L'épreuve émotionnelle - 18
Le repas avalé en quatrième vitesse, je rejoins Andrea et Andy qui affiche un visage crispé et tendu. Je m'étonne à son changement d'état et avant que je ne puisse demander quoi que ce soit, Andrea se tourne vers moi.
— May, ce qui va suivre va être de nouveau une épreuve émotionnelle.
Pendant qu'il parle, je vois Andy roder autour des mannequins qui ont un sac sur la tête. Je fronce les sourcils en totale incompréhension et appréhension pour la suite.
— Avant toute chose, tu dois te rappeler de considérer les choses pour ce qu'elles sont et te rappeler pourquoi tu le fais. Ne perds pas de vue ton objectif, c'est ça qui est le plus important et pas le reste. Comme je te l'ai dit, l'entraînement est dur, intense émotionnellement et éprouvant physiquement. N'oublies pas que tu es une survivante, là est ta force. Tu sauras franchir et affronter chaque obstacle pour devenir la femme que tu dois être.
Totalement apeurée par ses mots et par ce qu'ils sous-entendent, je découvre avec effroi ce qui se cache sous les sacs qu'Andy retire petit à petit. Sur chaque visage inanimé des mannequins, se trouve un visage familier: Ezio, Isabella, Raphaël, Paola, Mario, Leone, Angie et pour finir celui de Nonna. Je reste pétrifiée à la vue de ces photos et n'arrive plus ni à parler ni à bouger. Tout s'entrechoquent dans ma tête et mon corps, les mots, les émotions mais l'incompréhension domine.
Andrea se racle la gorge avant de parler.
— Si je t'ai préparé cet exercice, crois-moi même si ça n'en n'a pas l'air, ce n'est pas pour te faire souffrir. Seulement comme on l'a vu auparavant, tu dois arriver à te concentrer et à gérer tes émotions. Toutes ces personnes ont la particularité de provoquer en toi de fortes émotions. De raviver une douleur, un souvenir désagréable, une rage, une passion, une injustice. Le cocktail exhaustif des éléments les plus explosifs qui peuvent tout dévaster sur leur passage s'ils ne sont pas maîtrisés. Au fur et à mesure des exercices, ta gestion des émotions devra dominer leur intensité. Tu vas atteindre tes limites, les dépasser et en trouver de nouvelles. Je sais que ça ne va pas être simple mais tu dois parvenir à te contrôler pour atteindre ton objectif. Tu ne sais pas ce qui t'attend par la suite. Chaque allié peut devenir un traître. Quand viendra le moment de te venger et de tirer sur cette personne que tu respectais et que tu appréciais, tes émotions peuvent interférer et avoir de lourdes conséquences sur tes actes. Si tu te laisses dominer, tu peux louper le coche et te mettre en danger stupidement. Encore une fois, moins tu auras d'attaches, mieux tu te porteras. Considères les personnes pour ce qu'elles sont, des pions qui t'aideront soit à avancer soit qui t'en empêcherons. Dans tous les cas, tu devras à un moment ou un autre leur dire au revoir car ton objectif si tu le veux encore aujourd'hui est de détruire toute trace de mafia sicilienne. Tu devras donc être impartiale et aller jusqu'au bout de ton idée sans quoi tu risques d'échouer ou de te faire tuer par vengeance. Tu dois en être consciente et être sûre que tu as la force d'aller jusqu'au bout peu importe qui sera ton adversaire. Tu comprends ?
Je reste un moment silencieuse absorbant chaque mot d'Andrea et prenant leur mesure. Je sais ce que je veux et je sais que je dois me préparer à toutes les éventualités. Le chemin est long et douloureux mais je ne dois rien lâcher sinon tout ça ne rimerait à rien. Ma survie ne rimera à rien et mon existence encore moins. Cette vengeance est devenue la seule motivation, mon seul but sur Terre. Je ne peux pas baisser les bras maintenant pour des personnes qui me donneront un coup de poignard dans le dos à la première opportunité. Andrea a raison, je dois continuer à me battre et faire taire mon empathie pour laisser la bête assoiffée de vengeance s'emparer de moi. Si je dois devenir une machine sans cœur et sans émotion pour réussir, je le ferai. Je le dois à Orfeo et à Ezio, ils étaient tous les deux des victimes et leur assassin n'a pris en compte que sa petite personne. Si je veux parvenir à mon objectif, je me dois d'être sans pitié.
