La trace bleue - 41
Malgré les températures douces du début d'été, je me blottis dans mon gros gilet de maille, hypnotisée par le feu dont les flammes dansent dans ma rétine. La fraîche brise de la soirée n'est en rien responsable de mes frissons, la raison est bien moins évidente. D'autant plus maintenant qu'elle se dissipe en fumée. Le feu qu'elle nourrit me réchauffe de l'insécurité glaciale qu'elle a sournoisement insinué en moi.
Pourtant innocente en apparence, soigneusement pliée dans son enveloppe immaculée, rien ne laissait présager la plume méphistophélique qu'elle dissimulait. Cette lettre réduite en cendres, ses mots survivent au brasier tel le démon revivant dans les flammes. Inscrits dans ma mémoire, je n'arrive pas à me défaire de la promesse de danger qu'ils représentent.
Les yeux fermés, chaque lettre se replace pour former son message. Inlassablement indélébile.
" Chère Mayina,
Je t'écris ces mots avec une détermination que tu ne peux imaginer. L'injustice dont tu es victime me brûle au plus profond de mon être. Comment osent-ils t'accuser de meurtre, toi, si pure, si innocente ? Le monde est aveugle à ta véritable nature, mais moi, je vois tout.
Ne t'inquiète pas, May. Je veille sur toi, même de loin. Ceux qui t'ont fait ça vont payer. Je le jure sur ma vie. La vérité éclatera, et je ferai en sorte que ceux qui t'ont accusée à tort connaissent la souffrance qu'ils t'ont infligée. Rien ne pourra m'arrêter. Pas même la loi.
Tu es ma muse, mon étoile dans la nuit. Ils ne peuvent pas te voler à moi. Si le système échoue à te rendre justice, je prendrai les choses en main. Tu n'as rien à craindre de moi, mais ils doivent savoir qu'aucune action ne reste sans conséquence. Ils comprendront ce que signifie croiser le chemin de quelqu'un prêt à tout par amour.
Reste forte, ma chère May. Je suis toujours là, dans l'ombre, prêt à agir pour te protéger. Et je te promets que ceux qui ont osé te faire du mal regretteront amèrement leur geste. Nous sommes fais pour être ensemble et rien ni personne ne l'empêchera.
Avec une dévotion éternelle,
Ton Admirateur Dévoué - G "
En réalisant mon rêve jamais je n'aurai pensé être confrontée à ce genre de fan et même si chanter est ma passion, dans ces moments-là j'aimerais revenir en arrière et ne jamais avoir été connue.
Disparaître et être transparente.
*******
La sonnerie de mon portable m'extirpe de mon sommeil agité. La tête dans l'oreiller, je grogne en essayant désespérément de l'atteindre. Une fois en main, je décroche sans regarder et le pose sur mon oreille.
— Bonjour May, c'est Eustasio. J'espère ne pas vous déranger mais j'ai les résultats des analyses des pneus.
— Okay, j'arrive. marmonné-je.
— Pas besoin je suis devant chez vous.
— A toute. raccroché-je d'une voix endormie, la tête encore dans l'oreiller et les yeux fermés.
Il me faut un peu de temps pour parvenir à m'arracher aux lianes de mes draps. Encore embrumée par les volutes de la fatigue, mes pieds me guident instinctivement jusqu'à la porte d'entrée où la mine sérieuse de Callegrio m'attend.
D'un geste de la main je l'invite à entrer.
— Laisse moi appeler Andrea et Andy avant de commencer. Je veux qu'ils soient là.
— Pas de problèmes. dit-il en prenant appui contre l'ilot de la cuisine.
Je m'exécute avant de proposer un café qu'on boit en silence.
— Maître Filecci m'a contacté. annonce t-il pour nous sortir de notre mutisme.
— Ah oui elle tenait à te rencontrer. Tu seras certainement un témoin dans cette enquête puisque tu étais le dernier à avoir l'arme du crime.
— Je te jure que je l'ai transmise à mon collègue des scellés.
— Tu as pu lui donner les informations qu'elle voulait ? demandé-je en ignorant sa réponse.
— On a convenu d'un rendez-vous. C'est tout pour l'instant.
— Alors qu'est-ce que tu nous a déniché Callegrio ? intervient la voix d'Andy qui apparaît dans le salon, t'aurais pu t'habiller May quand même.
— Quoi ? Un t-shirt, ça suffit vous n'êtes pas la reine d'Angleterre non plus.
— On n'a pas envie de voir l'origine du monde non plus.
— T'inquiètes pas pour ça j'ai une culotte. grimacé-je.
— Est-ce qu'on peut passer à ce pourquoi on est là ? écourte Andrea les bras croisés.
— Avec plaisir, réponds-je, Eustasio anonce la couleur. déclaré-je en m'installant dans le canapé.
— Les analyses confirment bien la présence de deux véhicules distincts. Une moto et une voiture. Pour la moto les pneus présentent un motif unique en zigzag qui correspond à la marque Pirelli Diablo Rosso III. Souvent montés sur des motos sportives. Je suis allé mené une petite enquête chez le concessionnaire du coin où on m'a confirmé que ce type de pneu est couramment installé sur les MV Agusta Brutale 800 RR.
