L'herbe coupée sous le pied - 22

L'entraînement de ce matin était simple en apparence. Les yeux bandés, je devais lancer un couteau factice sur Andrea dès que je pensais l'avoir localisé. Le but était d'aiguiser mon ouïe pour décupler mon attention et améliorer ma sensibilité aux détails. Je pourrai ainsi détecter mon ennemi sans avoir besoin de me retourner ou de le voir.

"Faire confiance à son instinct, là est la clé." résonne encore la voix d'Andrea dans mon esprit alors que je roule jusqu'à chez moi.

Sur la route déserte, j'aperçois au loin un véhicule stationné sur le bas côté. Plus je me rapproche plus je distingue les traits d'une voiture de police. L'incident avec Callegrio encore en tête, je jette un coup d'oeil à mon compteur et maintiens mon allure. Une fois dépassée, il ne lui faut pas longtemps pour s'éclairer de ses lumières bleues et me rattraper.

— Mais c'est pas vrai ! pesté-je dans mon casque.

Je me gare dès que je le peux et sans surprise la silhouette fière et dédaigneuse d'Eustasio couvre mon champs de vision. Sans retirer mon casque, je lève la visière.

— Qu'est-ce que vous me voulez ? Je roulais à la vitesse autorisée cette fois !

— En effet mais vous avez votre feu arrière de cassé.

— Quoi ?! m'exclamé-je, les sourcils froncés et le buste tourné vers le phare en question.

Je n'ai pas le temps de réagir qu'il l'explose de sa matraque.

— Mais ça va pas la tête ?! hurlé-je en retirant ma protection.

Sur le point de faire subir le même sort que mon phare à son visage avec mon casque, j'inspire profondément tout en le fusillant du regard, la mâchoire serrée.

— Vous me devez un phare connard !

— Attention, je pourrai vous arrêter pour m'avoir insulté et outrage à agent.

— Je ne vous ai même pas touché !

— Mais vous pourriez l'avoir fait. dit-il en se rapprochant de manière menaçante.

Toujours à dos de ma moto, je scrute le vautour qui rode autour de moi à la recherche de sa proie dont il se délectera. La matraque à la main, il la laisse vagabonder dangereusement près de la carrosserie. Le regard nargueur, je ne le laisse pas m'atteindre comprenant très bien son petit jeu.

L'enquêteur qu'il est a cerné le volcan que je suis.

N'ayant rien contre moi cette fois, il essaie de me pousser à bout pour que je commette l'irréparable et lui donner la satisfaction de me boucler les menottes. Seule erreur de jugement, je suis d'une patience exemplaire quand il s'agit de gagner une partie. Et celle là je suis bien décider à la remporter jusqu'à le dépouiller.

— Callegrio, je vous savais pourri mais pas à ce point.

Ma remarque le fait doucement sourire.

— Je vous avais dit que nos chemins se recroiseraient.

— En effet, vous êtes un homme de parole. Mais dites-moi, votre façon de jouer n'est pas très fair-play.

— Parce que vous savez ce que c'est de jouer fair-play vous ? demande-t-il en se piquant devant moi les bras croisés.

— Ce n'est pas moi qui ai enfreint les règles pour ma convenance personnelle.

Ses pupilles dilatées me sondent, un sourcil arqué et la mâchoire crispée. Son tic appelle sa main qui vient caresser sa moustache puis s'arrête net quand il voit mon sourire s'agrandir. Les yeux plissés et le regard fixe, il croise ses mains devant lui et tente de dissimuler la tension qui l'envahit.

— Qu'est-ce que vous insinuez ?

— Voulez-vous vraiment qu'on aborde le sujet ici ?

— Si sujet il y a, il n'y a pas meilleur endroit neutre pour parler.

— Nous devrions peut-être en parler dans votre voiture.

Sans daigner bouger, il me toise, son regard scellé au mien imposant sa décision de me faire parler.

— Bon comme vous voudrez, ce n'est pas ma carrière qui est en jeu après tout. Un ticket pour un ticket, je me lance la première. Votre instinct ne vous a pas trompé, je suis bien en plein dessein de vengeance. Je suis bien mêlée à la mafia.

— Okay dans la voiture !

D'un pas rapide, Callegrio s'enferme dans l'habitacle. Je le rejoins et m'installe sur le siège passager. 

Une main sur la bouche, le regard fuyant, il pianote ses doigts libres sur le volant. D'un claquement de portière, je chasse la tension qui trouve refuge dans la jambe agitée d'Eustasio.

— Ne vous inquiétez pas ça va bien se passer, votre secret est entre de bonnes mains avec moi.

— Vous croyez me tenir ?

