Chapitre 34 • Au gymnase

Les filles de ma classe et moi venons de rentrer dans les vestiaires du gymnase pour poser nos affaires avant notre séance de handball. Les conversations se multiplient au fur et à mesure que les gens affluent dans la pièce. Alors que certaines se rendent dans la salle attenante pour se changer, Charlie et moi discutons des musiques que nous écoutons en ce moment. Je lui dis que les nouvelles chansons d'Ed Sheeran, notamment "Shape of you", sont devenues les morceaux préférés de ma playlist quand Izzie s'approche de nous.

- Salut, nous fait-elle d'un ton contrarié.

Elle fait une drôle de tête, mais je ne lui demande pas pourquoi. En effet, elle vient de faire un regard noir à une fille qui s'aspergeait de déodorant au moment où elle passait derrière elle.

- Prête pour transpirer en courant après une balle ? la taquiné-je.

- Toujours ! me répond cette éternelle sportive. Je viens te voir parce que j'ai besoin que tu me rendes un service.

Étant donné qu'elle me dit sa phrase avec une totale sérénité, je ne m'inquiète pas vraiment de ce qu'elle s'apprête à me demander.

- Bien-sûr, accepté-je sans le connaître. Lequel ?

- Jay veut passer l'après-midi avec Andréa car le truc qu'il y a entre eux n'avance pas assez vite à son goût, explique-t-elle. Du coup il veut avoir son numéro.

J'hésite un instant à lui donner. Ça ne doit faire que deux semaines qu'ils se tournent autour et il s'impatiente déjà. Décidément, il fait honneur à sa réputation de coureur de jupons. Après tout, mon ancienne meilleure amie doit elle aussi avoir hâte que les choses sérieuses commencent enfin.

- Il n'y a pas de souci. (Je sors mon téléphone de l'une des poches de mon sac avant de le lui tendre.) Sers-toi.

Elle me remercie en le saisissant. Tandis qu'elle commence à fouiller à l'intérieur en se rendant dans la liste de contacts, j'ai un sursaut de panique. Je me souviens avoir enregistré le numéro de Simon dans mon répertoire après la conversation houleuse que nous avons eu la veille parce que je parlais avec Elliot. Heureusement, le prénom d'Andréa est l'un des premiers sur la liste et Izzie ne devrait avoir aucune raison de descendre aussi bas que la lettre S.

- Merci pour lui, répète-t-elle. Je veillerai à ce qu'il te ravaude ça.

Elle me rend mon portable avant de repartir vers le banc où se trouvent ses affaires en me faisant un clin d'œil. Généralement, je préfère demander la permission de la personne concernée pour donner son numéro. C'est la première fois que je ne le fais pas mais je ne ressens aucune once de culpabilité. Pourquoi en ressentirais-je, d'abord ?

Notre professeur de sport aux tenues toujours colorées nous appelle depuis le couloir, hurlant qu'il est temps de nous échauffer. Les filles de ma classe sortent du vestiaire au compte-gouttes, la motivation n'étant présente chez aucune d'entre nous en cette heure de la matinée.

- Il faut que j'aille aux toilettes, dis-je à l'oreille de Charlie alors que nous marchons jusqu'au terrain. Si la prof remarque mon absence, dis lui que j'arrive.

Elle accepte, non sans me reprocher au préalable de l'abandonner volontairement pour échapper à quelques minutes d'entraînements, ce que je ne nie pas le moins du monde. Je fais demi-tour en bousculant certaines de mes camarades au passage, puis je me rends dans les toilettes réservées aux filles de ce gymnase.

Une fois sortie de la cabine, le reflet que je vois de moi dans le miroir en me lavant les mains ne me satisfait pas. J'ai horreur du sport, notamment parce que les habits adéquats ne sont pas les plus élégants. Mon legging noir à rayures et mon large tee-shirt blanc duquel dépasse ma brassière ne représentent pas mon style vestimentaire habituel. Dans l'optique de rendre le tout plus harmonieux, je décide de me faire une queue de cheval. Je penche la tête en avant, rassemble mes cheveux plutôt haut sur ma tête et les attache à l'aide de l'élastique toujours présent autour de mon poignet. Alors que je me redresse pour vérifier si le résultat de ma coiffure est potable, ce que je remarque dans le miroir me fait sursauter. Je me retourne à la vitesse de l'éclair quand je vois le reflet d'une personne que je ne connais que trop bien derrière moi.

- Tu m'as fait peur ! l'engueulé-je en posant une main sur mon coeur.

Le regard que Simon porte sur moi est intense. Il ne rit pas de ma réaction ou ne me fait pas de moquerie à ce sujet. Au lieu de ça, il ferme la grande porte de la pièce derrière lui et hausse les épaules en me lançant une phrase qui présage le début des hostilités.

- C'était le but.

