L'arroseur arrosé - 35

Le lendemain matin, ou après-midi selon le point de vue, arrive plus vite que je ne l'aurai souhaité. La vive douleur qui transperce mon épaule fait rejaillir les souvenirs de la veille. A peine me suis-je redressée que le grincement de ma porte attire mon regard qui se pose sur la mine curieuse d'Andy. Elle se transforme vite en inquiétude à la vue de ma grimace de douleur.

— Je t'ai mal soignée cette nuit ? demande-t-elle soucieuse en avançant doucement.

— Non non t'inquiète tu as parfaitement géré, juste la douleur qui se réveille. la rassuré-je.

— Et bien encaisse parce que la suite ne va pas être plus plaisante.

— Les nouvelles de nos exploits d'hier ?

— Je ne crois pas qu'ils aient employé le terme exploit. Catastrophe, acte terroriste, cruel, inhumain et j'en passe ça oui mais exploit non décidément ça ne me revient pas, rétorque-t-elle sarcastiquement, je te laisse aller en juger par toi-même. Les mecs sont devant les infos justement. ajoute-t-elle en s'écartant du chemin pour me laisser passer.

Sans hésiter plus longtemps, je sors péniblement de mon lit et rejoins Andrea et Amadeo assis dans le salon.

Le miroir de l'autre, leur mâchoire est contractée au point de céder, le corps penché en avant, leurs coudes fixés aux cuisses et leur mains jointes en un poing ferme. L'attention fondue sur l'écran, ils ne tournent même pas la tête à mon arrivée.

Sans dire un mot je m'installe à leur côté, les yeux et l'esprit rivés sur la télé.

" L'incompréhension a saisi le pays ce matin au réveil. C'est avec horreur que tard dans la nuit nos journalistes ont été témoins d'une violente tragédie. L'explosion criminelle du manoir Feniosso. Les corps des quatre membres de la famille et de leur personnel ont tous été retrouvés et en cours d'identification, malheureusement aucun survivant n'a encore été retrouvé.

Avant de retourner dans la maison et d'y trouver la mort, le petit Adriel a délivré un message très mystérieux qui est le suivant:

"Renaquit de ses cendres et s'élevant en une forme plus forte de lui-même, le phénix répand dès ce soir une vague de flammes et de chaos qui consumera chacune de ses proies".

Ce message plus qu'alarmant est-il annonciateur d'autres drames ? Est-ce une vengeance personnelle ? Un coup d'essai ? Un malheureux accident ? Rappelons que la regrettée famille Feniosso faisait partie de la grande famille de la mafia Sicilienne, y'a-t-il un lien ? Je vous laisse avec ces questions et vous retrouve très vite pour un prochain numéro avec je l'espère, des informations complémentaires. C'était..."

J'arrête d'écouter une fois qu'elle a terminé de parler du sujet et me tourne vers Andrea et Amadeo.

— Pourquoi vous paraissez choqués ? Nous savions que ça allait faire du bruit. les interrogé-je.

— En temps normal, quand nous devons régler nos affaires, nous le faisons dans l'ombre et pas en première page. Ce que tu viens d'accomplir n'a aucun précédent. se confie Andrea.

— Pourquoi as-tu appelé des journalistes ? le coupe Amadeo en me foudroyant de son regard froncé.

— J'ai demandé à Luis de les appeler dès qu'il nous géocalisait au manoir Feniosso. Je l'ai fait dans le but de faire du bruit. Ma notoriété tant redoutée sans vraiment de réelles raisons peut maintenant être redoutée sur un vrai fondement. Même s'ils ne savent pas que je suis derrière, rien que le fait que je n'ai pas peur de mettre en une des pages mes agissements, fait de moi un ennemi redoutable. Sur qui on ne peut avoir aucune emprise. Impossible de me menacer de dévoiler ce que j'ai fait car tout le monde le sait déjà mais sans savoir qui est le phénix. Je veux qu'à la simple évocation de l'oiseau de feu, on frissonne, on chuchote, on ait peur. Que chacun se demande où sera la prochaine attaque et qui sera visé. Comme le cancer qui s'installe sans qu'on le sente et qui est invisible, je me suis immiscée vicieusement dans les esprits de chacun pour le grignoter de l'anxiété et de la peur que mon acte suscite. réponds-je avec un calme désarmant.

