Mon précieux -2


Les ténèbres ont engloutis la pâleur du soleil lorsque je me réveille. L'agitation de la journée a laissé place à un calme que la solitude accentue par sa présence.

Toujours sous le choc de la tragédie, je me sens vide de toute émotion, de toute vie, de toute envie bref je ne suis plus que l'ombre de moi-même.

Ne trouvant plus le sommeil sans voir le regard bleu perçant d'Ezio allongé à côté de moi dès que je ferme les yeux, je décide de regarder les informations pour me tenir au courant de l'évolution du monde pendant mon coma. Je m'empare de la télécommande et allume la télé pour zapper sur une chaîne d'informations.

" La nouvelle vient de tomber, May Madini s'est réveillée hier de son coma qui a duré 16 semaines. Elle est donc la seule survivante de la fusillade qui s'est produite à son domicile. Son mari Ezio Madini et l'enfant qu'elle portait n'ayant tristement pas survécu. Nous lui adressons nos plus ten-"

Un visage familier surgit à l'écran, bousculant légèrement la journaliste pour se rapprocher de la caméra. Le sourire dément, ses yeux rougis brillent d'une intensité troublante.

"Je suis désolé, excusez-moi," déclare t-il en écartant la journaliste de son chemin. "Je m'appelle Gioele, et je veux juste dire que je suis tellement heureux que May soit enfin réveillée. Je suis son plus grand fan depuis toujours, et je savais qu'elle allait revenir. May, si tu m'entends, sache que je suis là pour toi. Je t'ai toujours soutenue et je le ferai toujours."

"Monsieur, s'il-vous-plaît, ce n'est pas le moment..." s'impose la journaliste qui joue des coudes afin de reprendre le contrôle sur la situation.

" Non, attendez ! May doit savoir qu'elle n'est pas seule. Je serai toujours là pour elle, quoi qu'il arrive. Elle doit savoir que quelqu'un l'aime plus que tout."

Il jette un regard intense à la caméra, comme s'il voulait percer l'écran de ses yeux pour trouver les miens. Une sueur froide coule le long de ma colonne alors que je blottis mes genoux contre ma poitrine. Malgré l'effort et la douleur que ça m'occasionne, cette position me rassure. Mon corps en barrage contre son regard, je reprends ma respiration que ses mots avaient étouffés. Je ferme les yeux puis échappe un profond soupir quand les agents de sécurité interviennent enfin pour l'éloigner.

Putain de psychopathe.

Au tour de la journaliste de reprendre son souffle, visiblement secouée.

" Eh bien, chers téléspectateurs, nous venons d'assister à une interruption inattendue. Revenons maintenant à notre reportage. Comme j'étais sur le point de le dire, nous adressons à May Madini nos plus tendres pensées en cette période de deuil. Comme vous pouvez le voir, de nombreux fans de May et d'Ezio leur ont déposé des fleurs et peluches devant le portail de leur propriété, en guise de soutien."

Des tonnes de fleurs, fraîches pour certaines et mortes pour d'autres gisent au pied du portail. Une foule de personnes en larmes, en colère et dans l'incompréhension s'agite devant les caméras. Certaines réclament justice, d'autres demandent à ce qu'Ezio reviennent, d'autres m'envoient leur force et leur soutien. Je ne peux m'empêcher de maudir toutes ces personnes éplorées par la perte d'Ezio alors qu'elles ne le connaissaient même pas.

Comme si son absence allait changer votre quotidien.

Mes poings se serrent si fort que mes ongles s'enfoncent dans ma paume. Mâchoire contractée, je prends une profonde inspiration, m'efforçant à verrouiller mon attention aux paroles de la journaliste.

"Le tireur est toujours inconnu et les autorités recherchent activement des indices, témoignages qui pourraient les mener à une piste. Si vous avez vu quoi que ce soit ou que vous êtes porteur d'informations qui pourraient faire avancer l'enquête, n'hésitez pas à les communiquer à la police."

La journaliste lit son prompteur sans aucunes convictions sachant pertinemment que personne ne bougera le petit doigt ayant trop peur des représailles. La mafia étant au centre de l'affaire, personne ne veut risquer d'être la prochaine victime.

Je coupe la télévision quand elle passe sur les prévisions météorologiques en en ayant bien assez entendu pour ce soir. Tandis que je repose la télécommande où je l'avais prise, un objet brillant que je n'avais pas remarqué auparavant attire mon attention. Je me penche un peu sur le côté pour l'atteindre et l'émotion me submerge quand je réalise que c'est l'alliance d'Ezio.

Son contact me bouleverse bien consciente que c'est tout ce qu'il me reste de lui. Posée au creux de ma paume, je la serre fort dans l'espoir de ressentir une dernière fois la chaleur de sa peau à travers l'anneau. Le désespoir et le chagrin embuent mes yeux alors que je la glisse autour de mon pouce, seul doigt assez large pour ne pas la perdre en attendant de trouver une chaîne à laquelle la pendre. De porter son alliance ravive à peine les cendres qui me servent de cœur. Loin d'être d'un grand réconfort elle représente malgré tout, tout ce que j'ai de plus précieux à l'heure actuelle.

Éreintée émotionnellement, je tente de me rendormir mais c'est sans compter le médecin qui entre au même moment dans la chambre. Dans une douleur contenue, je me redresse maladroitement.

— Bonsoir madame Madini, comment vous sentez-vous ?

Son ton est neutre mais j'arrive néanmoins à percevoir l'appréhension qui se cache au fond de sa rétine. Je le méprise déjà mais garde mon calme sachant qu'il fait son travail.

— Sur le plan émotionnel ou physique ?

