➥ Acte III

Louise jouait avec sa bague tout en regardant dans le vide. Elle finit par remarquer l'attention que lui portait Camille et tendit la main devant elle. La lumière émise par le véhicule fit briller l'anneau.

— J'ai été mariée, expliqua simplement la brune.

— Été ?

Louise soupira. Elle eut un petit sourire triste, puis se cala plus fortement dans son siège et commença son récit.

Elle ne l'avait pas trouvé méchant au départ. Elle lui avait dit oui au bout de quelques mois de relation, elle pensait sincèrement que c'était le bon. Avec du recul, elle se disait que finalement, elle avait été un peu trop fleur bleue. Elle pensait que tout amour allait durer pour toujours.

Et puis, après le mariage, il avait changé. Oh, il ne la frappait pas, ne l'insultait pas. C'était plus insidieux. Des remarques, constamment, des remarques qu'elle prenait pour elle. Elle se sentait faible, inutile, incapable de le rendre heureux. Incapable de se rendre heureuse.

Par chance, elle avait fini par se rendre compte qu'il fallait que cela s'arrête. Certaines personnes restent dans ce genre de relation, car elles pensent que tout ira mieux le lendemain. Quand l'orage sera passé. Mais parfois l'orage les attrape au passage, et elles terminent en sang sur le sol de la cuisine.

C'est toujours la cuisine. Le carrelage froid, et le liquide chaud qui coule entre les joints. Et le lendemain, il n'y a déjà plus aucune trace. Plus aucune preuve.

Louise et son mari avaient fini par partir chacun de leur côté. Et elle trouvait qu'elle vivait beaucoup mieux sans lui.

La brune se disait que c'était l'explication du pourquoi elle était partie sur la route. Peut-être une envie de retrouver la liberté qu'elle avait perdue pendant ces deux années. Parce que maintenant qu'elle y réfléchissait, il contrôlait tout. Jusqu'à la moindre de ses réactions. Elle avait été un objet qu'il manipulait pour son propre plaisir.

Camille pensa que sa passagère n'avait vraiment pas eu une vie étouffée par le bonheur. Elle se promit de lui proposer de rencontrer Sabine : cette dernière avait une bonne capacité d'écoute et un véritable don pour donner des conseils. Elle pourrait peut-être faire quelque chose pour alléger le cœur de l'auto-stoppeuse. Même un petit rien serait déjà important.

Sabine avait beaucoup fait pour elle. Quand la journaliste s'était finalement ouverte et avait parlé de son passé, de tout ce dont elle se souvenait et qui l'avait marqué, la jeune femme avait été d'une grande aide. Rien que lorsqu'elle insistait pour savoir, même si elle se prenait parfois des insultes en retour. Rien que cette petite chose avait aidé la rousse. Et aussi le fait qu'elle tenait la boite de mouchoirs lorsque son jardin secret s'était ouvert et que les vannes avaient lâché. Sa maison aurait fini par être inondée, sinon.

La Jeep eut soudainement un soubresaut. Camille fronça les sourcils, mais ne s'inquiéta pas. C'était sûrement un nid de poule. La rue où elle habitait enfant en était truffée, alors elle avait l'habitude. Mais la voiture recommença une, deux fois. Elle ralentit peu à peu, avant de s'arrêter sur le bord de la route, après un coup de volant instinctif de la rousse.

— Tout va bien ? demanda sa passagère.

Camille observa le tableau de bord, à la recherche d'un indice qui pourrait lui fournir une explication. Mais le voyant rouge qui clignotait entrainait plus l'incompréhension qu'autre chose. Elle retira les clés du contact, ce qui fit tinter le petit porte-clés, puis se détacha.

— Je reviens, prévint-elle, avant de sortir de l'habitacle.

La rousse resserra sa veste militaire contre elle au contact du vent. Malgré une journée ensoleillée, il faisait plutôt frais cette nuit. Elle se dirigea vers la trappe à carburant et l'ouvrit. La Jeep lui signalait une panne d'essence, mais cela n'avait aucun sens. Louise avait insisté pour s'occuper du plein tout à l'heure, en « remerciement pour s'être arrêtée pour elle », et elle se rappelait bien l'avoir vue le faire par la vitre de la station-service.

Camille essaya de se remémorer la scène. Son café lui réchauffait les mains, le vendeur était focalisé sur son téléphone, un routier sortait juste des toilettes. Elle se rappelait encore du son du sèche-mains, qui faisait sûrement plus de bruit que le moteur de sa Jeep.

Elle avait jeté un coup d'œil à travers la vitre aux coins recouvert de buée, et avait vu sa passagère en train de remplir le réservoir. Son visage jeune tranchait avec la vétusté apparente de l'endroit : la peinture s'écaillait de partout et les néons blanchâtres clignotaient par moment. Louise avait relevé la tête, et lui avait fait un signe de la main en retirant le pistolet de la trappe à carburant. Camille l'avait alors quittée des yeux pour aller acheter un paquet de Kit Kat, qu'elle lui avait donné en remontant dans la Jeep.

Louise avait insisté pour payer l'essence, et ne voulait pas lui montrer le ticket. Alors Camille n'avait pas vérifié combien cela lui avait coûté.

Et elle n'avait pas vérifié si le réservoir était bien rempli avant de repartir.

Camille secoua la tête. Elle se faisait des idées. Elle avait toujours eu une imagination débordante, et avec toutes les histoires bizarres qu'elle voyait passer au journal, cela n'aidait pas vraiment. Alors si on mettait devant elle quelques évènements étranges, elle concluait toujours en quelque chose d'encore plus étrange.

Le réservoir avait peut-être une fuite. Oui, c'était sûrement ça. Une simple et bête fuite. Et puis, Camille avait toujours un jerrican plein dans son coffre. Elle était déjà tombée en panne de carburant, et avait appris à anticiper.

Elle se dirigea vers le coffre et l'ouvrit rapidement. Elle avait hâte de repartir. Elle allait revoir Sabine. Elle allait lui faire la surprise. Elle était censée arriver le lendemain après-midi. Elle y serait déjà pour le petit déjeuner.

Camille attrapa le jerrican rouge et le souleva à bout de bras. Elle avait oublié qu'il était aussi lourd. La pleine lune l'éclairait dans son effort, et fit briller les quelques outils qu'elle emportait toujours, au cas où. La clé à molette, le tournevis et les câbles de batterie. Elle atteignit la trappe et posa son fardeau. Mine de rien, elle transpirait déjà. La rousse passa la main sur son front et ouvrit le jerrican. Elle n'avait plus qu'à verser le liquide odorant dans la trappe, et elle pourrait repartir. Au moins jusqu'à la prochaine ville.

Elle souleva le jerrican mais le lâcha soudainement. Elle ne comprit pas immédiatement ce qu'il venait de se passer. Puis elle sentit une douleur à l'arrière du crâne. Et elle bascula en avant.

Non. Elle allait bientôt voir Sabine. Elle ne pouvait pas s'arrêter là. Elle devait continuer. Mais elle ne réussit même pas à tendre les bras pour ralentir sa chute.

Son visage rencontra le bitume. L'essence s'écoulait sur le sol et envahissait l'endroit de son odeur. Camille vit Louise se baisser vers elle, une clé à mollette ensanglantée dans la main. Et elle ferma les yeux.

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