— T'es vraiment cinglée. répond-il le nez plissé.

— Merci du compliment. Maintenant parlons de toi, qu'est-ce que tu nous as fait hier ? Pourquoi tu as mis notre plan en péril en gardant une information cruciale pour toi ? demandé-je méfiante.

— Je n'ai jamais voulu mettre en péril le plan. J'ai eu l'information au dernier moment quand je l'ai salué. Il m'a dit qu'après la transaction je devais le suivre jusqu'au manoir Feniosso. Je n'ai juste pas eu le temps de vous en informer puisque la minute d'après il était mort.

— Soit et cette remarque sur la domestique ? Amadeo c'est très simple, si ce travail est trop difficile à gérer émotionnellement ou sur le plan moral pour toi tu vires. Oui je vais tuer quiconque est relié de près ou de loin avec la mafia si c'est un problème pour toi dégage sinon je ne veux plus entendre ce genre de remarques. dis-je sévèrement.

— Non aucun problème, tout roule. affirme-t-il calmement en s'enfonçant dans le canapé.

Je n'ai pas le temps de réagir qu'une voix me fait dresser les poils des bras.

— Eh bien eh bien eh bien, c'est une bien jolie caverne pour une veuve éplorée.

La tension qui me saisit accentue la douleur qui électrise mon épaule. Je pivote lentement. La mine fière d'Isabella assombrit alors mon champs de vision.

— Qu'il est plaisant de rencontrer des visages familier ici, dit-elle en regardant Amadeo et Andrea avant de porter son attention sur moi, pourquoi tant de tension dans l'air ?

— Rien qui ne te concerne. Je vois que Yolanda t'a fait part de mon message.

— May pourquoi tu lui as donné ton adresse ? Vous n'auriez pas pu vous rencontrer ailleurs ? intervient Andrea.

Sans détourner son regard du mien, elle répond :

— Elle... Elle ne m'a jamais dit où elle habitait. révèle t-elle calmement comme si elle réalisait chaque mot en les prononçant.

Mes lèvres s'étirent en un sourire face à sa prise de conscience.

— En effet, je voulais vérifier une hypothèse qui est maintenant devenue une certitude. C'est toi qui m'a cambriolé n'est-ce pas ? 

Un simple sourire univoque répond à ma question sans qu'elle n'ait besoin d'en dire plus.

 — Andrea, Andy et Amadeo, vous pouvez nous laisser seules s'il-vous-plaît ?

— M... Mais...

— S'il-vous-plaît. insisté-je.

En silence, une symphonie de bruit de pas s'élève avant de s'éloigner pour disparaître derrière un claquement de porte.

— Vas-y je t'écoute. annonce t-elle en croisant les bras.

— Je veux accéder aux papiers de Raphaël. Plus précisément ceux concernant ses acquisitions immobilières.

Les sourcils levés, le coin de ses lèvres se courbe en un rictus pour laisser échapper un rire contenu.

— Pourquoi tu veux les avoir ?

— Le passé d'Ezio a resurgi sous les traits de Nume. Elle veut que je retrouve sa fille qu'il a enterré il y a des années dans un endroit qu'il était seul à connaître.

— Et que vient faire Raphaël là-dedans ?

— Chaque transaction immobilière d'Ezio passait par lui. Il n'a rien pu acheter sans que son père ne soit impliqué.

— D'accord mais qui te dit que ce cimetière n'est pas à ciel ouvert ? Pourquoi aurait-il acheté un truc pour enterrer le cadavre ?

— Et permettre à ses ennemis de retrouver le corps plus facilement ? Sur une propriété privée les droits compliquent la manœuvre aussi bien pour les mafieux que la police. Il tenait tellement à ce que cet endroit reste inconnu que j'imagine peu l'hypothèse d'enterrer le corps à ciel ouvert, où n'importe qui peut le retrouver, crédible.

