Les fidèles de résine - 17
Le lendemain est arrivé bien plus vite que je ne l'aurais voulu. Le réveil a été douloureux, mon esprit ayant inlassablement ressassé les souvenirs d'Ezio. Cauchemars sur cauchemars, je n'ai pas vraiment fermé l'œil de la nuit et me sentais plus fatiguée que lorsque je m'étais couchée. Andrea est venu me réveiller alors que j'avais enfin trouvé un sommeil apaisé.
— Je t'épargne le réveil militaire si tu es devant la porte d'entrée dans 10 minutes. m'avait- il mise en garde gentiment.
N'ayant pas voulu tester ses limites et sachant que le reste de la journée allait être assez éprouvant comme ça, je me suis exécutée rapidement.
C'est ainsi que nous revoilà au même endroit, Andrea face à son ordinateur et moi assise sur cette maudite chaise, à la seule différence que cette fois, Andy est avec nous. Les yeux rivés sur le mur en face de moi, l'adrénaline pulsant contre mes tympans et si crispée que je ne sens plus mes muscles, j'appréhende la suite. Je me prépare mentalement au choc des images qui vont défiler. Je sais que ce n'est qu'éphémère, que dès l'instant où le visage d'Ezio apparaîtra de nouveau sur ce mur, le sol sous mes pieds se dérobera, mon être tout entier sera envahi d'un chaos anarchique que je devrais tenter de maîtriser. Pourtant je le dois, je dois arriver à me contrôler et à ne pas me laisser submerger.
La voix posée d'Andrea me sort de mes pensées.
— Prête ? me demande-t-il avec un regard inquiet mais ferme.
Je hoche la tête sachant pertinemment que je ne serais jamais prête pour cette épreuve.
Il démarre le diapo et comme hier je m'accroche fermement aux bords de la table. Je peine à respirer et je n'ai qu'une envie, fermer les yeux face à ce calvaire. Je lutte contre mes propres émotions et mon propre corps comme si deux entités se battaient pour gagner la première place. Je tiens le coup jusqu'à la photo de trop, celle d'Ezio dans les bras d'une autre. A sa vue, je vomis aussitôt. Je relève la tête, le regard noir fixé sur Andrea.
— Pourquoi tu me montres ça ?! Tu ne trouves pas que le reste est déjà assez cruel ?
— Je te l'ai dit May, tu dois le voir sous toutes les coutures, son passé en fait partie. On ne sait pas ce qu'il peut arriver et certains seront prêts à tout pour te déstabiliser y compris retrouver une ex ou je ne sais quoi pour te faire douter d'Ezio et faire en sorte que tes émotions prennent le dessus. Tu dois avoir tout vu pour devenir inatteignable émotionnellement parlant.
— Je sais qu'il a eu un passé et je ne lui en voudrais jamais ni ne serais jalouse pour ça. On ne peut donc pas en rester là ?
— Non et désolé mais au vu de ta réaction tu es loin d'être insensible à son passé. On continue. impose-t-il.
Pour illustrer ses propos, une nouvelle photo apparaît. Cette fois c'en est une avec Alma lors d'une soirée. Cela me rappelle instantanément leur aventure qui fut brève mais qui a tout droit conduit Alma dans les entrailles de l'enfer. Je grimace au souvenir de la seringue plantée dans sa jugulaire. Non désolée, je sens malgré tout une pointe de peine au fond de moi, attristée de la tournure que les choses ont prise.
Les photos suivantes sont toutes du même registre, Ezio et ses conquêtes. Plus elles défilent moins je ne ressens de jalousie ou de possessivité. La vue de ses ex ne me perturbe plus mais je suis loin de pouvoir en dire autant pour Ezio. J'ai beau essayer de me concentrer, de m'apaiser en respirant, aucune technique ne fonctionne. Je n'arrive pas à m'immuniser face à son image. Tous nos souvenirs se bousculent dans ma tête, chacun de ses sourires me fait l'effet d'un coup de poignard dans le cœur, chaque regard me rappelle son dernier, ce qui m'accable davantage. A la fin de mon supplice, mes yeux sont rougis et bouffis par les larmes, ma gorge est si nouée que parler me semble impossible. Le chaos dans ma tête me provoque une migraine et mon cœur complètement meurtris, rend chaque battement douloureux car il me rappelle que je suis en vie et pas Ezio.
A mesure que je me recroqueville sur ma chaise, je sens l'étreinte d'Andy que je repousse gentiment ayant besoin d'espace et de me sentir seule. Les jambes repliées contre ma poitrine et la tête cachée, j'entends des pas sur la terre battue du hangar s'éloigner. Je comprends alors qu'ils ont quitté la pièce pour me laisser la solitude dont j'ai besoin pour me remettre de mes émotions.
Me sachant seule, je me laisse aller, je lâche toutes mes émotions refoulées et déverse colère, tristesse et injustice dans mes poings que je frappe contre le mur derrière moi. Je me défoule à mesure que les émotions me submergent. Je m'emporte vite et mes pieds rejoignent le rythme de mes poings puis dans un accès de colère je me tourne, prends la chaise sur laquelle j'étais assise il y a quelques minutes et l'envoie de toute mes forces à travers la pièce. Elle finit sa course sur le sol à l'extérieur du hangar après avoir fracassé la fenêtre de son passage. Essoufflée par ma performance, je ne remarque pas tout de suite la présence d'Andy et d'Andrea qui m'ont rejoint.
