Chapitre 66 • Signification (Partie 1/2)
- Je sais ! m'exclamé-je, fière de moi. Il s'agit d'un Phénix, n'est-ce pas ?
Fier de moi lui aussi, Simon me tape dans la main pour me féliciter. Comment ai-je pu ne pas y penser plus tôt ?
- Tu comprends vite, mais il faut t'expliquer longtemps. (Il me charrie à nouveau, suite à quoi je lui tire la langue.) Est-ce que tu connais la légende qui lui est associée ?
- Dans les grandes lignes, avoué-je. Comme tout le monde, je sais qu'il renaît de ses cendres.
Assise face à mon petit ami, je tente de me souvenir de ce que je sais d'autre de la bête fantastique tatoué dans son dos, mais rien de plus que ce détail ne me vient à l'esprit.
- Je vais te la faire courte parce qu'il existe des dizaines d'histoires toutes différentes les unes des autres à son propos. Elles dépendent des religions et des mythologies selon lesquelles on se base mais il s'agit quoi qu'il en soit d'un oiseau de feu, noble et sacré. Il n'en existe qu'un seul dans le monde, qui régénère ses forces par le feu tous les 500 ans. Pour cela, il se fabrique un nid en haut d'une montagne afin d'être isolé de tout, puis il l'embrase grâce à ses plumes. Il brûle ainsi pendant trois jours, jusqu'à ce qu'il ne soit plus que des cendres, c'est alors qu'un nouveau Phénix jaillit de ces dernières.
Je l'observe avec une certaine admiration pendant que je l'écoute attentivement me raconter cette légende dont je ne connaissais que le résumé. Bien que fascinée par les paroles qui sortent de sa bouche, je ne peux qu'essayer de faire le lien entre celles-ci et son histoire personnelle. Je suppose que Simon a été détruit par son passé, ou plutôt les personnes qui en ont fait parti, et c'est à ce sujet que je m'apprête à lui poser de nombreuses questions qui j'en suis certaine vont l'embarrasser.
- Tout à l'heure, tu as admis que la signification de ton tatouage concernait tes parents, commencé-je. Qu'ont-ils fait pour te réduire en cendres, Simon ?
Sa mâchoire se contracte à cause de la dureté de mes paroles, même si elles ne sont que le reflet de la vérité. Un silence pesant s'installe une longue minute, pendant laquelle je commence à douter du fait que j'en apprendrai plus sur le passé de Simon ce soir, mais il me surprend en prenant une grande inspiration avant de se lancer dans la description de son enfance torturée.
- Mes parents se sont rencontrés il y a 22 ans, dans un bar réputé du centre-ville. Ma mère y chantait chaque samedi soir et grâce à ses prestations elle était en quelque sorte devenue la star du quartier, tous les habitués la connaissaient. C'est lors d'une de ses prestations que mon père a eu le coup de foudre pour elle. Il est entré dans ce bar par hasard et, au premier regard, en l'entendant chanter Pour que tu m'aimes encore de Céline Dion, il a su que c'était la femme de sa vie. À partir de ce jour, il est donc revenu tous les week-ends suivants pour applaudir ma mère sur scène, jusqu'à ce qu'elle accepte un rendez-vous avec le fidèle supporter qu'il était depuis plusieurs mois déjà. (Simon secoue la tête en lâchant un ricanement.) Difficile de croire qu'une histoire qui commence aussi bien puisse ne pas continuer sur la même lancée, hein ? Quoi qu'il en soit, suite à ce rencard tout est allé très vite entre eux. Ma mère est rapidement tombée amoureuse de cet homme qui la complimentait sans arrêt et la soutenait à poursuivre ses rêves de carrière musicale, au point qu'ils n'ont pas attendu longtemps avant de s'installer ensemble. Il était un vrai gentleman à l'époque, l'homme parfait que n'importe quelle femme aurait rêvé d'avoir. Mais environ un an après le début de leur relation, le masque qu'il portait en permanence a commencé à se fissurer, jusqu'à tomber complètement.
Il marque une pause, pendant laquelle il baisse les yeux sur ses mains désormais moites.
- C'est-à-dire ? le poussé-je à poursuivre d'un ton doux.