Un peu déconcertée par la façon qu'il a de se comporter avec moi, je fais le choix d'engager la conversation.

- Qu'est-ce que tu fais là ? lui demandé-je. Tu n'as pas cours ?

- J'ai déjà fini, se contente-t-il de me répondre. Je suis ici parce je sais que la classe d'Izzie a sport à cette heure-ci, et que tu n'as pas suivi les conseils que je t'ai donné hier.

Son expression est très sérieuse, ce qui ne me rassure pas. Je devrais déjà être en cours depuis cinq minutes, et je sens que mon temps de retard ne va pas cesser de s'allonger si la discussion prend cette tournure.

- Sans le vouloir si, puisque je ne lui ai parlé que le temps de la récréation.

Je ne sais pas pourquoi je lui réponds si gentiment. Il n'a simplement pas l'air dans l'optique de monter dans les tours, et je ne veux pas qu'il change d'avis et commence à péter un cable.

- Pourtant, tu n'as pas mangé avec nous hier midi, constate-t-il. Tu étais avec lui, n'est-ce pas ?

Apparemment, mon plan pour lui montrer que ma vie ne tourne pas autour de la bande à fonctionner, peut-être même un peu trop bien.

- Non, avoué-je. Et même si c'était le cas, qu'est-ce que ça peut te faire ?

Au début, il semble soulagé, mais la suite de mes paroles le raidit aussitôt. Je remarque que les muscles de ses épaules se tendent sous le tissu moulant de sa veste en cuir.

- Je ne l'apprécie pas, crache-t-il, donc je ne veux pas qu'il se rapproche des gens de mon entourage.

Évidemment, c'est la raison à laquelle je pensais. Je serais presque convaincue de ne plus lui parler si la haine qu'il a envers lui était justifiée.

- Tu me fais tout un cirque pour une table de la cantine ? l'interrogé-je, ahurie. Je pourrais te comprendre mais il m'a raconté ce qu'il s'est passé entre vous et c'est ridicule de ne pas l'apprécier pour ça.

- Bien-sûr que ça serait ridicule si c'était à cause de ça, avoue-t-il d'un ton plein de sarcasme. Je me fous de ce genre de trucs futiles !

Je hausse les sourcils, lui demandant silencieusement pourquoi il a été violent avec Elliot lors de son premier jour s'il se fiche de ce qu'il a fait.

- Tu te rappelles quand tu m'as dit que je renvoyais l'image d'un connard ? (Je hoche la tête, même si je ne vois pas où il veut en venir.) Obtenir cette réputation a été un travail de longue haleine, ce pour quoi je me dois de l'entretenir.

Je savais que Simon n'était pas le mec sans coeur qu'il prétend être, mais qu'il me l'avoue comme ça de but en blanc me touche. Je ne connais pas les raisons qui l'ont poussé à vouloir se bâtir une telle réputation auprès des étudiants de La Sidoine, mais j'imagine que sa stratégie est la bonne puisqu'il est le plus respecté d'entre tous. Je décide de ne pas rentrer dans un débat sur les conséquences que peuvent avoir les rumeurs sur une personne maintenant. Jusque-là, il semble tout à fait capable de gérer les inconvénients de la popularité qu'il s'est sans doute donné du mal à gagner.

- Donc tu es en train de me dire que tu n'as rien contre lui ? demandé-je avec l'envie de faire retomber sa colère.

- Oui, dit-il. Enfin, non. Il s'est quand même permit de me répondre.

Immédiatement, je saisis la perche qu'il vient de me tendre pour dévier la conversation vers un terrain moins glissant que celui qu'elle empruntait.

- Je te signale que moi aussi, je le fais.

Je hausse les épaules d'un air nonchalant, en espérant qu'il n'y voit que du feu. Il lève les yeux au ciel pour me signifier que ce n'est pas la même chose.

- Oui, concède-t-il. Mais c'est un jeu qui s'est installé entre nous.

Il n'a pas complètement tort puisque le proverbe "Qui aime bien châtie bien" illustre notre relation. On prend tous les deux plaisir à se lancer des piques à longueur de journée, ce qui n'est pas le cas de ses rapports avec Elliot.

- Je rêve ou tu essaies de changer de sujet ? réalise-t-il en plissant les yeux dans ma direction.

- Il n'y a rien de plus à dire sur Elliot, décrété-je en croisant les bras sous ma poitrine.

Une sorte de rictus se forme au coin des lèvres de Simon, dont je ne connais pas la raison avant qu'il me la dise dans la foulée.

- Alors comme ça la Princesse s'appelle Elliot ? ricane-t-il. C'est bon à savoir.

Je ne peux m'empêcher de rouler des yeux à l'entende de sa moquerie. Je devine qu'il le surnomme de la sorte à cause de la façon BCBG qu'il a de s'habiller et de sa coiffure fixée au gel.

