Je le jure - 50

La lumière vacillante des lustres en fer forgé réchauffe la mine austère qui me scrute de ses yeux sévères. Juge d'un autre temps, son regard se rallie à ceux de ses confrères qui tous me toisent de leur air inquisiteur.

Figés pour l'éternité, ils semblent pourtant m'analyser en quête de la vérité. Accrochés aux murs recouverts de boiseries sombres, ces portraits continuent de juger par-delà la mort.

Les fresques baroques qui décorent le plafond illustrent des scènes de la mythologie grecque et romaine, ainsi que des figures emblématiques de la justice, comme Thémis, la déesse. L'audience n'a pas encore débuté et pourtant, couverte de tous ces regards immortalisés, j'ai l'impression d'être en plein jugement.

Stoïque, je ne laisse aucune émotion transparaître alors que mes oreilles se remplissent de tous ce chaos qui fait écho à la tempête qui s'agite en moi. Dans une discorde sonore, les bruits de talons claquant le marbre se percutent au grincement du bois des bancs sur lesquels le public s'installe. Le léger cliquetis métallique me rappelle la présence des deux carabiniers armés debout dans mon dos.

Plus la salle se remplit, plus l'atmosphère solennelle laisse place à une tension palpable. En dépit de la gravité pesante, un léger sourire se dessine sur mes lèvres quand j'aperçois mon avocate. Son expression confiante contraste avec l'inflexibilité de sa tenue. Vêtue de la robe noire traditionnelle aux ornements argentés sur les épaules, elle consulte une dernière fois ses notes avec une concentration intense, prête, je l'espère, à me défendre avec ferveur. En miroir installé à la table en bois adjacente et dans la même tenue que Felicci, se prépare le procureur. Déterminé, il peaufine ses arguments avec minutie pour délivrer un dossier qu'il pense solide et implacable. Mon sourire s'évapore quand je prends conscience de son assurance.

Ce n'est qu'une façade May, tu es innocente, il ne peut rien avoir de bien lourd sur toi.

Par réflexe, ma jambe s'agite et mes doigts jouent avec la bague d'Ezio alors que mes yeux cherchent un signe de soutien parmi le public. Regroupé derrière une balustrade en bois, tous affichent une mine fermée. Certains fuient mon regard quand d'autres le soutiennent. Inquiétude, curiosité et tension règnent en harmonie. Mon anxiété se dissipe quand je rencontre la douceur et le réconfort des yeux d'Andy. Silencieusement elle m'incite à respirer profondément avant de m'assurer que tout va bien se passer. Je suis ses indications puis lui souris. Sourire qui s'évapore de nouveau quand je croise pas surprise ses yeux ténébreux.

Six mois. Six mois que son regard m'évite depuis le soir où je l'ai repoussé. Six mois que cet homme hante mes pensées sans parvenir à l'approcher. Insaisissable, il est l'air qui m'échappe continuellement à travers les doigts. La fierté pour fardeau, nous avons laissé notre égo guider nos pas loin du malaise nous éloignant progressivement.

Assis dans le fond à l'abri de toute attention, il demeure impassible. Sans émotion apparente, il garde les bras croisés mais m'adresse un signe de la tête avec un léger rictus. Son attitude pourtant peu chaleureuse me réconforte et me gonfle d'espoir pour la suite. Malgré notre éloignement, il est là. Peu importe son état d'esprit, mon esprit n'a que la force de l'interpréter comme une preuve de soutien.

L'ouverture des lourdes portes en bois qui résonne dans la pièce met fin aux murmures ambiants et à mon contact visuel avec Enoro. Le juge apparaît alors dans la salle d'audience. Dans un silence où les souffles se retiennent, il se dirige vers sa place, sa robe noire ornée de galons dorés flottant légèrement à chacun de ses pas.

— Veuillez vous lever, la cour est en session. Le juge Umerio préside. annonce le greffier derrière son pupitre.

Sans attendre tout le monde s'exécute. Il prend alors place sur l'estrade en bois sombre, légèrement surélevée, sous un dais en velours rouge. Ajustant son col blanc rigide, il pose délicatement le marteau en bois sur son bureau en chêne massif avant de s'installer. Je découvre alors derrière lui un immense blason en pierre portant les armoiries de la Sicile, encadré par des colonnes corinthiennes.

— Vous pouvez vous asseoir. Greffier, veuillez appeler l'affaire. déclare Umerio.

Dans une symphonie de grincement de bois, nous obéissons. Le marteau dans la main levée du juge attire mon attention. Doucement, il le frappe sur son bureau marquant le début de la session. Le silence retombe, seulement brisé par le léger bruissement des robes noires, le chuchotement discret des spectateurs et les battements intenses de mon coeur.

— L'affaire de May Madini contre l'Etat est maintenant en session. appelle-t-il.

— Les parties sont-elles prêtes à procéder ? demande le juge.

Avocat de la défense et de l'accusation répondent affirmativement.

