Le Militaire

Plantée devant le corps de Valentina, le canon encore chaud du revolver dans mes mains me rappelle inlassablement la scène de sa mort. Étouffées par le bruit de la détonation qui se répète en ricochet dans mon esprit, je perçois péniblement les voix autour de moi.

— Sortons de là , mes hommes vont s'occuper du reste et vous mesdemoiselles que ça vous serve de leçon, personne ne trahit les Madini. avertit Raphaël d'un ton calme et serein comme si rien ne s'était passé, avant de quitter la pièce.

Délicatement, je sens les mains d'Ezio se poser sur mes bras puis me dire d'une voix calme et basse:

— Allez viens ne t'infliges pas cette vue davantage, partons d'ici.

Il me guide jusqu'au hall d'entrée. Ne supportant plus le contact de l'arme qui ronge ma peau de sa noirceur, je m'en débarrasse sur le guéridon au milieu de l'entrée.

Lors du trajet aucun mot n'est échangé, l'ambiance est lourde et pesante tous deux perdus dans nos pensées.

Une fois rentrés, je m'affale sur le canapé la tête dans mes mains tremblantes, bouleversée. Lorsque je ferme les yeux, ce sont ceux de Valentina qui s'ouvrent pour me transpercer de leur sincérité. Ne supportant pas de les voir davantage, j'ouvre rapidement mes paupières.

Délicatement, je sens Ezio s'asseoir à mes côtés et me caresser le dos.

— Et si elle était innocente ? Si nous l'avions exécutée par erreur ? parviens-je à articuler, un trémolo dans la voix.

Je lève ensuite mes yeux mouillés vers ceux d'Ezio. D'une main, il guide ma tête contre son torse puis m'enlace. Je me sens soudain en sécurité. Une chaleur réconfortante s'empare de moi. Je laisse alors mes larmes couler sans arriver à les retenir plus longtemps.

— Elle avait les appels tracés dans son journal, la preuve était là. répond-il pragmatiquement.

Je renifle et me calme avant de me redresser.

— Et si elle avait été piégée comme elle nous l'a dit ? Elle semblait tellement sincère je l'ai lu dans son regard. Elle savait qu'elle allait mourir pourquoi ne pas avoir dit la vérité alors ?

— J'en sais rien May. Tout ça s'est enchaîné si vite qu'il est difficile de réfléchir dans ces moments-là. Nous ne laissons jamais la place au doute sinon on perd vite notre crédibilité. On se doit d'agir vite et sans sentiment. Les preuves étaient là. Elle a certainement dû voir en toi une opportunité de s'éviter la mort en te manipulant.

— Avec du recul tu ne trouves pas ça bizarre qu'elle ait soigneusement pris la précaution d'appeler en masqué mais de ne pas supprimer les appels de son journal ? Alors que c'est la preuve de sa trahison ?

— Tu ne connaissais pas Valentina, c'était une très bonne mafieuse sur le plan physique. Lors d'altercation elle faisait preuve d'une grande agilité, force et avait de très bons réflexes. Mais sur le plan intellectuel tout ne se connectait pas forcément et c'est possible qu'elle ait pu agir de cette manière.

— Honnêtement, t'en penses quoi toi ?

Ezio soupire et place ses coudes sur ses genoux le regard dans le vide.

— Honnêtement ? Je ne sais pas. La présence de ces appels dans son téléphone est troublante. Là où je te rejoins c'est qu'elle avait l'air sincère et que c'est très rare que les traîtres ne profitent pas de cette occasion pour nous cracher toute leur haine à la gueule. C'est ce comportement qui me fait douter. Mais alors si elle a été piégée, par qui et comment ?

— Nous pourrions peut-être en parler à ton père seulement ?

— Impossible jamais il ne remet en question ses actes ou paroles et encore moins devant une novice comme toi. Sur ce coup-là nous devons faire alliance seulement nous deux et enquêter discrètement.

— J'aime quand tu parles de collaboration exclusive, souligné-je en souriant et en lui donnant un coup d'épaule, ce qui le fait sourire à son tour. Es-tu déçu que je n'ai pas tiré sur Valentina ? Pour toi cette réticence sonne comme un manque d'investissement de ma part ?

— Pas du tout, je suis même fier de toi. Malgré la pression tu as su réfléchir par toi-même et faire ce que tu pensais être le mieux. Le destin de Valentina était dans tous les cas scellé mais je suis content que tu n'ais pas appuyé sur la détente. Ça prouve que tu es réfléchie et que tu sais remettre en question un jugement qu'il soit de toi ou non et suivre ton instinct. C'est très important pour devenir une bonne mafieuse à mon sens. C'est ce qui fait défaut à mon père et qui causera sa perte. Il n'avoue jamais ses torts et quand bien même il se trompe ce n'est pas sa faute. Il voit tout le monde comme des pions sur l'échiquier de son pouvoir. Mais pour moi il se trompe. Etre un bon mafieux c'est savoir être indulgent quand la situation le demande, comme tout à l'heure, il aurait très bien pu l'épargner le temps de réunir d'autres preuves accablant Valentina mais non il a agit sous la colère et l'impatience mais ca peut l'amener à payer le prix fort. Surtout si, comme tu le penses, il s'est trompé, ça signifie que le traître court toujours et qu'il a une longueur d'avance sur nous. Pour mon père, il n'y a plus de raisons de chercher un traître maintenant qu'il est mort. C'est une faute grave et pleine d'orgueil de sa part. C'est pour ça que l'indulgence, la clarté d'esprit et la remise en question sont trois grandes qualités chez un chef mafieux.

