Chapitre 18 • Mise au point

- Étrange, n'est-ce pas ? Tu ne l'apprécies pas alors que tu es semblable à Pénélope. (Il reprend la parole comme si je n'étais pas là, les yeux rivés sur la route.) La seule nuance est que toi je ne te baise pas, mais on peut encore y remédier.

Je me retiens de lui mettre ma main dans la gueule, littéralement. Simon pense que tout est permis, mais il se met le doigt dans l'œil. Je n'accepte pas que lui, ou qui que ce soit d'autre, me manque de respect.

- Tu n'en as pas eu l'audace, quand même ? m'écrié-je, sidérée. Tu ne peux pas me dire ça, espèce de connard !

Il me fusille du regard, puis il ralentit la voiture. Simon se gare sur le côté et je ne réalise pas ce qu'il se passe, jusqu'à ce qu'il pète un cable.

- Je sais que mon image est celle d'un connard mais est-ce que toi, tu as conscience de ce que tu es ? (Il plonge ses yeux dans les miens, et il m'achève.) Tu es la petite fille chérie qui n'a que des bonnes notes. Tu fais la fierté de ta famille avec ton parcours scolaire mais il n'est pas nécessaire car un chèque permettrait ton inscription dans une école prestigieuse. J'imagine que dans les habitudes de ton père se trouve celle de te passer sa carte de crédit pour que tu achètes des vêtements de marques. Tu préfères attendre le mariage avant de perdre ta virginité parce que tu es une coincée qui ne profite pas de son adolescence comme elle le devrait. Je suppose que tu joues du violon, ou je ne sais quel autre instrument de musique, et que ta mère est présente à chacune de tes représentations pour te soutenir avec ses applaudissements. Tu te penses mieux que les autres puisque tu habites dans une maison qui contient des œuvres inutiles et que le véhicule qui appartient à tes parents coûte plus de sous que la maison de certaines personnes. (Il marque une pause, avant de mettre un terme à son discours.) Voilà ce que tu es, une gamine que je ne supporte pas.

Les mots se répètent dans ma tête, inlassablement. Je ne contrôle pas ma colère, elle éclate sans que je ne sois capable de la contenir.

- Tu me critiques pour une existence qui n'est pas la mienne, assuré-je. Je ne suis pas celle que tu évoques, Simon. Tu ne me connais pas mais si c'était le cas, tu saurais que ma vie n'a rien à voir avec ça. (Je me rends à l'évidence. La solution est une mise au point.) Le salaire de mon père ne lui permet pas d'être le propriétaire de la maison de laquelle tu parles. À la place, on est en location dans un appartement qui se trouve aux alentours de la zone industrielle. Ouais, mes résultats scolaires ne sont pas mauvais, parce que je ne souhaite pas que mes enfants connaissent la galère. En ce qui concerne ma mère, je ne t'autorise pas à en faire une insinuation étant donné qu'elle est morte en me mettant au monde. (Je baisse la tête, mes yeux s'emplissant de larmes.) Je n'estime pas une personne qui aime la philosophie, une personne qui en est même passionnée, et je ne savais pas que c'était une éventualité avant de te connaître. Naïvement, je pensais que tu n'étais pas ce que tu montrais, mais je me trompais. Maintenant, je n'espère rien des mecs dans ton genre. Le genre de mecs qui s'arrête aux préjugés.

Simon est désorienté. Les traits de son visage s'adoucissent tandis que ses épaules s'affaissent. Je ne maîtrise pas mes actes et, sans en avoir la permission, mes mains attrapent mes affaires avant de m'arracher à ma ceinture de sécurité.

Je suis à bout de souffle alors que je sors du pickup. La totalité des lumières n'est pas allumée, le trottoir est éclairé par les fenêtres des maisons. Je ne sais pas ce que je fais, mais je m'en vais.

- Éla, arrête-toi !

