Téméraire ou cinglée ?

Son ton grave éveille mon appréhension qui grandit à mesure que je me redresse. Sa mine sévère accentue les battements de mon cœur qui incarnent les mauvais présages de mon instinct. Tel le maillet frappant le gong, il répand les ondes d'alarme qui ricochent dans tout mon être. La peur au bout des lèvres, j'articule d'une voix maîtrisée:

— Et alors?

En laissant le silence s'installer, il se lève et commence à faire les cent pas.

— C'est hors de question que je te laisse faire, c'est bien trop dangereux. Il ne peut pas te demander ça. s'oppose-t-il en brisant le silence de sa colère.

Pendue à ses lèvres, je me rends compte que je retiens mon souffle en attendant que le couperet tombe. Sa réponse, loin d'être celle espérée, ne fait qu'accentuer ma peur mais aiguise également mon impatience. Loin d'aimer tourner autour du pot, je déteste encore plus quand on me fait languir. Malgré l'impatience qui me consume, je me contiens et le rejoins pour lui prendre le visage entre mes mains.

— Il n'y a pas d'autres choix Ezio, si je ne le fais pas je ne pourrai pas intégrer la mafia et me venger. tenté-je de le raisonner.

— Alors épouse moi.

Malgré la tension qui charge l'air, sa réponse m'arrache un rire. Furtif, il est un éclat de délivrance qui me permet d'extérioriser toute cette armée de sentiments qui me gardait prisonnière. Aussi rapidement qu'il m'est venu, je me calme avant de répondre :

— Tu es très fort ! Pendant une seconde j'ai cru que tu étais sérieux. répliqué-je le sourire encore teinté de mon rire.

— Je suis sérieux May. Nous sommes bien plus que deux inconnus. Tu m'as sauvé la vie. J'ai eu un coup de foudre pour toi cette nuit-là et quand on s'est retrouvé six ans plus tard, j'ai ressenti la même chose. Rien n'a changé, il est peut être tôt pour le dire mais je suis sûr de moi et des mes sentiments. Je t'aime May.

Mon sourire s'évapore au fur et à mesure que ses mots s'enchaînent. Je comprends alors que sa demande n'est pas une blague et qu'il est sincère. Ses paroles se matérialisent en une arme avec laquelle il me menacerait.

Abasourdie, je recule alors que mon corps se transforme en volière où les sentiments volent, s'envolent et se percutent dans tous les sens. Dans toute cette bataille où attirance, coeur, raison, peur, surprise et j'en passe font rage, tout ce que j'arrive à faire est de m'asseoir sur le lit, impassiblement muette. Au bout de quelques secondes où mon cerveau reprend les commandes, je rassemble mes esprits et face au visage d'Ezio assombri par l'incertitude, je dévoile le fond de ma pensée.

— Je... Whoa je ne m'attendais pas à ça. Ne te méprends pas, je t'apprécie beaucoup. Je partage ton attirance et je ressens quelque chose pour toi mais je n'en suis pas à ce stade. Si on doit se marier, ce ne sera pas dans ce genre de circonstances ou pour ce genre de raisons. J'aime à croire que nous passerons le reste de nos vies ensemble mais pas comme ça. Je sais que tu es là pour moi, que tu veux me protéger mais c'est une vengeance personnelle que je dois affronter alors je dois prendre mes responsabilités. Je te suis sincèrement reconnaissante de vouloir m'épargner les plans de ton père mais comprends mon refus et mon besoin de vous prouver que je suis à la hauteur de vos exigences. Permet moi d'y arriver par mes propres moyens. Ce ne serait que repousser le problème que de t'épouser car je devrais forcément affronter ce genre de situations en étant ta femme. Alors laisse moi me battre pour ma vengeance, sois à mes côtés si tu le souhaites mais ne me barre pas la route car je parviendrai à mes fins quoi qu'il en coûte.

Navrée, je retiens mon souffle sachant pertinemment que le cœur d'Ezio ne sortira pas indemne de cette conversation. Impassible, les mains dans les poches, il soupire et baisse la tête. Dans un élan de réconfort maladroit, je m'approche de lui et lui relève la tête. Je plante mon regard dans le sien et l'embrasse tendrement en espérant que ce baiser aspirera les maux de son cœur.

Je pose ensuite mon front contre le sien et lui murmure :

— Dis moi ce que je dois faire s'il-te-plaît.

Main dans la main, il m'emmène sur le bord du lit où nous nous asseyons.

— Tu te rappelles du chef de gang dont je t'ai parlé ? Celui qui nous échappe inlassablement ?

— Oui.

— Il s'appelle Leone Razanno, son gang s'adonne à des activités illégales, évidemment, et méprisables. C'est pour ça entre autres que nous voulons l'arrêter de nuire.