Il ne me faut pas plus d'information pour comprendre la situation. Les épaules affaissées et le regard sur le sol je déclare:
— Exactement la moto d'Ezio qui a fini dans le ravin le soir du déménagement.
— Mais pour la voiture c'est autrement plus important.
Les paroles enthousiastes d'Eustasio ravivent le feu de mon espoir.
— Les traces de pneu présentent aussi un motif caractéristique mais ce qui est encore plus parlant sont les données suivantes. Ce sont des Michelin ZR 415 à l'avant et VR 415 à l'arrière. Ce langage barbare pour dire que c'est la signature de deux voitures : la ferrari 512 BB et la testarossa.
Suspendue à ses lèvres, j'attends la suite qui n'arrive jamais. Mon regard cherche l'indice qui m'échappe et le trouve sur le visage d'Andrea dont les lèvres s'étirent en un sourire satisfait.
— C'est une voiture qui fait partie de la collection de Raphaël. révèle t-il.
— Et où est-ce qu'elle est ?
— A son manoir.
— Fait chier il est sous scellé ! m'échappe ma frustration.
— Il l'est peut-être encore mais toutes les preuves ont été recueillies. Ce qui veut dire que plus personne n'y travaille et qu'on peut s'y rendre en restant vigilants. souligne Callegrio.
— Alors ne perdons plus de temps. affirmé-je.
****
Munis de cagoules et de gants, nous progressons telles des ombres jusqu'à l'annexe qui renferme notre seul espoir de réussite. Andrea en bon homme prévoyant a gardé le pass du manoir Madini qu'Ezio lui avait laissé. Cette présence d'esprit nous épargne temps et contraintes et nous offre l'accès direct à ce mausolée de fantômes mécaniques conservés non pas entre quatre planches mais sous des bâches blanches.
— A tout hasard tu saurais où elle est garée ? tenté-je.
— Faut pas déconner non plus. répond Andrea, le regard vagabond.
Sans ajouter un mot, nous nous attelons à la recherche du fruit de notre convoitise. Après avoir découvert une bonne vingtaine de voiture, la voix aigüe d'Andy ricoche sur les murs métallique du garage.
— Ca y'est la voilà !
Nous nous hâtons de la rejoindre. Feu éteints, elle luit malgré tout de sa couleur mythique rossocorsa.
— Okay et maintenant on fait quoi ? interroge Andy.
— Laissez-moi faire. Torrimone m'a prêté de quoi faire des prélèvements.
Sous nos yeux avisés, il parcourt la voiture de ses écouvillons jusqu'à ce qu'il nous appelle. Nous le rejoignons et découvrons sous le halo de lumière de sa lampe frontale un trace bleue.
— Qu'est-ce que c'est ? questionné-je.
— Nous le saurons très vite. répond-il en prélevant une partie.
Le tour de la voiture fait, nous partons aussi rapidement que nous sommes arrivés. Sans rien ranger derrière nous, nous reprenons la route dans un soulagement général.
Confinée dans le studio d'enregistrement, j'ai passé les dernières quarante-huit heures à travailler d'arrache-pied sur mes chansons pour me vider l'esprit de tout le tumulte qui enterre ma sérénité.
Brillant par son absence, je ne suis pas même distraite par Enoro. Malgré mon envie de le tuer à chaque fois que je franchis le pas de la porte, un désir irrésistible de le voir domine mes pensées. Désir qui demeure inassouvi en dépit de l'espoir qui s'est nourri en voyant la porte du studio s'ouvrir. Mais à la place de la silhouette arrogante de Dottrece c'est celle d'Andrea qui s'est dessinée.
— Qu'est-ce que tu fais là ? demandé-je, les sourcils froncés.
— Je suis obligé de venir en personne puisque ton portable est éteint. relève t-il.
— Ah oui pardon, ça m'aide à me concentrer.
— Te couper de notre monde n'est pas une solution surtout quand on a des bûches sur le feu.
— Des nouvelles d'Eustasio ?
— En effet, dépêche ils nous attendent... Encore.
Je laisse mon travail et suis Andrea. Un vrombissement de moteur plus tard, nous arrivons à son appartement où Andy, Callegrio et la tension nous attendent.
— Alors qu'est-ce que ça donne ces analyses ? interrogé-je à peine le seuil de la porte franchi.
— De l'oxyde de cuivre. révèle t-il les mains dans les poches, les deux pieds ancrés dans le sol.
— Mais encore ?
— C'est un biocide. Un pigment dit antifouling. C'est un inhibiteur de croissances d'organismes marins comme les algues, les coquillages. Un composant qu'on retrouve donc pour les peintures de coque de bateau entre autre.
— A vu de la localisation côtière de la ville, ça collerait bien. réfléchissé-je à haute voix.
— Il n'y a qu'un moyen d'en être sûr. annonce Andrea.
