le monde. Elle a gâché l'enfance de deux enfants. L'un a grandi sans père, l'autre n'a connu sa mère que plus tard, car il a été abandonné. Quel monstre !

-Vous n'avez aucun scrupule, vociférai-je en la fusillant de mes iris.

-Je regrette mes choix...

-Vous regrettez ? Encore heureux ! Vous êtes un véritable monstre dénudé de toute moral et sentiments. Vous ne pensez qu'à votre petite personne sans vous soucier des souffrances et des blessures engendrées par vos péchés. Rajoutez mon nom en tête de la longue liste de ceux qui vous détestent. Je vous méprise de tout mon être.

Je me levai en trombe et quittai la pièce qui me semblait trop étroite. J'étais le dernier à être au courant. Je comprends mieux le ressenti d'Aéna. Voir la cause de l'amertume d'un parent tous les jours est un sentiment qu'on ne peut décrire et je me sentais mal pour elle. J'ignorais que notre famille contenait ce genre d'énergumène, mais je m'étais trompé.

*******

Je toquai tel un attardé mental au portail de sa maison. Quelques instants plus tard, elle m'ouvrit enfin.

-Livio ? Rouspéta la brune en croisant les bras.

-Salut, cousine !

La surprise vint hanter son visage, elle fronça les sourcils et ses lèvres tremblotèrent.

-Qu... quoi ? Comment ça, « cousine » ?

-Cela t'a amusé de me voir boire tes paroles comme un débile, pensant que tu m'avais choisi pour être ton ami par pur hasard... ceci t'a bien fait rire, avoue-le !

Elle me poussa légèrement en arrière.

-Tu viens de tout découvrir alors. Félicitations, lâcha-t-elle amèrement.

-Je suis désolé que ton père et toi aient dû traverser tout cela...

-Je n'ai pas besoin de ta pitié, Livio. J'ai vécu joyeuse et je continuerai à l'être, coûte que coûte. Ce n'est pas l'autre pimbêche qui m'en empêchera.

Je me raclai la gorge, hésitant.

-Alors..., fis-je, ne sachant que dire.

-On se voit tout à l'heure.

Je hochai la tête puis regagnai l'établissement de l'enfer. Je ne voulais plus revoir ma grand-mère. Elle m'avait déçu. Elle a transformé mon respect énorme pour elle en une haine indescriptible. Tout cela pour une histoire d'amourette sans lendemain. Elle a gâché l'espoir, l'histoire, le bouquin de toute une famille, de deux générations. Elle a été la cause de la mort de Grand-père ! Comment a-t-elle pu se montrer aussi confiante, aussi fière, alors qu'au fond, elle n'est qu'une... amante ? Qu'elle est répugnante !

Je pénétrai dans l'énorme bâtisse pour la deuxième fois cette matinée, avec cet énorme poids sur le cœur. Je levai la tête et la vit, de sa baie vitrée, me toiser, bras croisés, sans émotions. Je levai les yeux au ciel, puis continuai ma marche jusqu'en classe de cours. La classe était assez pleine et le professeur était arrivé. Je pris place et m'accoudai à la table et échouai ma tête sur mes bras et tentai de remettre mes idées en place. Aéna et moi possédons la même grand-mère. Cela sonnait tellement faux que ça en devenait ridicule. Une seconde... cela voulait dire que... il se pourrait qu'elle soit la prochaine héritière de cette école et des biens de notre famille !

Quelqu'un venait de s'asseoir à la place à côté de moi, qui est habituellement toujours vide. Curieux que je suis, je quittai ma position si confortable pour tomber nez à nez avec Eliott.

-Salut, mec ! Fit-il avec gaieté.

-Mmh, fut tout ce qui sortit de ma bouche.

-Ça roule ?

-Tu n'as rien à faire de ton temps pour venir embêter les autres ? Dégoisai-je.

-Je voulais juste te prévenir qu'Aéna m'a refusé. Je suis parti la voir l'autre jour sous prétexte vouloir qu'elle m'aide à m'améliorer en allemand, mais quand j'ai abordé le sujet avec elle... elle m'a rejeté hautainement et ça, mon pote, je le lui ferais regretter ! S'exclama-t-il.

Je m'esclaffai de rire. Il n'était tout de même pas sérieux ?

-Mon pote ? Depuis quand ? Soufflai-je.

-Je te dis que je vais la blesser jusqu'à l'échine et tout ce que tu as retenu est le mot « mon pote ». T'es sérieux ?

-Je suis dégoûté qu'à la pensée d'être ami avec toi.

Je le vis serrer des mains, irrité.

-Je ferai de sa vie un enfer, crois-moi sur parole, murmura Eliott, d'une voix qui bouillonnait de colère.

-Tu oublis une chose, mon pote, je n'en ai absolument rien à faire. Arrête de te coller à moi.

Ses yeux faillirent sortir de ses orbites.

-Qu... quoi ?

Les veines de son cou étaient dorénavant visibles. Je m'en réjouissais intérieurement. L'arrivée d'Aéna nous força à rompre notre contact visuel endiablé.

*******

A la sortie des cours, une petite main m'attrapa le bras.

-Ton chauffeur est là ? Questionna la jeune brune.

Ses yeux étaient légèrement enflés, je pouvais assurer qu'elle avait versé toutes les larmes de son corps, ce matin, avant de venir à l'école des abîmes. Elle clignotait des paupières et semblait nerveuse. Je m'étais complètement perdu à contempler son langage corporel que j'avais omis de lui répondre.

-Non, répondis-je simplement.

-Tant mieux. Tu voudrais bien m'accompagner jusqu'à chez moi ?

-As-tu peur ? Me moquai-je.

Elle vêtit ses traits de visage d'une expression qui se voulait offensée.

-Moi ? Peur ? N'importe quoi. Tu sais quoi ? Reste où tu es. Je rentre seule, comme une grande ! Décréta-t-elle en s'avançant vers le portail.

Je fus saisi d'un fou rire incontrôlé.

-Avec ta petite taille ? Laisse-moi rire !

Elle se retourna, furieuse, mais se détendit et se mit à sourire béatement.

-C'est bien la première fois que je te vois rire..., laissa-t-elle échapper.

-Ah bon ?

-Ça te va bien, encore mieux que quand tu es tout raide et grincheux, continua-t-elle.

La situation était très gênante. Je suis censé la remercier, lui dire que j'espérais que son sourire ne ternisse guère, que ses yeux étaient encore plus attrayant à contempler qu'une voie lactée dans un ciel d'hiver, à minuit, quand la ville plonge dans un sommeil profond, mais aucun son ne fut émis par mes cordes vocales. Je me contentai de la devancer silencieusement. Elle me suivit de près mais aucun de nous ne parlait, quoi de mieux ! 

********* 

Hey ! Après des semaines d'absence, me revoilà ainsi que Livio et Aéna ! Maintenant, vous connaissez toute l'histoire derrière le traitement étrange de la Directrice envers Aéna. Qu'en pensez-vous ? 

N'hésitez pas à commenter et à voter si le chapitre vous a plu, ceci encourage tout écrivain :) 

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Merci beaucoup ! 🤍

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