Bonnie and Clyde


Les yeux fermés, la tête relevée en direction du ciel et les mains posées sur la rambarde en pierres de la terrasse du restaurant, je profite une dernière fois des rayons chauds du soleil sur ma peau. La douce mélodie des vagues s'évanouissant sur les rochers valse dans mes oreilles alors que mes narines se parfument de ces senteurs d'été que seule la Sicile nous offre. De longues secondes s'écoulent avant que je n'ouvre enfin les yeux pour tenter de capturer ce magnifique paysage une dernière fois.


Soudain, l'écho des vagues se dissipe pour laisser place à celui d' une voix chaude et masculine.


— Il n'y a pas de hasards, il n'y a que des rendez-vous.


A l'écoute de ces paroles je me retourne sachant qui les avait prononcées six ans plus tôt sans arriver à y croire. Pourtant, une fois face à lui, le déni m'est impossible. Cette cicatrice que je reconnaîtrais entre mille pour m'avoir hantée chaque nuit depuis ce fameux soir, est là, bien là devant moi et non pas une énième torture de mon esprit pour me punir de mon acte. Le coeur sur la main, mon empathie m'avait guidé sur le chemin de la science pour venir en aide et non pas blesser. Même s'il s'agissait d'un acte de protection, je ne me suis jamais vraiment pardonnée mon geste envers Ezio.


Née d'une fraction de seconde de peur, elle grave à jamais mon passage dans sa vie et m'ancre dans la réalité du moment.


Parcourue d'un frisson, je me perds dans le magnétisme de ses iris sans parvenir à m'en détacher. Je n'entends plus les voix qui m'entourent, le temps s'arrête et ma respiration devient saccadée.


Devant cet homme vieilli de quelques années, ma peur d'antan laisse place à la surprise et au charme de sa beauté indéniable. Ses cheveux blonds, courts sur les côtés et plus long sur le dessus, mettent en valeur ses yeux bleus dont l'intensité et la profondeur sont égales à mes souvenirs. Son rasage de près souligne sa mâchoire carrée et masculine. Enivrée par l'odeur ambrée de son parfum, je ne peux que prendre conscience qu'il est bien là, debout devant moi armé de son arme fatale: son sourire.


Le cœur sur le point d'exploser, je parviens tant bien que mal à balbutier un mot :


— Ezio ?


Son prénom meurt sur mes lèvres à mesure que son sourire s'agrandit. Encore étourdie par sa présence j'entends à peine ce qu'il me dit.


— Tu n'es pas ravie de me revoir May ? demande-t-il avec un sourire enjôleur.


— Je... Je... C'est que je ne m'attendais vraiment pas à te revoir un jour ni n'en n'avais honnêtement l'envie. admis-je les joues empourprées.


— Tu as encore peur de moi ?


— Plutôt des problèmes que tu pourrais apporter.


Ma réponse étire ses lèvres en un sourire pincé accompagné d'un hochement de tête. Je ne sais pas à quelle réaction il s'attendait de ma part mais ses mains dans les poches et son air penaud me donnent l'impression que ce n'est pas ce qu'il espérait.


— Laisse-moi te payer un verre pour me faire pardonner et te remercier pour m'avoir sauvé. propose-t-il.


— Tant de générosité ! Franchement ça me gêne. ironisé-je.


— Tu préfères que je te kidnappe et que je te force à m'épouser ? sourit-il.


— Non c'est bon, un verre est largement suffisant. rétorqué-je en lui rendant son sourire. Piquée par la curiosité d'en savoir plus sur lui, j'ignore ma petite voix intérieure qui me crie de fuir et le suis.


Une fois attablés nous commandons, une bière pour lui et un virgin mojito pour moi. Assis l'un en face de l'autre, je ne laisse pas le temps au silence de s'installer.


— Alors tu as survécu ? Bravo ! Tu as l'air de t'être remis à merveille de tes blessures.


— Ouais même pas une égratignure enfin pas plus que quand je t'ai quitté. déclare t-il en effleurant sa cicatrice à la pommette tout en souriant.


A ces mots je rougis et détourne le regard. Je m'éclaircis la gorge et enchaîne.


— Désolée pour ça, je le regrette sincèrement.


— Tu n'as pas à l'être. Tu t'es protégée c'est normal, tout le monde en aurait fait autant. Et j crois que ta main a eu de belles séquelles aussi. dit-il en jetant un coup d'oeil à ma paume zébrée que je referme aussitôt.


J'esquisse un sourire avant de changer de sujet trop mal à l'aise à l'idée du mal que je lui ai infligé.


— Alors que fais-tu ici ? De nouveaux problèmes auxquels échapper ?


— Pas du tout c'est ma ville natale je suis là en visite et pour affaires mais rien d'aussi dangereux que la dernière fois.


— Rassurant, tu es devenu un homme plus raisonnable alors ?


