Le Père Noël est un chippendale




Des heures à piétiner dans la boue, mon gobelet vide à la main et puis...le miracle. Une blonde en manteau de fourrure, à la quarantaine accorte, s'arrête devant moi et me demande : « Vous avez besoin d'argent, je présume ? »

Je lui balance, ironique :

« Ça se voit tant que ça ? »

À force de vivre dans la rue, j'ai acquis des réflexes de défense qui se mettent en place à la moindre occasion. La femme ne se démonte pas pour autant. Elle me regarde comme on ne m'a pas regardé depuis cinq ans, depuis que j'ai claqué la porte de mon domicile. Perte d'emploi, alcoolisme, divorce : le tiercé perdant. La dégringolade a été rapide, me faisant passer de l'état de cadre supérieur à celui de SDF.

« J'ai peut-être un job à vous proposer, dit la blonde. Monsieur...

— Appelez-moi Cédric. »

Au mot « job », je me suis dressé comme un chien lève la patte pour avoir un susucre. « Un travail temporaire, précise-t-elle. Il consiste à jouer le Père Noël pour une soirée. La personne pressentie m'a fait faux bond. »

Avant – il y a une éternité –, je me déguisais en bonhomme rouge pour amuser mes gosses. Ma femme riait aussi. Mes yeux me piquent, j'ai une boule dans la gorge.

« C'est un boulot dans mes cordes, fais-je d'un ton faussement indifférent.

— Je préfère vous prévenir. Il s'agit d'une prestation assez spéciale : un striptease.

— Ok. Au point où j'en suis... »

La perspective de me désaper devant un parterre de bourges ne me fait ni chaud ni froid. J'ai dépassé ce stade. Je case mon mètre quatre-vingts et mes hardes dans l'Audi de la dame – son prénom est Marie Jo –. Elle m'explique que je toucherai deux cents euros, plus un repas. Ça me botte. Je passerai au moins un moment au chaud, l'estomac plein de dinde aux marrons et de bûche.

Ma bonne fée habite une maison à son image : bon chic bon genre, mais je me fous du cadre. Du ridicule costume que je dois endosser, aussi. J'ôte en vitesse ma parka râpée et enfile la houppelande par-dessus ma chemise et mon pantalon. Une fois le bonnet enfoncé sur la tête et la fausse barbe bien ajustée, me voilà prêt à l'emploi, si l'on peut dire. Un brouhaha de conversations s'élève de la pièce contiguë. Marie Jo pousse la porte. Un rideau de velours rouge masque le public, on se croirait au théâtre.

« Quand je le tirerai, à vous de jouer » chuchote Marie Jo à mon oreille.

J'entrebâille les plis et embrasse la salle d'un regard circulaire. Un sapin couvert de décorations clignote dans le fond. Des gens sont installés à de petites tables. Parmi eux, une majorité de femmes. La chevelure flamboyante de l'une d'elles attire mon attention. Une telle couleur n'est pas courante, surtout au naturel. Sa propriétaire expose un dos à la ligne parfaite, dévoilé par un fourreau décolleté jusqu'au bas des reins. Quand elle se retourne, je reçois un choc si violent que je titube. Marie Jo s'inquiète :

« Tout va bien, Cédric ?

— Non. Ne comptez plus sur moi.

— Pourquoi ?

— Mon ex est assise au premier rang : la rousse en robe noire.

— Magda ? Vous devez vous tromper. Elle travaille dans le cabinet d'avocats de mon époux. Nous nous recevons régulièrement.

— Ça paraît incroyable. Oui, j'ai été marié avec elle autrefois.

— En effet, je crois me rappeler qu'elle est divorcée. Eh bien ! Pour une coïncidence... »

Marie Jo me considère, le front plissé par la réflexion avant d'ajouter d'un ton péremptoire :

« Ce serait bête de perdre deux cents euros pour de l'orgueil mal placé. Faites-moi confiance, tout ira bien. »

Avant que j'aie pu protester, elle écarte les tentures et me propulse en avant. Je me retrouve sur la scène improvisée, au milieu des applaudissements. Aucun « À poil ! » ne fuse, ces gens-là savent se tenir. J'entends comme dans un brouillard Marie Jo dire que, finalement, je ne me déshabillerai pas. Des exclamations déçues suivent sa déclaration. « Ne pleurez pas, les amis, enchaîne-t-elle. Vous l'aurez, votre strip. Je vais désigner au hasard une femme dans l'assistance. À elle reviendra l'insigne honneur de dénuder Papa Noël. »

Son index trace des cercles hésitants dans l'air avant de se pointer sur Magda. Cette dernière se lève. Elle n'a pas beaucoup changé, à part la coiffure : plus aérée, plus courte. Aujourd'hui, je ne pourrais plus tirer sur sa queue de cheval. Elle s'approche d'une démarche aisée, en dépit de talons vertigineux. Au fur et à mesure de sa progression, je sens mon pouls s'accélérer, mes jambes flageoler. Magda est à présent si près de moi que je peux humer son parfum : toujours le même. Elle est au moins fidèle dans ce domaine. Combien d'hommes depuis mon départ ? Les battements dans ma poitrine s'amplifient. Mes yeux croisent ceux de mon ex, agrandis par le mascara. Va-t-elle me reconnaître ? Non, elle est à cent lieues d'imaginer que ce Père Noël ridicule a été l'amour de sa vie. Elle me sourit avec gentillesse. Je devrais tourner les talons et m'enfuir, mais je reste figé sur place, telle une statue de sel. Magda me retire d'abord la houppelande en la faisant passer par-dessus ma tête. Au tour de ma chemise qu'elle déboutonne de haut en bas sur l'air de The Full Monty. Ses mains effleurent au passage mes épaules et mon torse nu. Va-t-elle reconnaître ma peau, si souvent caressée ? Elle descend au niveau de la taille et une fois le ceinturon débouclé, paraît hésiter. Je viens à son secours en ouvrant ma braguette et en descendant moi-même mon fut. Le regard interloqué de Magda se fixe sur mon sexe, puis scrute mon visage, comme si elle cherchait à retrouver l'ancien Cédric sous la barbe neigeuse et les faux sourcils. La musique a cessé. Les mains de Magda, glissées entre mes cuisses, reprennent possession de mon sexe. Ce dernier renaît entre les paumes qui le réchauffent. Oubliant les invités et notre hôtesse, nous savourons cet instant privilégié, prélude à des retrouvailles plus complètes. Elles ne tarderont pas, à en juger par ces mots chuchotés au creux de mon oreille :

« Chéri, si on rentrait à la maison ? »

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