— L'accusée, May Madini, est inculpée de meurtre au premier degré. Comment plaidez-vous ?

Les jambes tremblantes, je me lève et croise les mains devant moi. Du haut de mon box, j'affirme d'une voix confiante:

— Non coupable, Votre Honneur.

Je me rassieds sans pouvoir détacher mon regard du greffier qui s'active dans sa retranscription. Devenu la neutralité à mes yeux, il est mon refuge dans ce chaos.

— Bien. Procureur vous pouvez commencer avec votre déclaration d'ouverture.

— Merci, Votre Honneur. Mesdames et Messieurs du jury, nous allons prouver que l'accusée, May Madini, a commis ce meurtre de sang-froid. Nous présenterons des preuves irréfutables, y compris des témoignages et des preuves matérielles, qui montreront clairement sa culpabilité.

Mon corps entier se crispe sous son assurance. Mon souffle s'alourdit alors que mon coeur s'emballe. Les mains fixées aux rebords de ma chaise, je tente de me contrôler pour ne rien laisser paraître.

— Merci, Maître Bianche. Maître Filecci, votre déclaration d'ouverture.

— Merci, Votre Honneur. Mesdames et Messieurs du jury, selon l'article 192 du Code de Procédure Pénale italien, les preuves doivent être évaluées dans leur ensemble et les doutes raisonnables doivent profiter à l'accusé. Nous démontrerons que les preuves présentées par l'accusation sont circonstancielles et insuffisantes pour établir une culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. En outre, comme le stipule l'article 74 du même code, l'accusé a le droit de présenter des preuves en défense. Nous vous montrerons des éléments qui prouvent l'innocence de Madame Madini.

La confiance de mon avocate regonfle mon coeur d'espoir. Même si rien n'est gagné, son flegme m'ait d'un grand secours dans le tourbillon de mes émotions.

— Procureur Bianche, vous pouvez appeler votre premier témoin.

— J'appelle le détective Damiano Rapano à la barre. dit-il.

Calmement, le convoqué s'avance jusqu'au greffier.

— Veuillez lever la main droite. Jurez-vous de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ?

— Je le jure.

Il s'installe ensuite à la barre prêt à témoigner.

— Détective Rapano, pouvez-vous décrire ce que vous avez trouvé sur la scène du crime le soir du 22 mai 2025 ?

— Oui, nous avons trouvé les corps de cinq domestiques gisant dans une marre de sang. Tous étaient tués d'une balle dans le cœur. L'arme du crime, un Glock 19, a été retrouvée dans le compartiment de rangement de la moto de l'accusée. Nous avons également retrouvé l'accusée elle-même sur les lieux.

Suite à cette révélation, je scrute le jury. Le cœur battant du procès est constitué de douze citoyens ordinaires. Assis dans un enclos en bois, légèrement surélevé, en face de moi, ils observent avec une attention soutenue, certains prenant des notes et d'autres échangeant des regards discrets. Malgré mes efforts, je ne parviens pas à déchiffrer une seule de leur expression, de véritables statues.

— Merci, détective. Avez-vous trouvé d'autres preuves liant l'accusé à la scène du crime ?

— Oui, nous avons également trouvé des traces de pas de l'accusé sur le sol près du corps des victimes.

Evidemment pauvre con si j'étais sur place.

— Merci, détective. Pas d'autres questions, Votre Honneur.

— Maître Filecci, vous pouvez contre interroger le témoin.

— Merci, Votre Honneur. Détective Rapano, quand vous avez retrouvé ma cliente sur la scène de crime, comment était-elle ?

— Emue. Elle avait l'air bouleversée puis surprise de nous voir.

— Vous qui avez vu de nombreux meurtriers, diriez-vous qu'elle avait l'air d'être l'un d'entre eux ?

— Objection, Votre Honneur. Cette question appelle à la spéculation et demande au témoin de donner une opinion non qualifiée.

— Objection retenue. Maître, veuillez reformuler votre question.

— Ce genre de réaction est-elle commune lors d'arrestations criminelles ?

— Il n'y a pas de règles mais ce genre là est assez rare.

— Et concernant les traces de pas, pouvez-vous confirmer qu'elles ont été laissées au moment du crime et pas après ?

— Non, je ne peux pas le confirmer avec certitude.

— Une dernière question, qui a contacté la police pour signaler le meurtre ?

— Un appel anonyme. Une voix de femme.

— Vous avez pu identifier la personne depuis ?

— Non, malgré nos recherches elle est intraçable et donc impossible à identifier.

— Merci, détective. Pas d'autres questions.

— Le témoin peut se retirer. Procureur, votre prochain témoin. tranche le juge.

— J'appelle maintenant le Docteur Martino à la barre.

Serment prêté, l'homme prend place.

— Docteur Martino, pourriez-vous, s'il vous plaît, expliquer à la cour vos qualifications et votre expérience en criminologie ? demande le procureur.