— Je suis prête à déconstruire qui je suis pour devenir celle que je dois être. réponds-je déterminée.
Andrea me tend une arme dont je m'empare. Je me place face à l'armée de silhouettes en résine, l'arme en main le long de mon corps. J'étudie chaque visage qui fait resurgir des souvenirs cauchemardesques pour certains et d'autres nostalgiques. Je décide de commencer à viser les mannequins dont les visages m'inspirent haine, colère, violence. Je sens une boule de rage se former dans mon ventre et faire bouillonner mon sang à tel point que ma température corporelle doit augmenter de quelques degrés.
Concentrée, je sursaute légèrement quand je sens Andrea poser ses mains sur mes coudes pour rectifier ma position.
— Arme, vise, expire et tire. La personne en face de toi n'est qu'un pion qui t'empêche d'avancer. Ce n'est plus une personne, c'est une cible armée. C'est soit toi soit elle. Ne lui donne pas le plaisir de te tuer. A cet instant, laisse ton instinct de survie prendre le dessus et débarrasse toi de chaque putain d'obstacle. Qu'il ait l'apparence d'un ange ou d'un démon, ça ne change pas son intention de te tuer. me conseille t-il tout bas.
Animée par ses paroles, je sens gonfler en moi une force nouvelle.
Andrea se recule et me laisse seule face à mes fantômes. Je remplis mes poumons d'air puis me concentre. Tout en le chassant de mes poumons, je vise ma première cible et fais le vide dans ma tête.
Malgré tout, face à son visage, je n'arrive pas à mettre sous silence toutes mes émotions. Une chaleur intense semblable à une brûlure parcourt les cicatrices de mon dos les ravivant comme si elles étaient des blessures nouvelles.
Mon poil se hérisse et ma peau crépite sous mes lacérations. Les souvenirs de cette soirée me reviennent en tête comme si je l'avais vécu la veille et chacun de me sens s'exacerbe. Je peux encore sentir son parfum musqué empreindre toute la pièce, son touché rugueux sur ma peau lisse, sa voix autoritaire résonne dans ma tête et le goût ferreux du sang se répand dans ma bouche.
J'inspire et expire de nouveau en fermant les yeux pour me concentrer de plus belle et oublier la fureur omniprésente dans mon ventre. Une fois que je les ouvre, sans réfléchir comme je l'ai fait pour Léo, je tire une balle qui se loge entre les deux yeux de Leone. Un petit rictus se dessine sur mon visage, enfin soulagée et satisfaite d'être parvenue à toucher ma cible. Le tuer à nouveau est plus jouissif que je ne l'aurais cru.
Entraînée dans ma lancée, sans crier gare, je vise et tire directement sur Angie puis sur Mario. Ne ressentant que dégoût et mépris pour eux, il est facile de me maîtriser.
— Joli tirs bravo.
— Ce n'est rien, ces trois-là étaient faciles. Une pauvre fille désespérée et deux hommes que j'ai déjà tué. Malgré ce qu'ils m'ont fait subir, les tuer une deuxième fois n'étaient pas si compliqué.
Andrea hoche la tête. Malgré sa volonté de vouloir le dissimuler, je le sens se tendre et se crisper tout comme Andy qui n'arrive quant à elle absolument pas à le cacher. Elle ronge tellement ses ongles qu'elle n'aura bientôt plus que des moignons à la place des mains. Elle n'arrête pas de trépigner sur place si bien qu'on croirait qu'elle fait une crise d'épilepsie debout.