— Ce n'est pas une croyance, c'est une certitude.

Un léger rire sarcastique s'échappe alors de sa bouche fermée.

— Vraiment ? m'interroge-t-il la tête inclinée sur le côté, le sourcil arqué, le rictus prononcé.

— Je me rappelle d'une certaine affaire de meurtre en série. Les victimes étaient des personnes en apparence différentes mais avec le même point commun. C'était quoi déjà ?

Sans répondre son regard me perce de sa froideur.

— Tous sans papiers, sans attaches, sans familles pour les pleurer. ajouté-je sans détourner les yeux.

— Et alors ?

— Il me semble qu'un homme était fortement suspecté mais sans véritables preuves, impossible de le mettre derrière les barreaux. Jusqu'à ce qu'un jour par magie, alors que tout avait été fouillé des dizaines de fois, on ait retrouvé un cure-dent sur un squatt d'une des victimes qui portait l'ADN du présumé coupable et qui matchait parfaitement avec celui du meurtrier. Mais ce qui est encore plus perturbant c'est que le policier chargé de cette enquête c'était vous Callegrio. déclaré-je en le fixant.

— Ca ne veut pas dire que c'est moi qui l'ai déposé.

— En effet, mais je crois que quelques heures avant qu'on retrouve ce cure-dent, on le voit dans la bouche du meurtrier à qui vous êtes en train de faire passer un énième interrogatoire. Vraiment ça relève du miracle d'autant plus qu'on le voit partir sans ce cure-dent qu'il vous a gentiment craché à la figure.

Sous le poids de la suspicion qui devient certitude, sa carapace se fend et laisse les émotions le submerger. Dans un moment de malaise général, je suis la témoin de la perte de contrôle de Callegrio sur ses larmes. Les yeux cachés derrière sa main, son corps est secoué de sanglots.

— Cette affaire m'avait tout pris ! Je n'en dormais plus, je ne mangeais plus. J'étais tellement obnubilé par cette enquête que j'en ai perdu ma femme et mon fils. Ils sont partis et maintenant ils me détestent. Tout ce que je voulais c'était coincer cette pourriture qui ne faisant que de se moquer de nous. Je savais que c'était lui ! Alors j'ai fait ce qui devait être fait pour le mettre derrière des putains de barreaux comme le chien qu'il est ! s'exclame-t-il en déversant toute sa haine.

— Et maintenant ton boulot est toute ta vie n'est-ce-pas ? Je crois même que tu envisages de monter en grade non ? A ton avis quel impact aurait ce genre de révélation sur ta carrière ?

— Vous n'oseriez pas ?!

— Oh si crois-moi je n'ai rien à perdre et tout à gagner.

— Qu'est-ce que vous voulez ?

— Rien de compliqué. Je veux juste pouvoir faire appel à toi dès que j'en ai besoin et que tu me donnes ce que je demande. Un retard, un pas de travers, un seul doute sur ta loyauté et tu te retrouves six pieds sous terre. C'est clair ?

— Très. répond-il entre ses dents en me foudroyant de toute sa haine.

Je lui adresse mon plus beau sourire, satisfaite de ma victoire. Je lui donne une tape sur l'épaule tout en lui disant :

— Il va falloir t'endurcir mon grand.

Sur mes mots je sors de la voiture.

— Oh et tu me dois un phare aussi ! dis-je avant de claquer la porte, le laissant seul avec les conséquences de ses actes.

Les mois passent et nous arrivons vite à un an de travail acharné. Nous passons nos journées à nous entraîner sans relâche, chaque jour j'ai le droit à ma série de photos d'Ezio pour m'immuniser de son image. La méthode d'Andrea est payante. Je me déleste un peu plus du poids de mon deuil et parviens à regarder une photo de lui sans pleurer ni être dévastée.

Seul mon amour pour lui subsiste. Toujours aussi amoureuse comme au premier jour, je reste concentrée sur nos beaux moments et sur ma chance de l'avoir connu. J'ai fait la paix avec le fait qu'il ne sera qu'un chapitre de ma vie et malgré son importance, je me dois d'avancer pour moi. Il est devenu ma force et peu importe ce qui arrivera, il ne redeviendra pas ma faiblesse.