Il me retient. Je sais que ça ne devrait pas, mais ça me fait plaisir. En plus, il utilise mon diminutif. Je me mets à rire en me rendant compte de la pensée qui me traverse la tête. Qu'est-ce que je suis ridicule !

- Bon sang ! hurle-t-il à nouveau. S'il te plaît, ne t'en vas pas comme ça.

Les mots qu'il prononce ne sont pas criés, comme l'ont été les précédents. Je réalise que sa phrase est suppliante mais je ne m'arrête pas, au contraire.

Tout à coup, un bruit me parvient aux oreilles. Il s'agit du claquement de la portière mais, pour en être sûre, je regarde par dessus mon épaule. Est-ce que je rêve, ou Simon est en train de courir vers moi ?

En fait, il est déjà là quand je prends conscience qu'il vient me chercher. Je sens que son souffle est près de mon cou et que mon corps est aux côtés du sien. Il attrape mon bras, m'obligeant à faire volte-face. Je me raidis à son contact.

- Aïe, ça me fait mal !

Je me plains en me dégageant, et il me lâche. La peau est bleue à l'endroit où ses doigts se sont posés, c'est une certitude.

- Je ne m'en suis pas rendu compte. (Il se passe la main dans les cheveux, embarrassé.) Je veux que tu m'écoutes, c'est tout.

- Tu as encore des méchancetés à me dire, c'est pour ça ?

Je parle avec mes mains, et il baisse la tête. Elles bougent dans tous les sens, ce qui prouve que je suis à bout. Il a l'air coupable, comme ça. En même temps, il l'est, est ce que je pense en silence.

- Oui, bien-sûr, continué-je. Je pense que ce n'est pas la peine, celles que tu as prononcé se suffisent à elles-mêmes.

Je ne me remets pas de mes émotions. À cet instant, mon cœur bat la chamade et mes jambes sont tremblantes. Je constate qu'il y a un banc quand je balaie du regard le trottoir. Je m'y assois, et il me suit.

- Est-ce que je peux ?

Il fait un signe de tête qui montre la place à côté de moi. Je me prépare à lui dire que la réponse est non, il ne peut pas, mais je n'ai pas sorti un son qu'il est déjà assis.

- La méchanceté n'est pas une maladie, à ce que je sache.

Il plaisante, étant donné que je m'écarte. Je sais que ce n'est pas méchant, qu'il ne s'agit que d'une blague, mais ce n'est pas le moment. Là, je n'ai pas envie de rire.

- Tire-toi d'ici, lui dis-je, épuisée.

Il ne s'en va pas mais il se tait, c'est déjà ça. Je reprends mes esprits, la tête dans mes mains et les coudes sur mes genoux. Au cours des minutes qui suivent, nous ne parlons pas. Je ne pense pas que le silence est une chose qui est pesante mais on dirait qu'il n'est pas de mon avis, vu qu'il ouvre la bouche.

- Putain, lâche-t-il. En général, je ne l'admets pas, mais je n'ai pas le choix. J'étais à côté de la plaque en ce qui te concerne, Éléanore.

- Éla, s'il te plaît.

Il a l'air d'être stupéfait, mais je n'en connais pas la raison. Je ne sais pas ce que j'ai fait de mal. Tout le temps, on se dispute à ce sujet, ce n'est pas nouveau. Il est au courant que ça ne me plaît pas quand il m'appelle comme ça et avant ce n'était qu'à cause de ça qu'il le faisait, parce que ça m'agaçait.

- Qu'est-ce que tu as ? lui demandé-je. Je te signale que tu as prononcé mon surnom, tout à l'heure, et que ça ne t'a pas tué.

- Je te présente des excuses, ce qui n'est pas dans mes habitudes, et tu ne me réponds que ça ?

Ah, j'ai touché sa fierté. Il a fait un effort en s'excusant, mais je pense qu'il s'agit de la moindre des choses. En plus, ses excuses, comme il ose le dire, ne sont pas les meilleures.