— Je ne pense pas que "raisonnable" me caractérise mais j'aime à croire que quelqu'un pense ça de moi. rétorque t-il en souriant.


Nous continuons de discuter, d'échanger sur nos vies pendant des heures. J'apprends qu'il est homme d'affaires dans une entreprise familiale, impossible d'avoir plus de détails, il esquive aisément les questions trop intrusives. Qu'il habite en Sicile et que sa vie tourne autour de son boulot. Jamais il n'aborde la cause de notre rencontre cette nuit-là et quand j'essaie d'évoquer le sujet, son attitude devient vite énigmatique, son visage se ferme. Sans doute un fantôme du passé trop difficile à affronter.


— Bref et toi ? Félicitations pour ton parcours !


— Oui merci, ça n'a pas été facile du tout et le chemin était semé d'embûches. Grâce au soutien de Nonna et ses paroles qui ne m'ont jamais quitté, j'ai réussi mon objectif de percer dans la musique et devenir chanteuse. Mes parents m'ont définitivement renié mais c'est certainement mieux comme ça. réponds-je un brin de nostalgie dans la voix.


— Ah la famille c'est parfois un boulet qu'on doit se traîner au pied... D'ailleurs mes condoléances pour ta grand-mère, ça a dû être une perte tragique pour toi.


La simple réminiscence de Nonna ravive la vive douleur de sa mort brutale. Matérialisées en la lame froide et tranchante de la faux de la Mort, ses condoléances transpercent mon cœur qui se rétracte de la souffrance qui se répand dans tout mon corps. Alors que le souffle me manque et que les larmes commencent à naître, je prends une gorgée de mon verre qui me permet de ravaler mes larmes en même temps que ma boisson. La diversion pour tromper mon esprit ayant l'air de marcher, je me reprends et me concentre sur notre conversation.


Ses mots encore à l'esprit, je fronce légèrement les sourcils, interloquée qu'il sache pour la mort de Nonna mais garde mon masque invisible pour ne pas trahir ma surprise.


— Oui ça l'a été. Ce restaurant dans son ancienne demeure lui ait un hommage. Elle adorait la vie, entendre les rires et voir les gens partager un moment de bonheur, c'était tout ce qui comptait pour elle. Alors quand le directeur du restaurant m'a demandé s'il pouvait transformer sa maison en ce lieu convivial j'ai accepté. De là où elle est, elle doit être fière et heureuse de voir son ancienne maison continuer de vivre ainsi.


— Je comprends et l'enseigne « Chez Nonna » est un bel hommage.


— Oui complètement... Mais attends je ne t'ai jamais parlé de sa mort comment t'es au courant ?


 Un terrible pressentiment se forme dans mon estomac quand soudainement, des coups de feu retentissent.

Ne comprenant pas tout de suite ce qu'il se passe, je regarde autour de moi. Il fait maintenant nuit, nous sommes seuls sur la terrasse.

Enfin nous l'étions.

De mes yeux écarquillés, je scrute l'un des trois hommes s'appuyer de ses deux paumes sur la table, s'interposant entre Ezio et moi. L'effroi me saisit et envoie des décharges à mon cœur qui accentue considérablement ses battements quand je remarque l'arme qu'il porte à sa ceinture faisant écho à celles qui se trouvent dans les mains de ses acolytes restés en arrière.

Tout en déglutissant, je détourne les yeux sur Ezio qui n'a pas l'air surpris mais confiant ce qui me perturbe davantage. Mon appréhension s'accentue quand je découvre l'arme qu'il tient fermement dans sa main droite posée en évidence sur la table.

— Les gars ne faites pas quelque chose que vous allez regretter. avertit Ezio d'un ton calme à glacer le sang.

— Reste en dehors de ça c'est elle qu'on veut. rétorque l'homme en plantant ses yeux injectés de haine dans les miens.

Je n'ai pas le temps de réaliser ce qu'il vient de dire qu'un coup de feu retentit. Le canon d'Ezio encore fumant de son tir, il fait valser la table d'un revers de main. Enracinée à ma chaise, je le laisse me tirer par le bras tandis qu'il tire quelques coups de feu pour nous couvrir.

Au pas de course, nous traversons la terrasse. Les balles fusent autour de nous. Par chance, Ezio est rapide, il esquive et arrive à riposter en les blessant. Dans un mouvement bref, il me fait monter sur le muret de la terrasse.

— Grimpe ! m'ordonne-t-il.

Je m'exécute aussi rapidement que possible et monte sur le toit de la maison jumelée. Malgré mon habileté, mes chaussures à talons glissent sur les tuiles. Je me retrouve alors à plat ventre sur le toit tandis qu'un des gars me vise et tire.

Dans mon malheur, il tire avec son bras blessé. Devenu moins fiable à cause de la douleur, il me loupe. Je profite de ce moment pour ôter rapidement mes chaussures puis cours aussi adroitement que possible sur les toits accompagnée d'Ezio qui me couvre.

