La Spina -37

La tête posée contre le béton froid, je me concentre pour diluer mes pensées anxiogènes dans la jungle où je suis enfermée. Les yeux fermés, la ressemblance avec un zoo est à s'y méprendre. Les yeux ouverts, la frontière est presqu'invisible. Entre celles qui font les cent pas en se répétant que tout va bien se passer, celles qui tentent déjà de se faire des alliés, celles pour qui la cellule est leur deuxième maison et celles comme moi qui restent dans leur coin à attendre, l'animation de notre cage n'a rien à envier au plus grand zoo. Il ne manque plus que la présence du public nous jetant des cacahuètes pour garantir l'immersion.

— Hey Madini.

La voix rauque d'une femme m'extirpe de mon analyse. Adossée au mur, les genoux pliés et coudes fixés dessus, je pivote légèrement la tête vers la camionneuse qui s'avance vers moi. A son allure confiante et sa démarche sereine, je devine que ce passage ici n'est pas son premier. Ses deux ombres qui la suivent sans rien dire confirment mon hypothèse.

Sans daigner répondre, je lève un sourcil interrogateur.

— T'as repris les affaires de ton mari et tu t'es fais gaulé ? demande t-elle en plantant les piquets qui lui servent de jambes devant moi.

— Non.

— Causante la p'tite. Pourquoi t'es tombée ?

— Ca ne te concerne pas.

Elle jette un coup d'œil à ses sbires avant de m'adresser un sourire déformé aux dents jaunes.

— Mais c'est qu'elle a du caractère. Est-ce que t'ouvriras encore ta gueule après ça ?

Elle ne me laisse pas le temps de comprendre ses mots qu'elle m'épingle de ses mains rocailleuses au mur, ranimant la douleur de ma blessure. Ne voulant pas entrer dans son jeu, je ne réagis pas et continue de la toiser. Mon ignorance attise sa fureur qu'elle concentre dans le poing qu'elle est prête à m'écraser au visage.

Le bruit métallique de la matraque du garde ricoche sur les murs de la cellule.

— La spina ! Lâche la ou c'est l'isolement dès ton arrivée dans la prison !

Son sourire s'efface derrière la crispation de sa mâchoire carrée. Elle maintient sa poigne quelques secondes avant de tout lâcher causant ma chute lamentable sur le banc en bois.

— Ton merdeux de mari a eu ce qu'il méritait. Les nôtres l'ont eu comme ils t'auront toi. crache t-elle avant de me tourner le dos.

— Répète ce que t'as dit. menaçé-je en bondissant du banc.

Elle s'arrête net et je comprends à la tension de ses épaules et aux chuchotements ambiant qu'il est rare que quelqu'un lui tienne tête. Lentement elle se retourne pour ensuite me tuer de son regard.

— C'est à moi q'tu causes ?

— En plus d'être conne t'as des problèmes de vue ?

Soudain, je me retrouve à terre, La Spina à califourchon sur moi. Sous les braillements des singes, elle dégaine ses coups que je pare habilement.

— Mais t'es qui putain ?! s'essouffle t-elle.

— Celle qui va t'envoyer en isolement ! rétorqué-je en lui assénant un coup de poing avant de la faire basculer et de me poser sur elle.

— Sale conne ! T'es foutue ! J'vais te tuer !

— Prends un ticket, dis-je en l'accablant de coup, y'a une liste d'attente. finis-je en plantant violemment mes coudes dans ses seins.

Un hurlement de douleur jaillit de sa gorge.

— Tu fais partie de quel clan ?

Sinistrement, elle étend ses lèvres en un sourire qui laisse entrevoir ses dents jaunes recouvertes de sang.

— Réponds ! dis-je en la relevant par le col avant de la plaquer brutalement au sol.

— Va te faire foutre. articule t-elle avant de me cracher au visage.

Ses mots attisent ma haine jusqu'ici réprimée. Je suis sur le point de continuer mon agression quand une voix me stoppe.

— Alors May, c'est comme ça qu'on se fait des alliés ?

Le poing encore levé sur ma victime, je regarde par-dessus mon épaule et écarquille les yeux quand je vois sa silhouette familière. Je me relève précipitamment oubliant La Spina pour me planter devant lui.

— Sergio ?

— Ta caution est payée, tu rentres avec moi.

Le sourire aux lèvres je le dévisage à travers les barreaux que je percute violemment. Assommée je m'effondre par terre. Je mets quelques secondes à retrouver mes esprits puis je sens une poigne ferme me relever par l'aisselle. Alors que je franchis la porte de la cellule j'entends La Spina grogner derrière moi:

— Tu mérites la même balle dans le cœur qu'Ezio sale pute !

La vision floue, je lui réponds par un doigt d'honneur alors que mon autre main est placée dans le creux du bras de Sergio qui me guide à travers le brouillard.

Nous nous arrêtons devant ce qui me semble être l'accueil.

— Voici vos effets personnels. Votre ami a payé votre caution. Ca signifie que vous pouvez sortir mais vous devez rester sur le territoire pendant l'enquête.

 Sur ses mots un bip grave retentit suivi d'un clic caractéristique d'un déverrouillage de porte. La douce brise s'engouffrant dans mes cheveux annonce ma liberté retrouvée.

— Merci Sergio, j'imagine que faire partie de la mafia a du bon dans ces moments-là. affirmé-je en retrouvant peu à peu la netteté de ma vue.

— En effet c'est loin d'être habituel mais le juge me devait bien ça. Et ne me remercie pas. Tout ce que fait un mafieux n'est jamais par pure générosité. sourit-il les yeux rieurs.