Il me regarde, attristé et comprend que sa question m'irrite.

— Je sais que vous traversez une douloureuse épreuve et je ne peux imaginer votre souffrance intérieure. Pour votre tourmente je ne peux que vous conseiller d'aller parler à un professionnel si...

— Je ne veux pas voir de psy. rétorqué-je sur la défensive.

Ses lèvres se pincent en un trait mince avant de baisser le regard. Les doigts scellés à son dossier, il s'agite légèrement puis s'éclaircit la voix.

— Si vous m'aviez laissé finir, je vous aurais dit si vous en ressentez le besoin. Je comprends que cette idée ne soit pas envisageable pour vous. Je tenais simplement à ce que vous ayez en tête cette possibilité. Quant au plan physique, je suis là pour vous aider. J'ai besoin de savoir comment vous vous sentez.

Me brûle alors l'envie de l'envoyer balader. De lui vomir mon désir de rester avec ma douleur qui est plus tolérable que mes blessures internes, de m'endormir et de ne jamais me réveiller. Cependant je sais qu'ils ne me laisseront ni tranquille ni partir sans m'examiner. Alors en dépit de mon irrésistible tentation de l'envoyer se faire foutre, je réponds à ses questions.

— Mon corps entier est encore douloureux.

— J'aurai besoin de vous examiner et que vous me disiez si là où je vous touche ça vous fait mal d'accord ?

J'acquiesce d'un signe de tête. Il s'approche doucement et revêt des gants puis retire la couverture et lève ma blouse.

— Je vais vous toucher au niveau des différentes cicatrices que vous avez sur le ventre c'est bon pour vous ?

Je hoche de nouveau la tête et regarde l'état de mon corps pendant qu'il procède à l'examen. N'arrivant pas à maintenir le regard sur ma peau, je lève mes yeux humides au plafond. Je me fais violence pour réprimer les larmes naissantes ne voulant pas montrer ma vulnérabilité au médecin. Lorsque je sens l'air frais caresser mon ventre débarrassé des pansements, je prends mon courage à deux mains pour constater l'ampleur des dégâts. Je crispe ma mâchoire pour de nouveau retenir les larmes en voyant la longue cicatrice à la base de mon ventre et une autre ronde à l'endroit de l'impact de la balle vers mon nombril. Ne supportant plus la vue de ces signatures immortelles du drame, je détourne le regard.

Il me demande ensuite de baisser ma blouse pour vérifier ma cicatrice à l'épaule.

— Très bien. Vos cicatrices sont belles, pas de gonflements, pas de suintements, pas de rougeurs. Aucun signe d'infection ou d'inflammation. Elles sont en parfaite voie de guérison.

Il touche ensuite la cicatrice de mon bas ventre et je penche la tête en arrière n'arrivant pas à la regarder. Sa signification étant bien trop douloureuse pour moi. Le médecin remarque ma réaction et me demande innocemment:

— Est-elle douloureuse ?

— Pas physiquement. réponds-je sans le regarder, la tête toujours en arrière.

Je le sens se tendre un peu.

— Comme vous l'avez deviné, nous avons dû vous ouvrir pour récupérer le corps sans vie de votre fils. Je sais qu'il est difficile de l'entendre mais vous devez savoir ce qu'il s'est passé.

J'empoigne les draps dans un espoir de réconfort illusoire sachant que la suite va être très cruelle à entendre.

— La balle s'est logée dans le corps de votre bébé arrêtant instantanément son cœur. Quand vous avez été amené à l'hôpital par l'ambulance, il était déjà mort. Nous avons dû agir vite et le sortir de votre organisme pour ne pas risquer toute aggravation. Nous avons gardé son corps aussi longtemps que nous avons pu mais ne vous réveillant toujours pas du coma, nous avons dû prendre une décision. Nous avons demandé à la personne la plus proche par le sang de faire un choix. Deux choix s'offraient à lui, l'inhumation ou l'incinération. Il a choisi l'incinération.

Un mélange de rage, d'effroi et de détresse se propage en moi.

— Quand vous dites "il" vous désignez ?

— Votre beau-père Raphaël.

A ses mots je suis mortifiée. De savoir qu'il a pris la décision sans demander l'avis d'Andy qui aurait été proche du mien, qu'il détient les cendres de mon bébé alors que nous nous vouons une haine sans limites et qu'il a osé jeter mon fils dans les flammes me révolte au plus haut point.

— Il y a autre chose que vous devez savoir May.

Au ton de sa voix hésitante, je redoute la suite.

— Lorsque la balle vous a touché, elle a endommagé votre utérus et nous avons dû le retirer. Ce qui signifie...

— Que je ne pourrais plus jamais avoir d'enfants. conclus-je aussi sèchement que la guillotine tranche un cou.

Il baisse la tête, n'osant pas affronter mon regard.

Étonnée que cela soit possible, je me sens encore plus détruite que je ne l'étais déjà. Même si je ne désirais pas avoir d'autres enfants sans qu'Ezio en soit le père, me voir retirer cette perspective d'avenir me dévaste. L'idée qu'il m'est désormais impossible de connaître à nouveau la maternité, de ne plus jamais pouvoir ressentir la joie d'un petit être qui grandit en moi, est insupportable. Ébranlée, je me sens asphyxiée, comme si toute l'oxygène avait été drainé de mon être. Mon cœur suffoque. J'ai peut-être survécu physiquement à ce drame mais mon âme, elle, est restée auprès d'Ezio ce soir-là, cristallisée dans le froid de la neige. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, ni même si un avenir m'attend, mais je sais que mon désir le plus ardent est de rejoindre ma famille.

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