Tels Bonnie et Clyde, nous fuyons à grandes enjambées sous le clair de lune qui nous métamorphose en ombres fugitives.

Après quelques mètres, nous arrivons au bout de l'enfilade de toits et sautons sur ceux en escalier pour réduire la hauteur de notre ultime saut avant d'enfin atterrir sur la terre ferme.

Accroupie, je me relève hors d'haleine avant de remarquer que nous sommes au plein cœur du centre ville où les oiseaux de nuit virevoltent de bar en bar. A mon plus grand soulagement et malgré notre apparition étonnante, personne ne nous remarque, tous trop concentrés sur leur verre ou leur conquête d'un soir.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? soufflé-je.

Pour seule réponse, Ezio s'empare de son arme et braque la terrasse d'un bar en demandant les clés d'un des Vespa garés vers la fontaine centrale. La réaction ne se fait pas attendre. Un homme tend d'une main tremblante ses clés en ajoutant :

— C'est le gris garé en face, par pitié épargnez-moi j'ai une famille. implore-t-il larmoyant.

Sans faire dans les sentiments, Ezio les lui arrache des mains avant de prendre la mienne. J'ignore le point de côté pulser au même rythme que la douleur sous mes pieds et me laisse entraîner au pas de course vers le Vespa.

Au même moment, résonne la voix caverneuse et haletante d'un de nos ravisseurs. Je me retourne et découvre avec un affolement dissimulé, les trois gars arriver sur la place courant dans notre direction. Nous accélérons le pas et arrivons enfin à la fontaine mais une fois devant, nous nous rendons compte qu'il n'y a pas une mais deux Vespa gris.

Hâtivement, nous tentons de démarrer le premier mais pas de chances c'est le mauvais. Nous nous précipitons vers le second mais les gars nous rattrapent. L'un d'eux me prend par derrière me bloquant les bras sous les siens. Je me débats aussi fortement que je peux agitant mes jambes pour contrebalancer les poids et essayer de le déséquilibrer mais il est bien trop balèze. J'essaie alors de me concentrer pour remonter mon pied dans ses parties et le faire lâcher prise. Un coup de pied plus tard, j'entends un hurlement de douleur et me libère de l'emprise bestiale.

Face à moi Ezio bien plus à l'aise se bat avec un gars, l'autre étant déjà à terre. Un coup de poing, un coup de genou, un coup de pied et le troisième homme est à terre. On se précipite alors sur le deuxième Vespa gris et nous enfourchons notre destrier. Ezio démarre en trombe échappant à mon ravisseur qui se relève douloureusement tout en tirant sur nous.

S'ensuit une course folle à travers les rues escarpées de la ville. Ezio conduisant à toute vitesse, du moins aussi vite qu'un scooter nous le permet. Il prend les escaliers, les ruelles étroites. Rien ne l'arrête, pas même les passants au milieu des rues qui se jettent sur les côtés pour échapper à la furie. Au bout d'un certain temps nous arrivons à sortir de la ville.

Dans un souci de discrétion, il quitte la route principale pour conduire dans des chemins de terre. Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons devant une vieille bâtisse en ruine. Ezio arrête le moteur, réduisant au silence le vrombissement du Vespa, laissant la nuit noire au ciel étoilé regagner son calme apparent. Nous descendons du scooter puis il part le cacher dans une partie de la bâtisse adjacente qui s'apparente à une grange.

— C'était quoi ça ??! m'exclamé-je.

— Viens ne tardons pas à l'extérieur ils pourraient vite nous repérer ! ordonne-t-il d'une voix mesurée en me prenant par le bras avant de me guider à l'intérieur d'un pas rapide.

Une fois à l'abri, d'un coup sec, je me libère de son emprise.

— Pas besoin d'escorte je pouvais très bien rentrer seule. pesté-je énervée.

— T'allais pas assez vite. déclare t-il calmement sans me quitter des yeux.

— Est ce que maintenant tu peux m'expliquer ? C'est quel genre d'entreprise familiale pour qui tu travailles ? Et pourquoi c'est moi qu'ils veulent ?! enchaîné-je les questions affolée.

— C'est compliqué.

— Compliqué ?! Tu m'as embarqué là-dedans tu pourrais au moins avoir la décence de m'expliquer !

Malgré son apparente réticence, il soupire, résigné, avant de parler.

— La famille Madini tu connais ?

— De nom. Je sais que plus tu les évites mieux tu te portes. Ou plus longue sera ta vie, au choix comme disait Nonna.

— Eh bien prépare ta tombe alors car tu es dans la merde jusqu'au cou depuis que tu as aidé l'un d'eux à se cacher et à guérir.

— Tu ne veux pas dire qu...

— Si je suis Ezio Madini, un mafieux pur sang. révèle t-il en me coupant la parole, les yeux balayant autour de nous.

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