Je m'engouffre dans sa voiture avant d'être rejointe par Bartoni.

— Alors qu'est-ce que tu me veux ? demandé-je.

— Une vie pour une vie. J'ai sauvé ton cul, à toi d'en faire autant pour le mien.

Je fronce les sourcils attendant qu'il m'en dise plus.

— La famille Pimediare, tu connais ?

— De nom seulement.

— Je veux que tu t'en occupes pour moi.

— Désolée de ma question mais tu as besoin de moi pour te venger ? Je veux dire, je ne suis pas contre bien au contraire mais tu es dans le métier depuis tellement longtemps que tu pourrais y parvenir tout seul et sans scandale. réponds-je inquisitrice.

— En effet mais depuis la mort de Paola, j'ai perdu énormément de contact et de crédibilité puisque j'ai sombré dans la dépression. J'ai réussi à m'en sortir mais quand je me suis réveillé il était trop tard et je n'avais plus que mon bras droit. J'ai tout perdu et mon dernier contact fiable était Mateo jusqu'à ce qu'il finisse par se servir de moi et me trahir à son tour. avoue t-il dépité.

— Et donc mon arrestation est devenue ton aubaine ? souris-je.

Il sourit en retour.

— Je ne vais pas te contredire.

— Qu'est-ce que tu peux m'apprendre sur lui ?

— Un mariage heureux et un fils unique. Il est quelqu'un de fiable jusqu'à ce qu'il trouve un moyen de tourner la situation à son avantage pour son intérêt personnel. Sa priorité est sa famille et lui. Le reste il l'écrase pour atteindre ses objectifs. Il s'est fait pas mal d'ennemis mais arrive toujours à s'en sortir. Son péché mignon est la drogue. C'est d'ailleurs à cause de ça qu'il m'a trahi. Nous avions un accord je trouvais le fournisseur, il trouvait l'acheteur mais il a préféré détourner la cam' et l'argent pour son propre compte. Comme tu t'en doutes il me doit énormément de fric. Il ne sait pas encore que j'ai découvert sa combine alors il ne s'attend pas à une revanche.

— Okay et comment pouvons nous procéder il est du genre haute sécurité et inatteignable ou nous pouvons l'approcher facilement ?

— C'est là que ça se complique avec ton récent exploit. Pimediare est toujours en vadrouille que ce soit pour le boulot ou le perso. Il est rarement sur le territoire Sicilien.

— Donc pas de vengeances tant que l'enquête n'est pas terminée.

— En espérant qu'ils te mettent pas au trou à la fin. rit-il.

— T'inquiètes pas je vais y veiller... assuré-je.

        ****

— J'ai eu tellement peur ! s'exclame Andy accrochée à moi comme un poulpe.

— T'en fais pas ils n'ont pas grand chose contre moi, l'enquête va leur prouver mon innocence.

— Pas si tout le monde est aussi corrompu que moi. soulève Callegrio.

— D'ailleurs une explication sur comment ils ont récupéré l'arme que tu m'avais confisqué ?

Assis sur mon canapé, il se penche en avant, coudes posés sur ses genoux, les doigts jouant ensemble. Ils retrouvent ensuite la dureté de son poil facial. Moustache polie, il s'éclarcit la gorge avant de planter ses yeux dans les miens.

— Je l'ai confié à mon coéquipier aux scellés, ensuite je ne sais pas ce qu'il en a fait.

Un rire perce la tension qui nous enveloppe.

— Un collègue ? C'est tout ce que t'as trouvé pour nous endormir ? intervient Andrea.

Je lui jette un coup d'oeil puis reporte mon attention sur Eustasio. Les doigts entremêlés, il entre dans un duel silencieux avec son accusateur. Sa mâchoire crispée se détend pour tenter de se justifier.

— Crois-moi ou non, je ne vous trahirai pas. Je suis peut-être pourri mais pas au point de devenir ce genre de mec. Je suis avec vous et personne d'autre.

— Et que devient ta loyauté si quelqu'un d'autre découvre ton petit secret ? insiste Andrea.

— Ce n'est plus possible, après notre accord je me suis débarassé de toutes les dernières preuves.

— La mafia trouve toujours un moyen de se procurer ce qu'elle veut Callegrio.

— Je peux pas te dire mieux Andrea. Maintenant il s'agit de confiance. Soit vous me croyez soit vous agissez en conséquences.

Ses paroles flottent au-dessus de nous, une menace prête à fendre l'air. D'un geste de la tête j'nvite le couple infernal à me suivre sur la terrasse. Je coulisse la fenêtre pour nous assurer la discrétion.

— Me dit pas que tu le crois May ? entame Andrea.

— Honnêtement j'en sais rien. Il a l'air sincère mais j'avoue que ce collègue arrive à point nommé. dis-je en scrutant le dos vouté de Callegrio.

— Merci, allez on s'en débarasse.

— Mais, rétorqué-je en le retenant par le bras, On a besoin de lui. L'option Isabella est totalement un échec, il ne nous reste plus que lui pour retrouver la fille de Nume. Le temps nous échappe, les aléas s'enchaînent et les alliés nous manquent. Je sais qu'on prend un risque en l'acceptant parmi nous mais on n'a pas d'autre choix. Je préfère m'en mordre les doigts après et sauver la peau d'Andy plutôt que de me débarasser de lui maintenant et dire adieu à la seule piste qu'on a pour sortir de cette merde !

Un court silence criblé de nos regards perdus s'installe.

— Andrea, May a raison. On n'a que lui.

Il dissimule la tension qui le gagne en baissant la tête. Les poings serrés il lève son visage vers la fenêtre et la coulisse d'un coup l'ouvrant soudainement. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top