➥ Acte II
Camille venait de sortir d'un petit village aux maisons blanches et aux routes bien droites. Sa passagère dormait depuis un petit moment, bercée par la voix de Freddie Mercury interprétant Under Pressure. Elle tourna la tête vers le siège voisin, et remarqua une fine bague enfilée à l'annulaire gauche de la jeune brune. En argent, à première vue.
Ce détail lui rappela une de rares disputes qu'elle avait eues avec Sabine. Alors qu'elles profitaient en ville du soleil d'hiver, elles étaient passées devant une bijouterie et la rousse s'était subitement arrêtée. Un anneau lui avait fait de l'œil. Les rayons de l'étoile qui frappaient la vitrine faussaient peut-être la vision de Camille, mais elle avait l'impression que le métal l'attirait. Et la rose noire qui y était incrusté pouvait également y être pour quelque chose.
Lorsque Sabine avait remarqué qu'elle marchait seule, elle s'était retournée, un peu perdue, à la recherche de la rousse. Elle avait fini par la rejoindre en souriant. Puis les commissures de ses lèvres s'étaient affaissées. Le soir, Camille s'était endormie la mort dans l'âme.
Finalement, la journaliste avait bien eu la bague qu'elle convoitait. Sabine l'avait achetée quelques semaines plus tôt, pour lui offrir à Noël. Elle ne l'enlevait jamais. C'était ce qui les liait, même à des centaines de kilomètres de distance. Elle y jeta justement un regard, et sourit inconsciemment. Bientôt. Elle la verrait bientôt.
— J'ai dormi longtemps ?
La voix un peu pâteuse de Louise sortit la jeune femme de ses pensées. Elle jeta un coup d'œil à l'horloge de la Jeep, qui avait toujours cinq minutes de retard, avant de se focaliser à nouveau sur la route.
— Une bonne demi-heure, je pense, annonça-t-elle.
Louise se frotta les yeux avant de se réinstaller correctement. Dans son sommeil, elle s'était recroquevillée, la tête reposant contre la vitre. Elle tendit alors la main vers le bouton de volume la radio, et arrêta son geste dans une demande silencieuse. Camille hocha la tête et Queen emplit l'habitacle, bientôt accompagné de la voix discrète de la passagère, son index marquant le tempo sur sa jambe.
La journaliste se prit au jeu et se mit en fredonner les paroles qu'elle connaissait par cœur. Les deux jeunes femmes élevèrent leur voix, chacune encouragée par l'autre, leur timbre montant de plus en plus haut, et la chanson se termina dans un fou rire.
Camille essuya les larmes qui perlaient à ses yeux et pensa qu'après cette magnifique performance, elle pouvait essayer de mieux connaitre l'auto-stoppeuse.
— Alors, qu'est-ce que tu fais sur la route aussi tard ? demanda-t-elle après avoir baissé le son de la radio.
— Un coup de tête, je dirais, répondit Louise après quelques secondes de réflexion. J'avais juste envie de changer d'air. De partir.
La journaliste pensa encore une fois qu'elles se ressemblaient vraiment. Même besoin de respirer. De tout reprendre à zéro.
— Je suis partie sur la route, une fois, commença-t-elle à raconter dans un sourire. Une fois qui a duré un an.
Sa passagère ne répondit pas, ce que Camille prit comme une invitation à continuer.
— J'ai commencé en Alsace. Et j'ai fini à Paris. Après avoir traversé le pays en long et en large.
— Tout le temps sur la route ?
— Tout le temps.
Enfin, c'était une semi-vérité. Au milieu, elle avait rencontré Sabine. Elle s'était stoppée deux petites semaines à ses cotés, puis elle était partie. Avant d'aller la rejoindre à nouveau.
— Wow.
La musique meubla le silence qui s'installa. Oui, c'était le mot. Il n'y en avait pas d'autre pour décrire l'expérience qu'elle avait vécue pendant cette année.
— Moi, ça ne fait que quinze jours, ajouta la brune.