Guidés par nos recherches, c'est le cœur battant que nous nous retrouvons Andy, Andrea, Amadeo et moi face à de grandes portes métalliques. Ne pouvant pas prendre le risque d'être vu en compagnie de Callegrio, il a laissé sa place au primate agaçant.
Tenailles en mains, Amadeo coupe la dernière barrière qui nous retient de la vérité. Dans un grincement lourd, les deux hommes ouvrent les portes qui révèlent un fond ouvert sur le port. La carcasse levée d'un bateau obstrue l'horizon mais nous confère la discrétion dont on a besoin. Malgré le silence ambiant remplis des vagues se percutant sur la digue, nous ne sommes pas seuls au monde. En face de notre bâtiment, sur la rive voisine, se trouvent d'autres infrastructures similaires. La prudence est de mise.
La terre battue pour sol, nous cherchons tels des chiens renifleurs un indice qui pourrait révéler la présence de tombes. Au bout de longues minutes à piétiner nous nous rendons à l'évidence de devoir creuser aléatoirement. Les gars partis chercher les pelles, je vagabonde dans le bâtiment.
Sous la coque gigantesque du bateau, je me sens soudainement aussi petite que lorsqu'on admire les étoiles perdues dans l'immensité du cosmos. Les yeux en l'air, je ne regarde pas où je mets les pieds et trébuche dans un seau d'huile que je renverse.
— Putain fait chier ! pesté-je en me retrouvant à terre sur le flanc.
— Bah alors l'étoile de mer reprend du service ? se moque Andy.
Je lui adresse une grimace pour toute réponse. En me relevant, un détail m'interpelle.
— Hé Andy regarde ! L'huile ne s'écoule pas normalement ! On dirait qu'elle coule dans une fente.
— Oh putain t'as raison !
Sans attendre, on cherche frénétiquement une poignée jusqu'à ce qu'on la trouve dissimulée non loin de la flaque d'huile.
Andy tente de l'ouvrir mais à sa grimace je devine qu'elle est plus lourde qu'escompté. Je pars l'aider et au bout de plusieurs tentatives, nous parvenons à soulever la trappe. Nous laissons tomber la porte dans un bruit fracassant. Un brouillard de poussière s'élève pour révéler, une fois retombé, le retour d'Andrea et Amadeo.
— Qu'est-ce que c'est que cette merde ? s'enquit ce dernier.
— Je crois que c'est ce qu'on cherche. répond Andrea avant de disparaître dans le trou.
Nous les rejoignons sans hésitation mais non pas sans appréhension. L'obscurité pour compagnie, Amadeo la perce de la lumière de sa lampe torche. Sous nos yeux écarquillés et nos bouches dissimulées sous nos mains, des dizaines de dômes de terre dont une odeur abominable s'en émane recouvrent la superficie de la cave. L'estomac mis à rude épreuve, les hauts le cœur ne se font pas attendre. Précipitamment, Andy remonte à la surface d'où l'écho de ses vomissements nous parviennent.
Les yeux fermés, je me concentre sur ma respiration pour calmer mes nausées. Tous figés par nos propres combats, nous mettons quelques minutes avant de bouger. Le col du t-shirt sur le nez, je prends part à l'inhumation des tombes que les deux hommes ont déjà entamé. Au fur et à mesure des coups de pelle, l'odeur s'intensifie me forçant à faire des pauses et à me concentrer pour réprimer mes nausées. Les yeux humides, je reprends jusqu'au coup de trop qui me fait vider le contenu de mon estomac. N'arrivant pas à reprendre mon souffle, je remonte et gonfle mes poumons d'air frais.
Assise sur un seau retourné, Andy se tient la tête entre les mains, le teint aussi blanc qu'un linge.
— Hey ça va ?
— Ouais t'inquiètes ça va le faire tant que je ne redescends pas dans cette merde.
— Tu n'as pas à le faire on s'en charge. la rassuré-je.
Elle me rend mon sourire puis je retourne dans l'étuve de putréfaction.
Nous continuons d'exhumer chaque corps à notre rythme. Chacun alternant entre pauses, vomi et air frais. Au bout d'un moment que je ne saurai définir, nous trouvons enfin le cadavre d'Emilia. Facilement identifiable par sa taille et la robe de danseuse qu'elle porte encore, elle est malgré tout méconnaissable puisque ce n'est plus qu'un squelette. Tendons desséchés et fragments de peau momifiés entourent quelques parties de son corps mais plus rien ne témoigne de sa jeunesse ou de sa beauté. Seul son crâne fracturé d'un trou trahit la fin tragique de la petite fille.
Figée par l'émotion, je sors de mon état végétatif quand Andrea et Amadeo recouvrent le petit squelette d'un drap blanc.
— Aller May c'est fini. On la rapporte à sa mère, on fait ce qu'on a à faire et ensuite cette histoire sera derrière nous. m'informe doucement Andrea.
Nous remontons puis fermons la cave aux horreur derrière nous avant de partir retrouver La Matriarcone.
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