Le carré d'As - 24
Sans perdre plus de temps, nous décidons de réserver deux chambres dans un hôtel dans la ville où se déroulera l'enterrement de Raphaël. Étant à des centaines de kilomètres, il sera plus facile pour nous d'agir en étant sur place. Dans la foulée, j'appelle mon cher Callegrio pour lui assigner sa première mission.
— Eustasio ? C'est May Madini. Je suis sûre que vous vous souvenez de moi. Le moment est venu pour vous d'entrer en scène.
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Nous partons dès le lendemain matin, n'ayant plus que trois jours pour finaliser les derniers détails de notre projet. Nous arrivons en début d'après-midi, le temps de faire le check-in à l'hôtel et nous repartons déjà direction les pompes funèbres.
Une dizaine de minutes plus tard, Andrea se gare face à un bâtiment modeste et épuré. Une enseigne "pompes funèbres" trône au-dessus de l'entrée principale caractérisée par deux portes vitrées coulissantes. En vitrine un large choix de pierres tombales et d'inscriptions sont mis à l'honneur. Nous entrons et découvrons une ambiance froide et silencieuse, comme si la mort avait déjà pris possession des lieux et que plus aucune forme de vie n'était tolérée.
— C'est aussi désert que le cerveau d'Isabella. se moque Andy.
Je la fusille du regard ne voulant pas mettre à mal la raison pour laquelle nous sommes là. Au bout de quelques minutes, une femme élégante vêtue d'un tailleur sévère et terne vient à notre rencontre.
— Mesdames, Monsieur, bonjour, puis-je vous aider ?
— En effet, nous venons de perdre l'un de nos proches et nous aurions aimé pouvoir nous entretenir avec les personnes qui se chargeront du cercueil car nous avons une requête particulière.
— Bien sûr. Etes-vous un membre de la famille proche, femme, enfant ?
— Non rien de tout ça il était mon beau-père.
— Ah malheureusement je ne peux pas accéder à votre demande. Seul le cercle uni par le sang peut accéder à ce genre de demande.
En apparence impassible, je resserre discrètement mais fermement ma main sur les enveloppes qui renferment mon carré d'as gagnant.
— Il me semble que votre centre est privé et qu'il est également financé par la famille Madini, famille pour laquelle je travaille. Il serait fâcheux que ces aides financières cessent et signent votre fin de gloire. menace Andrea d'un ton calme et posé.
Son avertissement semble porter ses fruits, ce qui me soulage instantanément.
Première étape réussie !
La jeune femme est aussi intimidée que rouge et dans un silence mortel, elle accède à notre requête en appelant ses collègues.
— Oui les gars c'est Sofia, j'ai du monde qui aimerait vous parler à l'accueil s'il-vous-plaît. Oui merci.
D'une main tremblante, elle raccroche puis affiche un sourire aussi serré que son chignon.
— Ils arrivent tout de suite, installez-vous je vous en prie. dit-elle en indiquant de sa main le petit salon prévu à cet effet.
— Merci mais nous allons rester debout. rétorqué-je.
Débarquent alors dans une symphonie de bruit de talonnettes, quatre hommes, tous tirés à quatre épingles.
— Vous vouliez nous voir ?
— Oui en effet, nous aimerions vous parler en privé pour une requête envers un défunt s'il-vous-plaît. affirmé-je.
Sans poser plus de questions les hommes ouvrent la marche et nous les suivons jusqu'à une salle de réunion. Nous prenons tous place autour de la table et commençons.
— Bien je n'irai pas par quatre chemins. Je désire me venger et vous collaborerez.
Sans leur laisser le temps de répondre, je me lève et jette devant chacun d'eux un as qui n'est autre qu'un dossier les concernant. Ils se regardent tous soucieux et hésitants.
— Allez- y messieurs vous pouvez l'ouvrir.
Postée derrière eux, je les vois frémir à l'ouverture de leur dossier. Je les sens blêmir, tous sauf le quatrième qui se retourne et me regarde dubitatif.
— A part pour vous cher monsieur, tous vos collègues ont devant eux leur plus grande faiblesse mise au jour. Si vous ne collaborez pas, nous saurons jouer de notre atout pour vous rendre la vie misérable, si misérable qu'à côté, les enfers où vous séjournerez vous paraîtront être des vacances.
— Je ne veux pas jouer à votre jeu et vous n'avez rien contre m...
— Je sais. dis-je calmement d'une voix faussement triste.
Postée derrière lui, je retire la seringue que je viens de vider dans sa carotide. Les lèvres de l'homme se teintent de bleu tout comme ses ongles, sa respiration ralentit et il suffoque. Au bout de quelques minutes, les suffocations laissent place à un silence de plomb que je me fais le plaisir sadique de briser.
