Allié ? - 45
Tambour battant, je me précipite dans ma maison à la recherche d'Andy. Je me stoppe net quand je la découvre dans le salon accompagnée d'Andrea, d'Amadeo et d'une parfaite inconnue. Je fronce les sourcils ne comprenant pas ce qu'il se passe puis interroge du regard Andy qui s'empresse de m'expliquer la situation.
— Je te présente Ginevra, ma collègue de vol.
Encore prisonnière de mon stress, je la regarde insistement la sommant d'aller droit au but.
— Bon pour faire court, elle a voulu tuer Franco Abiani. dit-elle rapidement.
Ses mots sont l'allumette qui enflamme mon anxiété. Je pose alors mes yeux sur Ginevra avant de leur demander de tout m'expliquer en détails pour mesurer l'ampleur des dégâts. Andy prend alors la parole.
— Tout se passait comme prévu, chacun dans son rôle sans éveiller de soupçons. C'était sans compter sur l'intervention de miss kamikaze ici présente qui a voulu sortir un flingue. Heureusement, je l'ai vu avant tout le monde et ai pu l'en empêcher avant qu'il ne soit trop tard. Je l'ai fait revenir à la raison tant bien que mal mais le souci est que cette affaire a attiré l'attention d'Abiani. J'ai inventé un prétexte à la con pour justifier nos agissements. Je ne sais pas s'il est assez con pour bouffer du foin mais je crains qu'il n'ait envie de se renseigner sur nous ou du moins il deviendra certainement plus méfiant que nous le souhaitions. résume Andy tendue.
— Ginevra puis-je savoir ce que vous avez contre Abiani ? demandé-je calme et sèche.
— En quoi cela vous concerne ? rétorque-t-elle sur la défensive.
J'arque un sourcil face à son audace.
— Cela me concerne quand il s'agit de ma cible et que tu mets en danger mon plan. De surcroît, te confier à moi te permettra de gagner ma confiance et une alliée de taille dans ta vengeance. Mieux que quiconque je sais ce que c'est que de vivre dans cet état d'esprit, de vouloir plus que tout prendre la revanche sur l'injustice qu'on a vécu. Je suis la personne la mieux placée pour te comprendre et t'aider à mener à bien ton dessein. Si tu veux la jouer perso, pas de soucis je comprends et ce sera tout à ton honneur, par contre tu gagneras une nouvelle ennemie et crois moi, sans vouloir me lancer des fleurs, tu n'as vraiment pas envie de m'affronter.
— Je suis prête à relever le challenge. me défie t-elle
L'atmosphère se tend alors que le silence emplit la pièce. Au bout de quelques secondes, Ginevra se détend et lève la tension pesante qui s'était immiscée.
— Je n'ai pas envie de vous affronter May. Même si le défi est tentant, je préfère me ranger du côté de vos alliés. Si vous êtes arrivée à vous infiltrer auprès d'Abiani sans vous faire prendre, c'est que vous êtes plus redoutable que je ne peux l'être. Quelque chose me dit également que le véritable phénix se trouve sous mes yeux. J'ai certainement beaucoup à apprendre de vous et beaucoup à gagner de vous avoir à mes côtés. Je vais donc vous donner ce que votre curiosité réclame et vous en dire plus à mon sujet mais seulement si vous me promettez une chose.
— Laquelle ?
— Je veux que Franco Abiani meurt de mes mains. Vous pourrez le torturer ou je ne sais quoi mais je veux lui asséner le coup fatal. Je veux sentir sa vie s'échapper de son corps sous les coups de mes poings. Je veux être la faucheuse qui l'enverra dans l'autre monde.
— Aucun problème pour moi. conclus-je sans prendre le temps de réfléchir, en attendant la suite.
Le silence règne à nouveau. Le visage de Ginevra s'assombrit d'un seul coup, les fantômes de son passé refaisant surface. Assommée par l'émotion que ses ombres suscitent, elle part s'asseoir dans le canapé où tout le monde la rejoint sauf moi qui reste debout en retrait pour mieux l'analyser.
Au bout d'un court instant de silence, Ginevra se racle la gorge, chassant l'émotion qui noue sa gorge et entame son récit d'une voix faible.
— Si je veux lui prendre sa vie c'est pour lui prendre ce qu'il a de plus cher. Pas sa famille non il est bien trop égoïste pour se soucier réellement de quelqu'un d'autre que lui, seule sa vie compte pour lui. Tout comme il m'a retiré toute lueur de la mienne, je veux lui ôter la sienne. Je veux qu'il se sente vide, je veux qu'il se sente impuissant et démunis. Je veux voir cet éclair de désespoir zébrer ses yeux. Ce même éclair que j'ai eu lorsqu'il m'a enlevé ce que j'avais de plus cher, ma mère.
A son énonciation, un léger trémolo qu'elle essaie d'étouffer instantanément, s'empare de sa voix.