— Putain May qu'est-ce qui t'a pris ?
Je me retourne, la bouche ouverte et les yeux ronds.
— Tu m'as bien dit que je pouvais exprimer mes sentiments comme je le voulais non ? J'ai enduré tes photos de merde maintenant laisse moi me défouler comme je l'entends !
— Réduire en miettes le hangar ne te servira à rien, j'ai un meilleur exercice pour toi.
Je le suis et nous nous retrouvons tous les trois dans la grande pièce principale du hangar, les sacs que nous avons déposés à notre arrivée toujours présents au sol.
— Tu veux te défouler, ça tombe bien tu vas avoir besoin d'énergie. Tu vois tous ces sacs ? Je veux que tu les vides de leur contenu et que tu les assembles.
Je le regarde perplexe ne comprenant pas où il veut en venir mais je m'exécute. Je me dirige vers le premier sac et le vide. Je me rends compte que c'est un mannequin à assembler et me retourne vers Andrea hésitante.
— C'était moins contraignant que des cadavres à découper, sans parler de l'odeur. Pas que ça m'aurait déplu. rétorque Andy, un sourire sadique aux lèvres.
Je lève les yeux au ciel un rictus au coin des lèvres et sors les membres du mannequin. Une fois le tout sorti, je m'attèle à l'assemblage des pièces et lui donne vie. Je répète l'opération avec les sept autres sacs. Lorsque j'ai enfin fini, bien essoufflée je prends un peu de recul et me rends compte qu'ils ressembleraient presque à une petite armée.
— Voici tes fidèles de résine. Ce qui est bien c'est qu'ils ne contesteront jamais tes ordres. ironise Andy.
Sans la regarder, je lui offre mon plus beau doigt d'honneur en guise de réponse. Elle laisse échapper un rire qui maintient le sourire sur mes lèvres.
— Bien maintenant tu vas les disposer à différentes distances les uns des autres et de sorte à faire des paliers différents de distance de tir c'est-à-dire certains devant d'autres au milieu et d'autres derrière.
Je soupire puis mets en ordre les mannequins comme Andrea le souhaite.
Pour quelqu'un qui se dit ne pas avoir l'âme d'un leader il sait bien diriger.
Malgré leur poids j'arrive à les déplacer assez facilement. A la fin de ma mise en place, entre leur poids et mes piétinement, je n'en reste pas moins essoufflée et fatiguée.
— Parfait maintenant on va entraîner ton cardio. Fais-moi dix tours en courant autour du hangar.
— Attends je suis déjà bien fatiguée avec les mannequins, mon cardio est assez entraîné.
— Justement non. C'est rien ce que tu viens de faire et si tu es déjà épuisée c'est qu'on doit mettre la seconde sur ton entraînement physique.
Je lui lance un regard noir avant d'aller courir. Au bout des dix tours je sens mon âme prête à quitter mon corps. Alors que je souffle comme un bœuf, je retrouve Andrea et Andy à l'intérieur.
— Prends ça.
Andrea me lance une arme que je rattrape in extremis de ma main tremblante.
— Qu'est-ce-que tu veux que je fasse avec ça ? demandé-je hors d'haleine.
— Je veux que tu tires sur les mannequins debout puis allongée. Je t'expliquerai ensuite pourquoi mais je veux que tu le fasse dans ton état, pas de pause.
Je me mets en place et essaie de me concentrer sur ma cible. Mes jambes me portent difficilement, ma respiration saccadée et mon pouls qui pulse dans mes veines me déstabilisent. Je n'arrive pas à faire le vide autour de moi ni à l'intérieur de moi et je suis déconcentrée au moindre battement de cœur ou bruit inconnu. Malgré tout je vise et tire mais sans surprise je rate chacune de mes cibles. Découragée mais déterminée, je m'allonge et retente ma chance. Malgré l'appui stable du sol, je rencontre le même problème que debout et ne parviens pas à atteindre mes cibles en les ratant de peu.
— Ok on fait une pause.
Déçue de moi même, je m'assieds frustrée. Andrea s'accroupit devant moi.
— Je pense que tu as compris l'objectif de cet exercice.
Je hoche la tête sans détourner le regard du sol.
— On a du temps pour s'entraîner ne t'inquiète pas. Il fallait que tu prennes conscience de l'importance de se concentrer en toutes circonstances. Sans comprendre pourquoi, tu ne peux pas réellement parvenir à devenir imperméable aux facteurs extérieurs comme intérieurs. Le plus dur est de passer outre notre état physique et psychologique. Avec de l'entraînement tu y parviendras. Dans l'action tu seras forcément fatiguée, tu n'en pourras plus mais tu devras te forcer à puiser dans tes dernières ressources pour atteindre ton objectif. Ton adversaire ne sera pas un mannequin et ne te laissera pas faire de pause. Tu dois apprendre à survivre même quand ton corps n'en peux plus et ça passe par la concentration. Tu dois également arriver à te concentrer pour retrouver de la force ou de l'énergie dans les petits instants de latence.
— Si je comprends bien, la concentration est l'ultime arme de survie.
— Non pas vraiment mais elle sera ta plus grande alliée ça c'est sûr.
Il se relève puis me tend la main.
— Aller viens on va manger un bout avant de reprendre la suite de l'entraînement.
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