- La Princesse, comme tu le dis si bien, ne s'est jamais montrée méchante envers moi, affirmé-je d'un ton tranché. Contrairement à certains.

Il encaisse le pique que je lance à son égard avec calme. J'imagine que c'est parce qu'il possède déjà une réponse à celui-ci, et je ne me trompe pas.

- Justement, me répond-il. Tu te ferais chier avec un gars comme ça.

Je hausse un sourcil, étonnée d'entendre de tels mots sortir de sa bouche. Est-ce qu'il insinue qu'il me faut un petit-ami comme lui ? Je secoue la tête pour éloigner cette pensée de mon esprit, puis je me souviens de sa précédente réplique.

- Qu'est-ce que tu veux dire par "C'est bon à savoir" ? le questionné-je. Je te préviens, tu n'as pas intérêt de lui faire quoi que ce soit.

Je suis on ne peut plus sérieuse. S'il s'avise de toucher à un seul de ses cheveux, il peut me bannir de son cercle d'amis. Je refuse de côtoyer des personnes dont la méchanceté est gratuite.

- Moi ? m'interroge-t-il avec un ricanement. Ne t'en fais pas pour ça, je n'aurais même pas besoin de me salir les mains.

La condescendance avec laquelle il prononce sa phrase me déplaît. Comment ose-t-il dire ce genre d'horreurs ? Une minute, il est le garçon adorable envers moi qui me fait craquer, et la seconde d'après il se comporte comme le pire des enfoirés.

- Tu le ferais passer à tabac juste parce qu'il t'a contredit une fois ? m'indigné-je.

- Non, lâche-t-il. Mais parce qu'il a tenté de me prendre ce que j'ai deux fois.

Je fronce les sourcils de manière exagérée, ne comprenant pas du tout où il veut en venir. Qu'est-ce qu'il raconte ? À part l'histoire de la table de la cantine, Elliot n'a jamais essayé de... Je réalise de quoi il parle en une fraction de seconde, ce qui me laisse pantoise.

- Attends. (Je me pose une main sur le front, dépassée par la scène qui est en train de se jouer.) Ne me dis pas que tu parles de moi, là ?

Je pris intérieurement pour que mon imagination me joue des tours. Malheureusement, il me confirme que ce n'est pas le cas à l'aide des mots "Bien-sûr que si".

- Tu es un grand malade ! m'énerve-je contre lui. Je ne t'appartiens pas !

Je n'arrive pas à croire qu'il pense une chose pareil. Je ne suis pas un jouet et il ne peut pas choisir les personnes à qui il accepte de me prêter. Alors que ma colère contre lui ne cesse de croître au fur et à mesure que je me rends compte de ce que ses paroles impliquent, il fait quelques pas vers moi.

- Peut-être pas toute entière, me susurre-t-il en avançant tout doucement. Pas encore, mais presque.

Lui et sa voix sensuelle se rapprochent dangereusement de moi, me faisant perdre la totalité de mes moyens. À cet instant, le comportement qu'il adopte est loin d'être celui d'un ami.

- C'est dans tes rêves, ça.

Je lui lance avec amertume mais la proximité de nos corps diminue la conviction du ton que j'emploie.

- Arrête, m'ordonne-t-il fermement. On sait tous les deux qu'une part de toi est à moi depuis vendredi soir.

J'en reste bouche bée, à tel point que je sursaute au moment où mon dos se cogne contre le rebord des lavabos qui se trouvent derrière moi.

- Si tu penses que tu m'obtiens avec un seul baiser, tu te trompes.

Je tente de garder la face, de ne pas lui montrer qu'il a raison et que je me suis abandonnée à lui. Son regard me transperce davantage que tout à l'heure, si c'est possible.

- Celui-là en valait dix, tu n'es pas d'accord avec moi ?

Oh que si, je le suis. Dès qu'il commence à me poser sa question, je sens que l'une de ses mains se pose sur ma hanche, à l'endroit exact où elle s'est posée lors de notre baiser.

- Ça ne suffit pas, me contenté-je de répondre en levant la tête pour le regarder dans les yeux.

La sensation de sa main sur mon corps à travers le tissu fin de mon tee-shirt me rend pantelante. Heureusement que les lavabos sur lesquels je m'appuie me servent de support parce que je ne me sens pas capable de tenir debout.

- Est-ce que tu serais en train de me demander de t'embrasser une seconde fois ?

Je vois qu'un léger sourire se glisse sur ses lèvres et qu'une lueur moqueuse s'est installée dans ses yeux. Il faut vraiment que j'arrive a réfléchir correctement pour ne pas dire des choses dont il se servirait contre moi.

- Pourquoi ferais-je ça ? essayé-je de lâcher avec nonchalance. Tu as dit que tu ne rendais pas deux fois service à la même personne.