— J'avais sept ans quand j'ai entendu le nom de Franco Abiani pour la première fois. Sans savoir qu'il allait être la cause de tous mes tourments. Je dois avouer que je n'ai pas toujours détesté à ce point cet homme. Il peut être difficile de le croire mais il a été bon avec nous au début. Il nous a permis pendant un temps d'élever notre confort de vie. Du plus loin que je me souvienne, il n'y a toujours eu que ma mère et moi. Pour nous assurer un toit et à manger, ma mère travaillait jour et nuit, elle passait de petits boulots en petits boulots dans le seul but d'améliorer nos conditions de vie. Sans vouloir prétendre au luxe, elle voulait que nous puissions avoir un appartement digne de ce nom et pas une pauvre pièce unique qui avait plusieurs fonctions. Elle voulait qu'à la place de la soupe quotidienne, nous goûtions à une délicieuse viande. A vrai dire, tout ça m'importait peu car ma mère était tout ce qui comptait pour moi et tout ce que je désirais réellement c'était de passer plus de temps avec elle. Seulement la réalité d'une petite fille est bien loin de la réalité d'une adulte et c'est en grandissant que j'ai compris pourquoi ma mère tenait tant à travailler autant. Alors qu'on vivait un jour de plus dans notre enfer quotidien, maman est revenue plus tôt que d'habitude du travail. Je m'en souviens comme si c'était hier, son magnifique sourire illuminait notre lugubre abri.
En se remémorant ce souvenir, les lèvres de Ginevra s'étendent elle-même en un magnifique sourire franc et une étincelle de bonheur brille furtivement dans ses yeux.
— Elle était fière de m'annoncer qu'elle venait de trouver un nouvel emploi qui était bien mieux payé et qui nous assurerait un meilleur avenir. Nous avons alors réuni le peu d'affaires que nous avions et sommes parties rejoindre une voiture luxueuse qui nous attendait devant notre logement. Imaginez le contraste, une magnifique berline noire flambant neuve garée devant un misérable taudis, c'est tellement pathétique. Nous avons ensuite été conduites jusqu'à un manoir et lorsque nous sommes sorties de la voiture, je me sentais honteuse de ressentir de la jalousie car c'était tout ce que ma mère désirait et tout l'opposé de ce qu'on possédait. Je me suis sentie petite et rabaissée, pourtant souvenez-vous je n'avais que sept ans et à cet âge là on n'est pas censé ressentir ce genre d'émotions. Alors qu'une boule de rage commençait à se former en moi, j'ai tourné les yeux vers ma mère et tout d'un coup, j'ai senti cette boule disparaître. Ses yeux pétillaient d'admiration et de joie, comme si son rêve était devant elle et qu'il se réalisait enfin. Elle était revenue en enfance et de la voir comme ça m'a tout de suite apaisée car elle était tout mon monde. De la voir aussi heureuse ne pouvait avoir qu'un impact positif sur moi. J'ai ensuite compris que notre avenir était dans ce manoir lorsque le chauffeur nous a ouvert la voie et nous a emmené à l'intérieur de la bâtisse, nos valises en main. C'est là que pour la première fois j'ai entendu la voix et le nom de Franco Abiani. Un homme imposant pas tant par sa taille mais par sa prestance, il en imposait et intimidait. Très rapidement il nous a pris sous son aile, il nous a installé, a été très gentil avec nous, très souriant et jamais un mot plus haut que l'autre. Pendant des mois tout se passait bien. Pour être honnête, je ne comprenais pas le nouveau travail de maman. N'allant plus à l'école car les Abiani avaient insisté pour me faire cours à la maison comme pour leurs enfants, je la voyais toute la journée et jamais s'atteler à quelconque tâche qui ressemblait à du travail. Un jour, elle a dû s'absenter sous prétexte d'aller faire des examens médicaux en m'assurant que c'était simplement pour faire un bilan, rien d'alarmant. Elle est rentrée en pleine forme et comme à son habitude, souriante. Après ça tout est revenu à la normale. Une nuit, des bruits sourds et des cris étouffés m'ont extirpé de mon sommeil. Je me suis levée et me suis faite aussi discrète qu'une souris pour aller voir ce qu'il se passait et lorsque je suis arrivée au rez-de-chaussée, j'ai vu ma mère allongée ventre contre terre baignant dans une marre de sang, un homme face à elle et dos à moi. Submergée par les émotions, j'ai commencé à pleurer et à crier "maman". Alertée, elle a tourné sa tête vers moi et m'a imploré d'une voix faible, de me sauver. L'homme face à elle se retrouvait maintenant face à moi et mon instinct de survie a pris le dessus. Je me suis mise à courir du plus vite que je pouvais, m'enfuyant pieds nus en chemise de nuit à travers champs, forêt et route. C'est à ce moment que ma vie de fugitive a commencé. Je suis devenue parano et me cachais, je ne restais jamais plus d'une nuit au même endroit jusqu'à trouver un abri sûr pour entamer une nouvelle vie sous une fausse identité, sous une nouvelle apparence et nourrissant mon sombre