- Les actes de mon père se sont révélés être ceux d'un manipulateur pervers, communément appelé pervers narcissique, avoue-t-il dans un soupir. Les personnes atteintes de cette pathologie sont égocentriques et accordent une grande importance au regard des autres et à l'image qu'elles renvoient, c'est pourquoi elles plaisent à absolument tout le monde au premier abord, mais leur personnalité parfaite en public n'est qu'un leurre. Leurs victimes entrent dans un cercle vicieux de dévalorisation d'elles-mêmes parce que c'est en écrasant les autres que les manipulateurs pervers se sentent supérieurs, ils utilisent les gens pour se valoriser. Par exemple, mon père est au fil du temps devenu un jaloux maladif, au point d'interdire à ma mère de continuer à se produire sur la scène du bar dans lequel ils se sont rencontrés, sous prétexte que tous les hommes présents ne la félicitaient que pour réussir à l'avoir dans leur lit. Sauf qu'il ajoutait à ça que c'était en partie à cause d'elle, parce qu'elle s'habillait avec des vêtements trop moulants ou encore qu'elle chantait des chansons trop ambigües. Évidemment, il lui affirmait qu'il faisait ça pour elle afin qu'elle ne passe pas pour une femme frivole auprès des gens, et d'autres absurdités de ce genre qui sont parvenues à la convaincre. Il pouvait aussi être méchant verbalement de temps à autres, en prononçant des phrases blessantes telles que si elle commençait à se faire connaître c'était juste parce qu'elle était belle et non pour son talent de chanteuse. Mais les remarques négatives comme celle-ci sont arrivées progressivement, il n'en plaçait une que par-ci et par-là à l'époque, restant la plupart du temps l'homme idéal pour lequel elle avait craqué.
Mon petit ami se mord la lèvre, comme si ce qu'il s'apprêtait à dire était dur à prononcer à haute voix.
- Ma conception était un accident, alors le jour où ma mère lui a annoncé qu'elle était enceinte de moi, il a pété les plombs contre elle. Les pervers narcissiques ont besoin de tout contrôler, que ce soit les gens ou les situations, alors quand l'un ou l'autre leur échappe, ils s'énervent plus vite et plus fort qu'une personne normale. Je ne sais pas si c'est parce qu'il n'était pas prêt à devenir père, qu'il voulait garder sa femme que pour lui ou qu'il avait peur du changement qu'un enfant allait occasionner dans sa vie, mais il est entré dans une colère noire en lui hurlant qu'elle devait avorter, en l'accusant de l'avoir piégé en arrêtant de prendre la pilule, ou même en lâchant que de toute façon il se pouvait que ce « batard » ne soit pas de lui. (Il mime les guillemets, m'informant qu'il ne fait que retranscrire les paroles abjectes de son père.) C'est à partir de cette dispute que ma mère a compris qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas chez lui. Elle a préparé un sac avec quelques-unes de ses affaires, elle est allée squatter le canapé d'une de ses amies en attendant de pouvoir retourner à sa vie de célibataire, et elle a pris rendez-vous pour un avortement dans la semaine qui suivait, sauf qu'il a refait surface ce jour-là. Il s'est confondu en excuses, prétextant avoir été pris au dépourvu. Il a mis sa réaction sur le compte de la surprise, en lui assurant qu'il avait eu le temps de s'accommoder à l'idée qu'ils attendaient un enfant depuis leur dispute et en lui promettant qu'il ferait tout son possible pour être le meilleur père du monde après ma naissance, parce qu'elle portait en elle le produit de leur amour. Même si elle savait que quelque chose clochait en lui, ses sentiments était encore assez puissants pour prendre le dessus sur ses doutes. Et malheureusement, c'est comme ça qu'il est parvenu à la récupérer, elle et moi par la même occasion.
Bouleversée par l'histoire qu'il est en train de me raconter, je tends la main pour la poser sur la sienne. Il lève un regard plein de tristesse vers moi, et je sers ses doigts entre les miens pour lui donner la force de continuer.