Chaque jour apporte son lot de difficultés, comme promis, Andrea a élevé le niveau de l'exercice pour aiguiser mes sens. Du hangar, nous sommes passés à une clairière où le vent faussait chacun de mes sens et où l'herbe enveloppait chaque son qui pouvait me donner un indice. Nous sommes également allés sur une plage où le bruit des vagues emplissait mes oreilles et où le sable rendait la détection du bruit des pas impossible. Nous sommes allés en haut d'un toit d'un immeuble où cette fois les bruits citadins devenaient mon plus gros perturbateur sensoriel. Malgré tout j'ai réussi petit à petit à gagner en attention et savoir détecter la position de mon adversaire et ce en dépit des bruits environnants. J'ai acquis une nouvelle capacité à passer outre les bruits parasites pour détecter ce que je cherche. Évidemment lorsqu'Andrea me met dans une situation plus stressante et sous tension, je n'arrive pas à cent pour cent à détecter mon ennemi mais je reste quand même très performante.

Nous avons continué sur les entraînements au tir où j'excelle dorénavant. Déjà avant je ratais rarement ma cible mais maintenant je connais tellement bien mon arme qu'il est presque devenu impossible à mon ennemi de s'en tirer vivant.

Grâce à l'entraînement physique que j'ai dû suivre avec assiduité, j'ai gagné en endurance et en force. J'ai pu découvrir les arts martiaux avec lesquels j'ai pu développer mes techniques de combat mais également gagner en rapidité dans l'exécution de mes mouvements et en agilité. Bien plus rapide qu'avant, j'ai également évolué dans ma capacité à me rendre presqu'invisible. Mes pas sont devenus aussi légers que ceux d'une souris et mon aisance à éviter les obstacles me confère une discrétion optimale.

Andrea m'a également appris à aller au-delà de toute restriction en m'entraînant à crocheter une serrure, atout majeur pour obtenir des informations bien cachées. En plus de devoir m'accoutumer au répugnant, il m'a également mis en condition pour je cite :

" Accepter l'illusion que le plaisir de la chair peut me sauver."

C'est sur ce point que j'ai eu beaucoup de mal à me laisser faire, ne voulant pas répéter l'épisode avec Leone. Peu importe à quel point je peux arriver à maîtriser mes émotions, le plaisir de la chair reste le point que j'essaierai toujours de contourner. Je comprends qu'il ait dû me l'initier mais je n'accepte pas encore de pouvoir y avoir recours.

Depuis mon histoire avec Ezio, je n'ai connu personne d'autre, pas par manque d'occasion, mais par manque de volonté. A chaque fois que quelqu'un me plaisait, rien que de l'embrasser me faisait repenser à Ezio et j'avais l'impression de le tromper.

Je me suis accordée ce seuil de tolérance, je me laisse le temps qu'il faut pour reprendre une relation. Ayant fait pas mal de concessions et de progrès par rapport à mon deuil, je me dis que je peux bien me faire ce cadeau. N'ayant pas la volonté d'entamer une histoire, je ne vois pas l'intérêt ni la priorité de me forcer à aller plus loin avec un nouvel homme.

Sur le plan psychologique, Andrea m'a formé à détecter la faiblesse de mon adversaire pour la retourner contre lui et devenir ma force pour le mettre hors d'état de nuire. Il m'a également instruit à trouver ce que veut mon ennemi comme la gloire, le pouvoir ou la richesse et devenir redoutable pour lui faire miroiter que j'ai le moyen de l'aider mais pour finalement tirer la situation à mon avantage.

Enfin après avoir dû me taper de longs diaporamas des horreurs, Andrea m'a appris comment me soigner ou grâce à quel moyens le faire si je suis seule. Après tout ça je crois que mon entraînement est des plus complet et même si nous continuons quotidiennement à nous entraîner, je me sens plus que prête à entamer le chapitre le plus excitant et pharamineux de ma vie.

La vengeance est un plat qui se mange froid, n'est-ce-pas ?

Après une longue journée à s'exercer au combat au couteau, nous nous prélassons sur ma terrasse bercés par le doux son des vagues.

— May une dernière chose, dans un combat à l'arme blanche, ton ennemi et toi êtes dangereusement proches. Tu ne dois pas te contenter de lui donner un coup, tu dois l'assainir encore et encore jusqu'à ce qu'il tombe. Garde ça en tête et ne te crois pas sauvée parce que tu lui as donné un coup que tu penses fatal. m'avise Andrea, une bière à la main.

Je hoche la tête, un rictus aux lèvres sachant qu'il aime par-dessus tout instruire et qu'il devient nostalgique à l'idée que notre session d'entraînement se termine pour de bon.

Je n'ai pas le temps de lui dire quoi que ce soit que son téléphone sonne. Il se retire pour répondre puis revient la mine déconfite. Avec Andy, nous l'interrogeons du regard, redoutant sa réponse qui ne se fait pas attendre.

— C'est Raphaël, il a été retrouvé mort dans son lit ce matin. annonce-t-il les yeux ronds.

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