désir de vengeance. Evidemment je vous passe les détails de ma vie difficile et de misère. Lorsque j'ai été en âge d'enquêter sur la mort de ma mère, j'ai commencé à risquer ma vie pour en apprendre plus et dessiner mon plan de vengeance. Après de nombreuses années et d'efforts sans jamais rien lâcher, j'ai enfin su ce qui était arrivé à ma mère. Abiani est l'ombre qui fauche les miséreux. Ses jouets préférés ne sont pas les beaux et luxueux des vitrines alléchantes des magasins arrogants, non il préfère ceux des bas quartiers, qui côtoient rats et égouts dont il peut abuser la confiance et manipuler. Derrière ses belles attentions, sa politesse et son sourire de façade, se cache un homme mesquin, digne d'être la main du diable. C'est ainsi que ma mère est devenue sont merveilleux joujou. Il est venu la chercher dans son trou à rat, pour lui promettre mondes et merveilles en échange d'un minuscule service. Tout comme le diable réclame notre âme, Abiani réclame le corps. Maman dans sa détresse se fichait des sacrifices tant que cela m'assurait un meilleur avenir. Alors elle a pactisé avec lui. Elle a accepté d'offrir son corps en échange d'une meilleure condition de vie. Je n'ai malheureusement pas pu avoir une copie du contrat qu'elle a signé pour savoir exactement ce qu'il stipulait mais une chose est sûre c'est qu'il était loin d'être précis et honnête sur le vrai motif. Je ne sais pas ce qu'elle avait en tête ni comment elle a compris la situation, ni si elle savait ce qu'il en retournait mais elle a signé malgré tout. Elle n'imaginait pas qu'elle venait de signer son arrêt de mort car c'est ça que fait Abiani. Il abuse de votre confiance pour arriver à ses fins machiavéliques. Et croyez moi, ses fins sont loin d'être honorables. Finalement ma mère n'avait pour travail que de prendre soin d'elle, de son apparence à sa santé. Sur le coup je ne comprenais pas puis m'est revenu le souvenir des examens médicaux, et là tout s'est éclairé. Tout ça était dans l'objectif de la tuer pour lui prélever ses organes pour alimenter son trafic. Croyez-moi j'ai été aussi choquée que vous de l'apprendre. Nous devons l'arrêter, cela fait quinze ans que ça s'est passé alors imaginez le nombre de femmes qui sont passées par là avant et après nous.
Elle nous laisse tous sans voix à la fin de son récit. Les informations se bousculent dans nos têtes. Choqués par ce que nous venons d'apprendre, nous étions loin d'imaginer un tel drame. Ne sachant pas quoi ajouter ou comment apaiser sa peine, je m'engage sur un terrain connu, celui de la vengeance.
— Tu as raison, nous devons l'arrêter. conclus-je tout en m'avançant vers le salon.
Je prends place devant la table basse pour que tout le monde me voit.
— Je ne sais pas encore comment mais nous parviendrons à nous venger. assuré-je en fixant droit dans les yeux Ginevra.
Sans perdre plus de temps, nous nous attelons à l'élaboration d'un plan. Alors que les idées fusent, nous sommes interrompus par la sonnette de la porte d'entrée. N'attendant personne, je fronce les sourcils et interroge tout le monde du regard qui haussent les épaules ne sachant pas de qui il s'agit non plus. L'appréhension au ventre, je me dirige vers la porte et suis vite soulagée de ne pas voir un homme d'Abiani ou lui-même derrière.
— Enoro ? Que faites-vous là et comment savez-vous où j'habite ? demandé-je en ignorant l'emballement de mon cœur.
Il sort de sa poche mon téléphone et me le tend. Je prends alors conscience de mon oubli.
— Voilà la raison de ma présence, votre adresse est inscrite sur le contrat qui nous lie. éclaircit-il d'un ton sérieux sans détourner ses yeux de moi.
— Merci. Il ne fallait pas vous donner la peine de venir jusqu'ici, je serai venue le chercher par moi-même quand je m'en serais rendue compte. réponds-je en reprenant mon téléphone.
— Qui de nos jours ne se rend pas compte qu'il a oublié son portable? interroge-t-il un rictus au coin des lèvres clairement amusé.
— Avec le temps, vous découvrirez que je suis une femme très surprenante. sourié-je en retour.
— Puisque je suis là, j'aimerai qu'on parle de ce que je voulais vous dire plus...
— May ! Tu nous manques là-bas, qu'est-ce qui te retient si longtemps ? interrompt Amadeo qui se place à mes côtés.
Je n'ai pas le temps de répondre qu'Enoro le fait à ma place.
— Rien j'étais sur le point de partir. claque t-il sèchement contrastant avec sa jovialité d'avant.
Tendu par la présence d'Amadeo, je crois surprendre dans les yeux d'Enoro, un éclat de jalousie aussi vif qu'un éclair zèbre le ciel.
— Mademoiselle Torre, on se revoit au studio. enchaîne-t-il en nous lançant un dernier regard avant de retourner à sa voiture.
Je le regarde s'éloigner alors que je ravale ma déception tout en fermant la porte. Je chasse vite mes émotions pour retrouver une attitude neutre face à mes partenaires de crime.
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