- Tu ne crois pas que je me satisfais de ce que as dit à la place de toutes autres excuses, quand même ?

Surpris, il me lance un regard en coin. Il se sert des mots : "Non, mais tu le devrais" comme pour me dire que ce qu'il a fait est un pas de géant. Je suis sur le point de lui répondre lorsqu'il secoue la tête. À l'intérieur, on dirait qu'il se pose des tonnes de questions à la fois, sans qu'il n'ait de réponses à celles-là.

- Je trouve que tu es quelqu'un de chelou, me souffle-t-il au bout d'une minute qui paraît ne pas avoir de fin.

Pardon ? Je ne m'attendais pas à ça. Il ne se trouve pas chelou, lui, à me dire un truc comme celui-ci ? Je ne le crois pas, il se moque de moi pour un défaut qu'il a lui-même !

- Moi ? interrogé-je, choquée.

Je plonge mes yeux dans les siens, dénués de toutes les sortes de railleries, et je comprends qu'il ne se moque pas. En fait, il ne me lance pas cette phrase dans le but de me mettre mal à l'aise. Il le pense, sincèrement.

- Oui, toi, dit-il en me pointant du doigt. Tu fais le contraire de ce que feraient les gens si ils étaient à ta place.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Je pose ma question mais je ne veux pas de sa réponse. Il vient de me tendre la perche, que je saisis pour lui faire une plaisanterie.

- Est-ce que tu suggères que je ne me laisse pas faire quand tu me parles d'un ton qui ne me plaît pas ? Ou est-ce que tu insinues que je ne te saute pas au cou lorsque nous ne sommes que tous les deux ?

Il y a une part de vrai, quand même. Je constate en voyant ses traits qu'il n'est pas certain de ce qu'il est supposé me dire, ou faire. Idiote, je me mets à lui rire au nez. Il me donne la monnaie de ma pièce en réalisant que ce n'était pas une attaque, et que je blaguais.

- Je choisis toutes les options. (Il se tait, avant qu'il ne change son avis.) Et non, ça ne marche pas, étant donné que tu t'es déjà jetée sur moi.

Je me tourne vers lui, perdue. Mais qu'est-ce qu'il me raconte, là ? Je ne sais pas de quoi il parle, alors je récupère la parole sur ma lancée, ce qui veut dire avec de la malice.

- Oh, je vois. L'un de tes rêves à mon sujet... lui dis-je, on ne peut plus sérieuse.

Il hausse un sourcil, amusé. Simon est entré dans mon jeu, officiellement. Il n'a pas l'air de m'apprécier, mais on dirait qu'il aime ma répartie.

- Je ne rêvais pas. Tu me ferais de la peine si tu ne te souvenais pas de ce moment : toi et moi, il y a moins d'une semaine, enlacés dans une piscine.

Je ne connais pas quelle en est la raison, mais il est évident que les mots qu'il prononce à mon encontre me donnent des bouffées de chaleur, et que le rouge monte à mes joues. Si, ne t'en fais pas. Je m'en souviens, lui assuré-je dans ma tête.

- Je me suis accrochée à toi parce que ma vie en dépendait, nuance.

Agacée, je me défends en le poussant au niveau du bras. Il lève les yeux au ciel, et je déchante avec la phrase qu'il crache à mon visage.

- Et tu vas me dire que tu pointais à cause de l'eau glacée et non de l'effet que je te faisais, tant qu'à faire ?

*****

Voilà, les préjugés sont laissés de côté et les personnages se rapprochent, ça y est !

J'ai passé énormément de temps à écrire le chapitre et il fait plus de mots que d'habitude, alors j'ai hâte de lire vos retours.

La suite ne devrait pas être en ligne dans les délais parce que j'ai un travail d'été à faire avant la prépa et que je ne l'ai pas encore commencé 😞

Charleen,
XO
💋

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