Je lui rappelle les méchancetés qu'il m'a dites hier midi quand nous étions entourés de nos amis. Il me faisait passer un message, et je veux qu'il sache que je l'ai enregistré.

- Je peux faire une exception à la règle, me souffle-t-il.

À la seconde où son insinuation passe la barrière de ses lèvres, il me saisit par les hanches et m'assois sur la partie de marbre qui sépare les vasques entre elles. Je laisse échapper un cri de surprise tandis qu'il se place entre mes jambes.

- Tu as aussi dit que c'était une erreur, trouvé-je la force de soupirer.

Je le regarde dans les yeux pendant que mes mains vont se placer sur ses épaules. Le cuir de son blouson glisse sous mes doigts lorsque le bout des siens me caressent la cuisse.

- C'est vrai. (Il attrape ma nuque à l'aide de sa deuxième main, ce qui fait redoubler les battements de mon coeur.) Mais qu'est-ce que j'aime en faire...

Alors qu'il prononce cette dernière phrase en regardant mes lèvres avec envie et en approchant mon visage du sien, je ferme les yeux. Je veux profiter un maximum de ce second baiser qu'il s'apprête à m'offrir, mais sa bouche ne vient pas se joindre à la mienne.

Perdue au milieu de tous les sentiments que je ressens à ce moment précis, je décide de rouvrir les paupières. À ma grande surprise, Simon s'est éloigné de moi et un sourire des plus malsains habille ses traits.

- À quoi est-ce que tu t'attendais ? me demande-t-il en riant. Tu devrais savoir que je ne suis pas du genre à partager.

Mes joues s'empourprent en l'entendant se moquer de moi. Il n'est pas sérieux, là ? Je n'arrive pas à croire qu'il m'ait séduite dans le seul but de me faire la leçon à propos de Elliot ! Ce garçon est décidément trop doué pour que je le défis sans être punie en retour.

- Tu n'es qu'un enfoiré ! lui crié-je.

Je le pousse violemment pour ôter ses sales pâtes de mon corps, ce qui me fait par la même occasion descendre de la place où j'étais assise.

- Je sais, assure-t-il en marchant à reculons. Mais si tu me traites comme un pion, je me dois de te montrer comment on joue.

Il hausse les épaules en souriant de toutes ses dents, faisant redoubler mon énervement à son égard. Au moins, cette petite entrevue m'aura montré une nouvelle facette de sa personnalité. Le côté jaloux et possessif de ce mec qui prêtant être sans coeur.

- Au fait, me dit-il en posant la main sur la poignée de la porte. J'aime que tu te penches devant moi quand tu portes ce legging, mais je préférais que tu le fasses sans.

Il me lance le regard le plus lubrique qu'il ne m'ait adressé jusqu'à lors, avant de se retourner et de passer la porte de la pièce sans que je ne puisse répondre. D'un autre côté, je ne saurais quoi dire après une réplique aussi salace que celle-ci.

Pour le moins perturbée par les minutes qui viennent de s'écouler, je décide de me rafraîchir avant de retourner en cours de sport. Tout en le faisant, je ne peux me retenir d'insulter intérieurement Simon pour son comportement. Il n'avait pas l'intention de m'embrasser, dès le début de notre entrevue, mais il a voulu me faire croire le contraire jusqu'à la dernière seconde. Il m'a manipulé pour se venger de moi, et il a réussi en beauté.

Alors que je me sèche les mains, la porte s'ouvre de nouveau pour laisser apparaître la chevelure rousse de Charlie dans l'embrasure.

- Qu'est-ce que tu fabriques là-dedans depuis tout ce temps ? m'engueule-t-elle. Dépêche-toi de venir, ils sont déjà en train de constituer les équipes.

Je me regarde une dernière fois dans le miroir, tentant d'oublier la scène humiliante qui vient de se dérouler dans cette pièce. Déterminée à ne plus y penser, je lève les bras pour resserrer la queue de cheval que je me suis faite tout à l'heure et dont la confection a fait tant d'effet à Simon.

- Je suis prête.

*****

Alors, que pensez-vous de la fin de la scène dans les toilettes du gymnase ? Vous croyez que Éla devrait se venger ou pas ? 😉

Pour toutes les répliques, je me suis mise en tête de les faire honnêtes l'un envers l'autre. Simon ne cache pas ce qu'il pense d'Elliot et Éla expose ses craintes par rapport au baiser.

Pour l'anecdote, j'ai écrit le brouillon du chapitre sur une feuille alors que j'étais en cours de maths. L'inspiration arrive n'importe où, c'est étrange !

En parlant de ça, bonnes vacances à ceux qui le sont. Moi, il me faut attendre deux semaines car Lyon fait partie de la dernière zone...

Charleen,
XO
💋

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