Andrea se rapproche alors d'elle et lui chuchoter quelque chose à l'oreille mais qui à l'air de lui déplaire car elle fronce ses sourcils et hoche la tête pour dire non, les mains toujours dans la bouche.
— Andy ça va aller. essayé-je de la rassurer.
— Comment ça pourrait aller ? Tu as face à toi des personnes qui te déclenchent des traumatismes ! C'est comme si tu me disais que je ne pourrais plus baiser pendant tout un mois, non ça ne va pas aller non.
Je souris à sa comparaison absurde. Elle s'agite de plus belle comme si ses mots avaient déclenché un nouveau pic de stress. Je détourne les yeux sur Andrea qui m'encourage de son regard.
Je me retourne face aux mannequins et me rends compte que l'exercice sera bien plus compliqué. Comme auparavant, je décide de continuer avec les deux personnes que je rêve de voir six pieds sous terre. Le plus difficile reste de calmer et contrôler mes émotions face à ce couple de monstres.
Tous deux m'inspirent violence, haine, fureur. Ils font ressortir tout ce qu'il y a de plus mauvais en moi et déclenchent une tempête que je ne peux maîtriser. Mes émotions sont tellement intenses que je ne parviens pas à faire le vide ni à me concentrer. Inspirer, expirer, fermer les yeux, tout cela est vain face à la tourmente qui s'agite en moi. A chaque fois que mes yeux se posent sur leur visage je n'ai qu'une envie les torturer à mort puis les voir revivre pour de nouveau les torturer. Lorsque je ferme les yeux, tous leurs actes abjectes me reviennent en image et alimentent la bête noire qui sommeille en moi.
Les mains d'Andrea sur mes épaules m'extirpent de mon cercle infernal.
— On va faire un autre exercice avant pour te défouler et on reviendra sur celui-là après d'accord ?
J'acquiesce d'un hochement de tête me sentant incapable de continuer et de peur que ça ne dégénère.
Je suis Andrea dans un coin de la pièce et découvre avec enthousiasme un punchingball. Je suis déjà prête à le bombarder de coups quand il me retient.
— Avant toute chose, tu mets des gants. Si tu te foules ou que tu te fais une entorse ou je ne sais quoi, ça nous sera très handicapant pour la suite, donc évitons toute blessure inutile.
Je m'empare des gants qu'il me tend et les mets juste avant de frapper de toutes mes forces le sac. Ce premier coup est comme une clé qui ouvre la porte de la cage où mes émotions étaient capturées. Submergée par leur intensité, je me surprends à frapper plus vite et plus fort, extériorisant toute ma rage intérieure. A chaque coup, le visage d'Isabella puis de Raphaël s'alternent intensifiant chacun de mes mouvements. La haine que je leur voue est mon seul moteur face à ce sac de frappe qui est personnifié dans mes pensées pour m'aider à me défouler et à me débarrasser de tous mes ressentiments.
J'enchaîne les attaques et petit à petit, mon corps perd le contrôle. Je ne me maîtrise plus et frappe toujours plus fort ce sac, si fort que mes mains, mes poignets et mes bras deviennent douloureux. Si fort que j'en viens à crier tiraillée entre douleur et désespoir. Sans m'en rendre compte, les larmes coulent sur mes joues et ma mâchoire est si crispée qu'elle en est douloureuse.
Après un dernier coup fatal, je m'effondre à genoux, les bras inertes le long du corps en essayant d'étouffer un sanglot. Je reste quelques secondes la tête baissée, le visage baissé à reprendre mon souffle et mes esprits. Un silence de plomb règne sur le hangar. Seul le tintement des chaînes du sac de frappe qui se remet doucement en place se fait entendre.
Je prends une grande inspiration puis tout en me relevant je retire mes gants. Je les jette à terre, remets mes cheveux en ordre et essuie mes larmes puis me tourne vers Andrea.
— On peut y retourner, je suis prête.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top