Le venin -3
Les jours passent et se ressemblent.
Dans la tourmente de ma routine, Andy vient me voir quotidiennement. Malgré ma mauvaise humeur stagnante, elle persiste à essayer de faire renaître cette esquisse de joie sur mon visage sans jamais y parvenir.
D'un point de vue extérieur, je vais bien. Mon état physique s'améliore, je retrouve forces et mobilité. Les deux mois de coma ayant considérablement affaibli mes muscles, je me plie contre mon gré aux exercices de rééducation de l'épaule et de la marche. Vidée de toute volonté de continuer, mon instinct de survie s'est emparé de mon corps, désactivant mon cerveau et me contraignant telle une marionnette, à me battre. De son gant, il enveloppe ma main pour continuer à me nourrir. De son souffle, il gonfle mes poumons pour me maintenir en vie. Sous son emprise insidieuse, je réalise les exercices de kiné même si je sais qu'ils ne me serviront certainement pas très longtemps.
C'est peut-être pour ça qu'Andy ne désespère pas de me voir sourire à chacune de ses visites. Pour elle, cette prise d'otage est peut-être la preuve simple que mon désir de vie crépite encore. Alors qu'en réalité il en est tout autre.
Même si mon envie de quitter cette vie grandit au fil des jours, je n'en reste pas moins pragmatique. Je sais que dès l'instant où mon cardioscope n'émettra plus ce maudit bip régulier, une horde d'infirmières et de médecins me ramèneront à la vie. Péniblement, je devrais à nouveau respirer, manger, me renforcer et finalement vivre avec pour punition d'avoir repoussé l'échéance. Dans un dernier geste de générosité, j'épargne au corps soignant des efforts qui finiront par être vains. Patiente modèle au demeurant, j'attends, animée par le seul désir de me rétablir au plus vite pour m'immoler de ce feu qu'est l'espoir de bientôt en finir.
Aujourd'hui, plus que les autres jours, le soleil étincelant fait éclore la fleur de ma dépression épanouissant ses pétales sous les rayons chauds de l'astre. Comme le pollen virevoltant au vent, mon mal être se dissémine dans tout mon corps fanant chacune de mes cellules de leur souhait de vie.
Prostrée en position fœtale dans mon lit, le drap en guise de filtre funèbre sur l'éclat du soleil, je me sens brisée, anéantie. Enveloppée dans ma tourmente, j'entends des pas léger pénétrer dans ma chambre.
— J'ai dit que je ne voulais pas de visite aujourd'hui. grommelé-je sous les draps.
— Même celle de la mort ? répond une voix féminine que je ne reconnais pas.
D'un coup vif, je retire le tissu puis me redresse. Dans un dépit non dissimulé, je me fige en voyant qu'il s'agit d'Alma, cette journaliste cinglée et ex d'Ezio.
— Salut May, tu as une gueule encore plus horrible que ce que je pensais. pique t-elle en s'installant sur le bord de mon lit vers mes hanches.
Je me recule et la dévisage.
— Comme il est malheureux que ce soit toi qui ais survécu. Je vais devoir te tuer, annonce t-elle d'un ton calme et détaché, si tu étais morte dans le froid comme le parasite que tu es, je n'aurais pas été obligée de me déplacer et tout le monde aurait été plus heureux.
— J'espère que tu n'as pas prévu de rater ton coup car ça m'embêterait d'avoir à le faire moi-même. rétorqué-je blasée avec une pointe d'appréhension.
Malgré son apparente tranquillité, je remarque le léger haussement de sourcils et la crispation de sa mâchoire, signe que ma réponse et mon détachement n'étaient en rien ce qu'elle envisageait. En un battement de faux cils, sa déstabilisation laisse place à un regard noir et menaçant.
— Crois moi, tu feras moins la maligne quand je t'aurai injecté ce poison. Tu vas agoniser lentement sous mes yeux. Tu vas vivre la souffrance que tu nous as infligée à toutes en te mariant à Ezio et en le menant à sa perte. Tu ne le méritais pas et Dieu lui-même l'a rappelé à ses côtés pour l'enlever de tes griffes. crache-t-elle de tout son venin.
J'éclate d'un rire nerveux qui devient vite incontrôlable. A mesure que je me calme, je découvre une Alma décontenancée par ma réaction. La fureur de son égo blessé empourpre ses joues alors que ses yeux s'arment de balles invisibles.
— Pardon mais je crois que Dieu n'a rien à voir là-dedans. S'il y a bien un endroit où Ezio a dû aller c'est en enfer malheureusement.
— Tu n'es même pas attristée de sa perte ! Tu ris alors qu'il est six pieds sous terre par ta faute ! Tu es pathétique et complètement folle !!
— Oh crois moi de nous deux, je suis loin d'être la plus pathétique des folles. Croire que je ne souffre pas plus que vous d'avoir perdu mon mari, te rend décidément plus cinglée que je ne le pensais. Tu n'étais rien pour lui, juste un nuisible à fuir. Ne te donne pas plus d'importance que tu n'en avais en réalité. Je suis sincèrement triste pour toi. Tu ne vis pas réellement ta vie et tu t'imagines être importante aux yeux de quelqu'un pour qui tu n'inspirais que mépris. Tu préfères t'imaginer dans les bras d'un homme inaccessible plutôt que d'être dans les bras d'un qui est réel et à ta portée. Tu me donnes envie de vomir.
Elle m'afflige d'un coup de poing qui ressemble plus à une caresse comparé à celui que Fabio m'avait donné quelques mois auparavant. Sans donner plus d'importance à son geste, je retourne ma tête vers elle et lui souris.
— Bon tu me tues qu'on en finisse ?
Elle me sourit en retour et dégaine une seringue avec une aiguille au bout.
— Ca ma belle c'est ta porte de sortie. Ce simple liquide te retirera toute tourmente, toute douleur et toute émotion. Il videra ton corps de tout le négatif et de toute souffrance. Il libérera ton âme qui deviendra légère, si légère qu'elle te permettra de retrouver ton cher Ezio. Voici ta porte de sortie, ton échappatoire, ton vœu le plus cher. Tout à l'heure quand je t'ai dit que j'allais t'injecter ce poison, finalement il n'en est rien. Tu vas agoniser lentement en survivant à ce drame que tu as déclenché, en te réveillant chaque jour sans Ezio à tes côtés, en voyant son visage à chaque fois que tu fermes tes yeux. Chaque insignifiant objet ou situations de ta misérable vie te fera immédiatement penser à lui et te faire prendre conscience d'à quel point tu es seule et malheureuse et tout ça par ta faute. Tu mérites ce qui t'arrive May Madini. Tu es seule responsable de sa mort et de celle de ton bâtard de fils. S'ils sont morts tous les deux c'est qu'ils méritaient mieux qu'une femme et mère comme toi. Tu ne mérites que haine, souffrance et solitude. Finalement je ne sortirai pas d'ici en t'ayant tué physiquement mais moralement. Vu ta gueule, je pense que j'ai réussi ma mission. A très vite dans la vraie vie ou dans les journaux à la rubrique nécrologique.
Enragée, je ne lui laisse pas le temps de se relever que je m'empare de sa seringue et lui plante violemment dans le cou en injectant le liquide. Sans émotion, je la regarde essayer de la retirer alors qu'elle me foudroie de ses yeux écarquillés. Dans un bruit sourd elle tombe du lit, morte, avec un filet de bave mousseuse aux commissures des lèvres.
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