— Tu entends quoi par activité méprisable ?

Je sens alors son corps se tendre malgré sa volonté de le cacher. Il se racle ensuite la gorge avant d'enchaîner.

— C'est un proxénète.

— Hum okay et j'interviens quand dans tout ça ?

— Le plan de mon père est le suivant. Tu dois l'approcher et arriver à lui soutirer l'information de qui est la taupe avant de le tuer.

— Quoi ? réponds-je en laissant les mots sortir tout seuls de ma bouche.

— Je te l'ai dit c'est très dangereux et c'est en partie pour ca que je ne veux pas que tu le fasses.

— En partie ? Pourquoi c'est quoi le reste ?

— Leone est le genre d'homme à tester la marchandise avant de la mettre sur le marché. Ça veut dire qu'il va vouloir te baiser avant de conclure un contrat avec toi.

Les mots que je redoutais sont lâchés. Ses paroles me percutent avec la force d'une meute de chiens enragés enfin libérés de leur cage. Silencieuse, je mène une bataille intérieure pour ne pas laisser ma panique me submerger. Alors que je suis animée de l'envie de pleurer et de m'enfuir en courant, les paroles d'Ezio me reviennent en mémoire :

" La mafia l'a tué... Une vie pour une vie... Ta grand-mère a toujours tenu le coup, jamais elle n'a cédé, elle était forte et d'une sagesse rare."

Galvanisée par ce souvenir, je donne un coup fatal à ma panique, réduisant son feu ardent à de simples braises. En dépit de l'acceptation partielle de ma mission, ma raison me pousse à envisager une autre option avant de me résigner totalement.

— Y'a pas d'autres moyens de le tuer ou de l'approcher ?

— Crois moi ça fait des années qu'on essaie. Comme je te l'ai dis, il nous échappe à chaque fois. Nous n'avons pas pu tenter ce genre d'approches avant car nous n'avons aucune femme assez cinglée pour accepter.

— Je préfère téméraire à cinglée. mentionné-je pour le faire sourire sans y parvenir.

— Je te dis ça et toi tu rigoles ! Est-ce que t'as conscience de ce que je te dis ? De la gravité et des conséquences que ça peut avoir ?

— Oui Ezio j'en ai conscience, ce n'est pas en rire qui va me tuer. Désolée c'était nerveux je ne sais pas du tout comment réagir à tout ça c'est comme si mon corps et mon esprit n'assimilaient pas l'information.

— C'est ce que je pensais, c'est une très mauvaise idée !

— Laisse-moi le temps de digérer tout ça mais je le ferai, j'y arriverai.

— Tu n'as pas le temps pour ça, tu dois agir ce soir. Leone est à son club pour faire son choix et tu devras y être. Et c'est ce soir que Leone devra mourir.

Son annonce ravive les flammes de ma panique dont l'extinction n'était qu'illusion. Paralysée par son joug, j'inspire et expire longuement essayant de calmer les battements assourdissant de mon cœur sur le point de sortir de ma poitrine.

Délicatement, je sens Ezio se rapprocher de moi et me caresser le visage puis les cheveux. Étonnamment, son contact libère le calme qui vient petit à petit étouffer les flammes qui me consument.

— Comme je te l'ai dis tu n'es pas obligé de le faire, on peut éviter ça.

— Je sais mais ce n'est pas une option pour moi. Je dois y arriver et mériter cette place sinon jamais ton père ne m'acceptera ou jamais je serais légitime aux yeux de ta famille.

Il me dépose un baiser sur la joue puis le lit se soulève légèrement.

— Je te laisse tranquille. Je pense que tu as besoin de temps seule, viens me trouver dès que tu seras prête et nous parlerons des détails. 

La porte fermée sur ma solitude, je relâche toutes mes émotions refoulées. Mes larmes coulent sans que je puisse les arrêter. Le pouls battant à tout rompre, je sens un sentiment étrange naître dans mon ventre. Le pressentiment d'un point de non retour. Après ce soir, rien ne sera plus pareil. Je ne serai plus la même personne. Comme un torrent, les questions et pensées affluent dans tous les sens.

Pourrais-je me regarder de nouveau dans un miroir ? Suis-je vraiment prête à tuer cet homme pour une simple vengeance ? Et si c'était le moment de tout arrêter, de prendre mes jambes à mon cou, de m'enfuir sans jamais revenir et de commencer une vie ailleurs. Ils te traqueraient encore et encore. Les Condore ne s'arrêteraient pas à une frontière, une mer ou un océan et toute ta vie tu serais fugitive jusqu'à ce qu'ils te retrouvent et que tu doives là aussi commettre un meurtre.

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