Les quinze premiers jours, la journaliste avait lancé son blog, visité la Bretagne, le Pays Basque et la Corse, travaillé dans un restaurant pour se faire un peu d'argent et s'était retrouvée dans une vingtaine de voitures différentes.
— Tu verras, tu ne sauras pas quand t'arrêter, répondit Camille avec un sourire.
— Je crois que je le vois déjà, répondit-elle en riant.
La journaliste avait eu raison. Elles étaient identiques. Deux vraies droguées de la liberté.
— À mon tour !
La rousse lui lança un regard intrigué, ce à quoi un sourire énigmatique répondit.
— À moi de te raconter mon histoire !
Et elle raconta.
Elle avait une histoire un brin compliquée, qui avait commencé avec une mère absente et un père maladroit. Un homme ouvrier, qui s'était retrouvé un beau jour seul avec une petite fille de quelques mois dans les bras, sans vraiment savoir ce qu'il devait faire.
Mais bon, il y avait des situations familiales bien pires que la sienne. Alors la brune ne s'en formalisait pas. Son père avait fait de son mieux, et puis, on ne pouvait pas changer le passé.
Elle n'avait pas eu de grand-mère faisant des pâtisseries tous les dimanches, ni de cousines avec qui discuter sous la couette jusqu'à minuit. Elle ne connaissait pas non plus les cadeaux de Noël offerts en quantité astronomique par les oncles et les tantes.
Elle n'avait pas vraiment eu d'amis. Enfin, seulement des connaissances. Elle avait juste l'impression que les personnes qu'elle rencontrait ne la comprenaient pas. Alors, l'amitié sincère et fidèle, elle n'avait jamais vu à quoi cela ressemblait.
Camille pensa que finalement, la première impression que lui avait donnée l'auto-stoppeuse était faussée. Derrière son sourire, Louise cachait peut-être une vie assez triste. Elle trouvait aussi que, malgré son explication concernant l'absence d'amis dans son entourage, sa passagère s'était dévoilée à elle facilement. La concernant, elle aurait bien du mal à parler de son passé, surtout si c'était à une personne qu'elle venait de rencontrer.
La première fois qu'elle avait « abordé » le sujet avec Sabine, elles se connaissaient depuis plusieurs mois. Et la discussion n'avait pas duré longtemps. La rousse avait répondu vaguement et s'était enfuie dans le champ du voisin. Elle s'était allongée parmi les pâquerettes et avait observé les hirondelles qui revenaient pour le printemps.
Les membres qui constituaient sa famille se comptaient sur les doigts de la main. Un père militaire porté disparu au front, une mère chirurgienne qui passait plus de temps avec ses patients qu'avec sa fille. Pas de frère ou de sœur pour se confier. Des grands-parents décédés avant sa naissance.
Une enfance un peu solitaire. Peut-être un peu trop.
Et puis, parler d'elle n'était pas son fort. Elle avait toujours eu du mal à se dévoiler, à se laisser aller aux confidences. Son jardin secret n'était connu de personne. Et ce n'était pas quelque chose qui la dérangeait. Elle avait sa vie privée, et ce terme signifiait bien ce qu'il disait ; c'était sa vie, et elle ne considérait pas que partager son passé soit quelque chose d'indispensable lorsque l'on rencontre quelqu'un.
Camille considérait que ce qu'une personne que l'on apprend à connaitre doit savoir, c'est seulement le nous actuel. Ce sont nos actes présents qui nous définissent. Pas une vie passée, des évènements révolus sur lesquels nous n'avons pas réellement eu le contrôle.
La journaliste secoua la tête pour se reconcentrer. Elle partait de plus en plus dans ses souvenirs. Il était peut-être temps qu'elle fasse une pause. Et qu'elle avale un bon café. Rien de tel que la caféine pour se remotiver.
Comme si quelqu'un l'avait entendu, un panneau indiquant une station service à quelques kilomètres venait d'être éclairé par ses phares.
— Ça te dit, une pause ?
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