- À nouveau, il a revêtit le masque de l'homme parfait, mais cette fois-ci pour se racheter une conduite auprès d'elle. Pendant les neuf mois de sa grossesse, et pendant les premières années de ma vie, tout est revenu à la normale. Du moins en grande partie, dans le sens où il continuait tout de même à lui lancer quelques piques négatifs de temps à autres, lui faisant perdre un peu de sa confiance en elle, et où il n'avait de cesse de la priver de certaines formes de liberté au fur et à mesure, en disant toujours que c'était pour son bonheur. Pour ne citer que ça, il lui répétait qu'elle n'avait pas besoin de travailler vu qu'il gagnait assez d'argent et qu'elle aurait davantage de temps pour s'occuper de moi si elle restait à la maison, jusqu'à ce que bien sûr elle cède puisque d'après lui ça faisait d'elle une bonne mère. Comme toutes les victimes de ces personnes, elle se faisait manipuler dans le sens où il l'éloignait de tout le monde afin de ne l'avoir que pour lui au final. Le problème, alors que normalement ça aurait dû être une bonne chose parce que ça arrive rarement, c'est qu'elle a commencé à s'en rendre compte. Les manipulateurs pervers se font passer pour la victime à chaque dispute, selon eux aucune d'elles n'est de leur faute, et ils font ainsi toujours culpabiliser l'autre personne. C'est ce détail qui a été déclencheur pour ma mère. (Imperceptiblement, il se met lui aussi à serrer ma main.) Les victimes ayant tendance à se remettre en question tout le temps, puisqu'elles ont l'habitude de se faire critiquer pour d'autres détails, elles se mettent à peser leurs mots afin d'éviter une engueulade, mais ça n'a pas été le cas de ma mère. Il n'a jamais réussi à la faire culpabiliser d'être qui elle était, et donc il n'est pas parvenu non plus à la changer. Elle n'avait pas peur d'entrer en conflit avec lui, alors quand il lui mettait tout sur le dos mais qu'il était en tort aussi, elle lui tenait tête. Elle a en quelque sorte commencé à se rebeller, et notre maison est devenu un véritable champs de guerre. Leurs altercations sont devenues journalières, ils se sont mis à se crier dessus pour tout et n'importe quoi. J'ai même entendu ma mère le menacer de s'enfuir avec moi un jour, mais il lui avait juré que s'il la retrouvait après ça, il engagerait les meilleurs avocats de la ville afin de réclamer ma garde exclusive. Elle était coincée avec lui, et par conséquent moi aussi. Je me suis retrouvé au milieu de leurs querelles d'adultes auxquelles je ne comprenais rien sans l'avoir choisi. J'ai grandi dans cette ambiance pesante et malsaine, en entendant les personnes qui m'avaient mises au monde se parler comme elles ne l'auraient jamais dû, surtout devant leur enfant. Ma mère avait tendance à me raconter tout ce qu'il se passait mal dans leur couple. En même temps, il l'avait mise à l'écart de ses amis, ses collègues et même sa famille pendant certaines périodes, alors elle n'avait que moi à qui se confier. Mais elle n'aurait pas dû le faire à ce point parce que du coup j'ai toujours été conscient de la souffrance psychologique que mon père lui infligeait. Elle était la personne que j'aimais le plus au monde, alors ça m'a détruit de l'intérieur au fil des années, et je suis même devenu incapable d'éprouver la moindre forme d'amour pour mon propre père. Ma mère en était consciente, c'est pourquoi elle m'autorisait à passer tout mon temps libre chez mon oncle et ma tante, dont je t'ai déjà parlé, ceux qui gardaient Izzie quand ses parents travaillaient. Pour moi c'est eux qui m'ont élevé, ils ont été le pilier dont j'avais besoin à cette période où tout se cassait la gueule. Je leur serais toujours reconnaissant, pour l'amour qu'ils m'ont donné en devenant les parents bienveillants dont les miens n'ont jamais tenu le rôle. Anne et John étaient au courant pour leurs problèmes de couple, mais ils n'avaient pas connaissance de l'ampleur que ces derniers ne cessaient de prendre. Je n'étais pas un enfant bavard, je ne m'ouvrais pas facilement aux autres, même à ma famille je n'avais pas l'habitude de lui dire ce que je ressentais, donc je ne leur ai jamais parlé explicitement de la violence morale que subissait ma mère, surtout que mon oncle était le frère de mon père et qu'il ne se doutait pas du comportement tordu de son ainé, mais je l'ai regretté un soir de juillet.
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Comme je l'avais déjà fait pour le chapitre 55, j'ai décidé de couper celui-ci en deux aussi à cause de sa longueur et je posterais l'autre moitié demain soir si cette partie atteint les 200 votes avant !
J'espère que vous êtes touchées par l'histoire de Simon et de ses parents. Contrairement à la plupart des livres de ce genre, j'ai préféré traiter la violence psychologique et non physique en ce qui concerne le passé du personnage masculin.
Quelque part, je tente également de faire de la prévention contre les relations toxiques, dont pas mal de youtubeuses comme Horia par exemple se sont mises à parler ces derniers temps. N'hésitez pas à aller voir sa vidéo à ce sujet, c'est important d'être informées !
Charleen,
XO
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