— Bien sûr Maître Bianche, doctorant en criminologie de l'université de Rome, je travaille depuis deux décennies au service de la police. D'analyste criminel pour les forces de l'ordre Milanaises, je suis passé à consultant indépendant en criminologie pour plusieurs agences gouvernementales et organisations internationales.

— Docteur Martino, pourquoi avez-vous décidé de devenir consultant indépendant en criminologie après tant d'années dans la police ?

— J'ai toujours eu un fort sens de la justice, et après avoir vu tant d'injustices dans le système, j'ai décidé de mettre mon expertise au service de la vérité, indépendamment des contraintes institutionnelles.

— Merci Docteur Martino. Pouvez-vous expliquer à la cour ce que vous avez découvert lors de votre analyse de la scène du crime ?

— Les balles ayant tués les victimes.

— Et avez-vous pu en déterminer l'arme ?

— Un Glock 19 sans l'ombre d'un doute.

— Comme celle retrouvée dans les affaires de l'accusée ?

— Exactement.

— Pouvez-vous nous partager les résultats d'analyse de l'arme en question ?

— En examinant l'arme du crime avec la poudre de révélation, le ninhydrine, des empreintes digitales appartenant à deux individus différents se sont révélées. J'ai donc comparé ces empreintes dans la base de données nationale, l'AFIS. L'une appartient bien à l'accusée, mais l'autre ne correspond pas à ses empreintes.

— Avez-vous pu les identifier ?

— Non. Elles ne sont que partielles.

— Merci Docteur Martino. Pas d'autres questions.

— Maître Filecci, vous pouvez contre-interroger le témoin.

— Merci, Votre Honneur. Docteur Martino, est-il possible que les empreintes digitales de ma cliente aient été laissées sur l'arme à un autre moment, bien avant le crime ?

— Oui, c'est possible, mais il n'y a aucune preuve directe de cela.

— Avez-vous effectué un test de résidus de tir sur les mains de ma cliente ? Et si oui quel en était le résultat ?

— Oui nous avons suivi la procédure et effectué le test qui en est ressortit négatif.

— Et pour ce qui est des traces de pas, en avez-vous trouvé d'autres que celle de ma cliente ?

— En effet. On distingue bien les deux même si elles ne sont pas entières. L'une correspond à une taille 37 et l'autre à du 44.

— En effet la différence est univoque. Et avez-vous pu établir une chronologie dans les empreintes ? Une plus récente que l'autre ou de même âge ?

— Oui. La trace de taille 37 était plus nette, plus définie et plus vive que la 44. Par photogrammétrie, technique qui vise à suivre les changements au fil du temps de l'empreinte par traitement 3D, et analyse microbienne qui aide à dater les empreintes en étudiant les micro-organismes présents, nous avons pu établir avec certitude que l'empreinte de pas 44 était plus vieille de quelques heures que la taille 37.

— Merci, Dr. Martino. Cela démontre clairement que quelqu'un d'autre était présent sur les lieux du crime. Pas d'autres questions.

— Le témoin peut se retirer. Le jury devra prendre en compte ces nouvelles preuves dans leurs délibérations. Procureur, votre prochain témoin.

— J'appelle maintenant, Maria Pernisse, à la barre.

Comme son prédécéceur, la femme prête serment puis s'installe.

— Madame Pernisse, pouvez-vous dire à la cour ce que vous avez entendu le jour du 22 mai ?

— Oui bien sûr. Il était 15h passé quand j'ai entendu des coups de feu provenant du domaine Madini.

— Que faisiez-vous à proximité du manoir ?

— La balade quotidienne de mon chien.

— Avez-vous entendu ou vu autre chose ?

— Non rien du tout.

— Avez-vous vu l'accusé sur les lieux ?

— Pas ce jour là mais quelques jours auparavant oui. Je promenais mon chien le matin cette fois quand je l'ai vu entrer dans le domaine.

— Très bien. Merci, Madame Pernisse. Pas d'autres questions.

— Maître Felicci, votre contre-interrogatoire.

— Merci, Votre Honneur. Madame Pernisse, pourquoi ne pas avoir appeler la police directement ?

La témoin se redresse et me jette un coup d'oeil furtif avant de serrer ses mains devant elle.

— Hmm, je crois que tout le monde ici n'est pas sans savoir les activités criminelles des Madini, ni le monde dans lequel ils évoluent. J'ai pris peur et n'ai pas voulu m'impliquer dans cette histoire par crainte de représailles. avoue t-elle.

— Et pourtant vous êtes là ?

Elle baisse la tête puis la redresse affichant un mine confiante mais pas moins craintive.

— J'étais autrefois employée par les Madini, mais j'ai été renvoyée injustement. Depuis, je connais bien leurs activités criminelles et je craignais pour ma vie. Malgré cela je veux me racheter pour mon manquement et témoigner pour aider la justice à rendre son jugement.

— Merci, Madame Pernisse. Pas d'autres questions, Votre Honneur.

— Le témoin peut se retirer. La cour prend une pause de quinze minutes. Nous reprendrons ensuite avec la défense.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top