— Bien comme vous l'aurez compris vous n'avez pas vraiment le choix. Votre collègue était une menace pour nous, nous l'avons maîtrisé, à bon entendeur. Honnêtement, on s'en fiche que vous voliez les morts ou que vous ayiez des dettes faramineuses à cause d'une addiction au jeu ou encore que vous dépensiez tout votre argent dans les putes plutôt que de l'envoyer à votre famille coincée à l'autre bout du monde. Chacun ses vices, ne nous en déplaise. Le monde est ainsi fait, la nature humaine est ainsi faite et heureusement pour nous comment ferions nous sinon pour atteindre nos objectifs, déclaré-je en souriant totalement consciente de passer pour une folle à leurs yeux, votre ami est malheureusement décédé d'une overdose au fentanyl, un opiacé très puissant. Comme vous pouvez le remarquer, j'ai fait ça aussi proprement que possible, pas une trace et plus une trace de votre collègue ne subsistera, comme s'il n'avait jamais existé. C'est ce qui vous attend si vous tentez quoi que ce soit à notre encontre. Nous avons tous vos dossiers et savons où vous habitez, vous déménagez ? Pas de soucis on vous enverra des fleurs pour fêter votre crémaillère, vous changez de nom ? Parfait nous pourrons nous joindre à vous pour fêter votre baptême. Vous l'aurez compris quoi que vous tentiez nous le saurons. Votre seul échappatoire est de nous obéir et de garder le silence, simple non ? Et en prime une belle somme d'argent pour votre dur labeur. Des questions ?
Un long silence suit ma question puis l'un des hommes ose parler.
— Que doit-on faire ? se résout-il.
Je me tiens face à eux et chacun me fixe droit dans les yeux. L'étincelle de survie dans le regard, prêts à tout pour garder leur secret bien au chaud et rafler un peu d'argent. Je souris face à cette scène, heureuse et triomphante de la crainte que j'ai su leur inspirer. Avec entrain et fierté, j'expose notre plan et leur délègue leur rôle qu'ils devront exécuter à merveille s'ils veulent jouir de leur récompense.
De retour à l'hôtel, je me sens plus légère et fière de moi. Loin d'être un statut facile à assumer ou à incarner, je me surprends à être plus douée que je ne le pensais.
Je décide de me prélasser dans un bon bain chaud avant de retrouver Andy et Andrea pour un dîner au restaurant de l'hôtel. Apaisée dans l'eau mousseuse, je rejoue le scénario de cet après-midi.
Après avoir exposé notre plan, les hommes ont paru quelque peu soulagés, certainement contents de n'avoir à tuer personne. Ils nous ont également donné l'information qui nous manquait, soit le lieu de la veillée qui sera réalisée dans son bureau. Emplacement parfait puisqu'il donne directement sur le grand salon/ salle à manger d'où nous pourrons extirper le corps.
A la fin de notre réunion, tous les hommes paraissaient qu'ils le cachent ou non, apeurés mais déterminés à accomplir leur travail avec en objectif le pactole.
L'image de l'homme que j'ai tué me revient alors en tête. Dans le feu de l'action, l'exécuter m'a paru d'une facilité consternante. Aucun remord, aucun sentiment ni ressenti ne s'est manifesté. Tel un robot sans humanité, je suis passée à l'action, ne pensant qu'à ma survie et le bien de mon plan. Avec du recul, je ne ressens rien de plus, mon cœur est devenu un écrin vide que seul Ezio ranime de son souvenir ou que seuls Andy et Andrea arrivent à embaumer de joie mais le reste du temps, rien ni personne n'est assez important pour déclencher quelconque sentiment. Il est bien loin le temps où mes nuits étaient tourmetées par la blessure que j'avais affligé à Ezio lors de notre première rencontre.
Devenue plus inhumaine, cette perspective me fait peur, ne sachant pas jusqu'où je serais prête à aller pour ma survie.
Lorsque nous avons débarrassé le corps, il était pour moi comme un vulgaire déchet à faire disparaître alors qu'objectivement il demeurait un être humain avec des sentiments, des valeurs et une famille.
C'est d'ailleurs ça qui m'a poussé à le tuer, un homme de si grandes valeurs n'allait jamais plier sous la menace ou sinon se rebeller. N'ayant pas le luxe de pouvoir le laisser faire, il fallait bien agir. Lui ou moi c'est ce qu'avait dit Andrea lors de l'entraînement. Apparemment ça a porté ses fruits à tel point que je ne considère plus que les personnes comme des pions ce qui était l'objectif recherché.
A ce stade de la soirée, il ne reste plus que le transporteur du traiteur à trouver et nous serons plus que prêt pour mener à bien notre projet.
Je continue à laisser mon esprit divaguer le temps de me prélasser quelques minutes encore puis je sors me préparer.
La soirée se déroule bien, un vrai et bon moment de détente, de rires et de légèretés entre amis comme il nous en manquait ces derniers temps.
La notification d'un message me distrait de la conversation.
" Je vous confirme bien la présence du Dr Torrimone au crématorium - C."
— Pourquoi un tel sourire May ? interroge Andy dont je sens la curiosité émaner sans avoir besoin de relever mes yeux de l'écran.
— Le joker a encore frappé. réponds-je en levant mon verre avant d'en boire le contenu.
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