— Tu crois que parce qu'il l'aurait foutu dans une propriété privée, ses ennemis se seraient dit " Oh bah merde t'as vu y'a un panneau privé ! On ne peut surtout pas entrer on doit faire demi-tour." Sérieux tu vis dans quel monde ? se moque t-elle.

— Je veux ces papiers, ils me permettront d'avancer en infirmant ou confirmant ma piste. prononcé-je entre mes dents.

— Non. Rien ne me ferait plus plaisir que de te voir échouer.

— Pourtant tu es venue.

— Ne prends pas ma curiosité malsaine pour une preuve de compassion.

— Bon tu ne me laisses pas le choix.

Je fouille dans mon téléphone avant de le lui tendre avec les résultats de l'autopsie affichés.

— Ouais okay et ?

— Son taux de digoxine est au-dessus des normales ce qui veut dire qu'il s'est soit suicidé soit qu'on l'a tué. Ce genre de traitement se prend sur le long terme donc pour quelqu'un de suicidaire ce n'est pas la meilleure option.

— Donc tu me suspectes ? Grand bien te fasse.

— Le stade de la suspicion est dépassé, je sais que c'est toi.

Un rire franc jaillit de sa gorge.

— D'accord alors quelle preuve as-tu ? demande t-elle les bras toujours croisés et le regard dédaigneux.

— Quand je suis venue te voir, tu étais absente alors Yolanda m'a fait entrer en t'attendant.

Je ne finis pas ma phrase que l'incompréhension d'Isabella fronce ses sourcils.

— Quelle garce, échappe t-elle entre ses dents serrées, elle savait très bien que j'étais partie pour un moment.

Mon sourire s'élargit alors que je poursuis.

— Une ennemie au sein de ton propre clan ? Ca fait désordre.

De nouveau ses lèvres s'élargissent en un large sourire qui s'évapore en un rire spontané.

— Passons, vas droit au but May.

— Elle m'a révélé que tu avais tué Raphaël.

Je me tends légèrement en finissant ma phrase. Elle ne me l'a dit qu'a demi mot, pas de preuves, seulement des certitudes gonflées par mon instinct et l'aveu silencieux de Yolanda.

Malgré ses bras croisés, la jointure blanches de ses mains trahissent l'intensité de ses poings fermés.

La mâchoire crispée, le regard noir, elle répond :

— Et tu crois que suite à ses révélations tu vas pouvoir me menacer et me tenir ? Tout ce que ça prouve c'est que tu as enfreint la loi. Tu n'es pas une mafieuse May, tu n'es crains de personne. Tu vas payer plus que je ne paierai si je tombe. Tu as voulu m'avoir mais tu t'es piégée toute seule en m'avouant ton crime sur le cadavre de Raphaël. C'est bien tenté mais tu as oublié quelle place tu occupais. Je te tiens autant que tu me tiens à la différence que si je tombe, je m'en sors et toi non.

— Faire une autopsie sur un cadavre n'est pas un crime.

— Oh ne me prends pas pour plus conne que je le suis. Si tu as pu te débrouiller pour détourner le corps pour faire une autopsie tu ne t'en es surement pas arrêtée là. Je suis sûre que si je demande l'inhumation de son cercueil je trouverai tout sauf son corps en train de pourrir ! Alors passe gentiment le bonjour à Nume de ma part quand vous vous verrez. Profite de tes derniers jours de vie en attendant.

Elle m'adresse un sourire forcé avant de partir sur le même pas discret de son arrivée.

Encore sous le choc de notre entrevue, il me faut quelques secondes pour comprendre ma gaffe en révélant l'information sur Yolanda. Craignant pour sa sécurité, je l'appelle immédiatement. Le répondeur pour seul interlocuteur, et malgré mes tentatives répétées, je n'obtiens aucune réponse. Sans réfléchir davantage, je prends la route, déterminé à vérifier qu'elle va bien.

J'avale les kilomètres à une vitesse qui frôle le mur du son si bien que j'arrive en moins de temps que prévu au manoir Madini.

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