— Tu seras un grand chef respecté Ezio je n'en doute pas. Tes hommes te sont déjà très fidèles.

— C'est à double tranchant l'indulgence tu le sais ? Si tu l'es trop tu n'es pas craint et si tu ne l'es pas assez tu deviens comme mon père. Être indulgent ne veut pas dire ne pas être impitoyable quand il le faut. Tu dois savoir trouver le bon équilibre pour inspirer la peur et la crainte chez les gens en même temps que le respect.

— J'ai encore beaucoup à apprendre mais avec le meilleur des professeurs ça devrait aller. souris-je taquine.

Il sourit à son tour, me prend ma joue et m'embrasse. Enlacés dans les bras l'un de l'autre, nous restons près du feu quelques instants.

— On devrait aller se coucher, demain je dois aller au studio pour bosser.

— A vos ordres madame je vous suis.

Le lendemain matin je me réveille seule dans le lit. Préparée, je retrouve Ezio dans la cuisine.

— Salut ma belle, bien dormi ?

— Impec' je suis bien reposée et toi ?

— A tes côtés toujours. me répond-il sur un ton taquin.

— Allez viens prendre le petit dej.

— Désolée mais je suis déjà en retard. Je te prends juste ça et ça et je file.

Pressée, je l'embrasse et pars avec mon carburant, un pancake et une petite bouteille de jus d'orange.

— Mais attends ! Tu ne peux pas partir seule, laisse-moi t'accompagner.

— Je vais juste au studio, je vais prendre un taxi comme je le fais toujours et tout se passera bien. Ne t'en fais pas je reviens vite ! lançé-je depuis l'ascenseur.

Une fois en bas de l'immeuble je reçois un appel, Ezio. Je décroche.

— Je te manque déjà ?

Je l'entends sourire puis répondre:

— Oui mais ce n'est pas pour ça que je t'appelle. Prends le taxi privé déjà garé sur la place en face de toi, c'est un de mes hommes. Je comprends ton désir d'indépendance mais fais moi cette faveur et accepte d'être conduite par quelqu'un de confiance s'il-te-plaît.

Je me retourne et regarde en direction de l'appartement d'Ezio sachant pertinemment qu'il m'observe depuis sa fenêtre.

— A vos ordres chef. accepté-je en souriant tout en faisant le salut militaire.

— Merci, et ne pense pas trop à moi en travaillant. me taquine-t-il.

Je ris, lui souhaite une bonne journée puis raccroche. Je me dirige vers la voiture d'où le chauffeur en sort pour m'ouvrir la porte. C'est un homme musclé et grand, une armoire à glace, il a les cheveux bruns rasés de près et est imberbe.

Un vrai militaire.

— Bonjour mademoiselle May, je suis Salvatore et dorénavant je serai ravi de vous conduire où vous le désirez. se présente-t-il.

Je souris.

— Enchantée et merci pour tout Salvatore. Vous ne serez pas obligé de me tenir la porte à chaque fois. Être mon chauffeur est déjà bien au-delà de mes espérances.

Il hoche la tête puis ferme la porte derrière moi.

— Où puis-je vous conduire Mademoiselle May ?

— Au studio d'enregistrement du centre ville s'il-vous-plaît et appelez moi May ça suffira. déclaré-je en souriant.

— Alors on est parti May.

Le début du trajet se fait silencieusement, trop occupée à regarder mes notes dans mon carnet de chansons pour faire la conversation, jusqu'au moment où un détail m'interpelle. En apparence anodin, ce n'est que quand Salva répond au téléphone que je relève la tête et me rend compte qu'en plus du portable qu'il tient à son oreille, un deuxième repose sur le support prévu à cet effet. Détail encore plus troublant, celui inutilisé est le même modèle que celui de Valentina, simple coïncidence ou non, la piste reste intéressante à creuser. L'esprit préoccupé par cette découverte, sans m'en rendre compte, je toise de soupçons le chauffeur à travers le rétro central. Sa conversation terminée, il raccroche puis me surprend en train de le fixer.

— Tout va bien May ?

Le son de sa voix m'extirpe de ma réflexion et me fait prendre conscience du malaise que mon regard fixe suscite en lui.

— Oh oui oui pardon j'étais ailleurs.

Ma réponse le soulage en apparence mais je remarque discrètement ses regards furtifs en ma direction à travers le rétroviseur. Alors que nous laissons le silence retomber quelques instants, un objet blanc dissimulé sous le siège devant moi attire mon attention. Je me baisse pour le récupérer et découvre une carte vierge d'un côté et de l'autre une petite note manuscrite sous la trace transposée de lèvres maquillées :

" Tu me manques déjà,

Valentina."   

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