Le Père Noël est au chômage
Hello bonsoir ! Je vous accueille sur mon merveilleux premier OS de ce Noël 2020, en espérant qu'il vous plaira ! :D
Bonne lecture, et joyeux Noël !
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24 décembre 847, Mur Rose
— Erwin, lâcha Livaï.
Il désigna toutes les personnes que son collègue avait réunies dans son office, ce soir d'hiver. Hansi haussait les sourcils, dans un mélange de curiosité et de surprise ; Moblit la surveillait du coin de l'œil, tant alerte que mal à l'aise ; Nanaba et Gelgar arboraient leur sérieux spécial subalternes ; et Mike... restait Mike, à croiser les bras, le nez froncé.
La flamme dansante d'une lampe à huile éclairait toutes ces expressions, non sans épargner celle d'Erwin. Lui restait assis derrière son bureau, à les regarder comme s'il allait leur annoncer qu'il avait dégueulassé les chiottes à cause d'une diarrhée.
— Nous sommes le vingt-quatre décembre, posa le major. Et, ce soir, un soldat m'a apporté une missive expresse du commandant Dot Pixis.
Il glissa jusqu'à eux une lettre ordonnée, à l'élégante signature du responsable de la Garnison. Hansi s'y pencha en première : là où Livaï se prépara à un quelconque bond de joie, les paupières de la jeune femme clignèrent simplement sous la confusion.
Elle passa le papier aux autres. Il arriva enfin entre les mains du caporal-chef, qui se blasa bien vite.
— C'est une blague ? jeta-t-il.
Erwin secoua gravement la tête.
— Non, énonça-t-il. Depuis hier, le Père Noël est au chômage...
***
Trost, deux heures plus tard
« ... et il n'y a plus que nous pour le remplacer. »
Même en manœuvrant au milieu des façades de pierres de Trost, à filer dans la nuit contre de glaciales bouffées de vent, Livaï n'en croyait toujours pas ses oreilles.
Ce foutu Père Noël avait été licencié, et l'armée devait se charger de livrer les cadeaux à sa place ? Une blague, et de bien mauvais goût.
En premier lieu, le Père Noël n'était pas censé exister.
Ensuite, les citoyens auraient pu se charger seuls d'organiser leur Noël.
Enfin... Pourquoi le Bataillon y va à la place de la Garnison ?
Livaï était chargé de s'occuper de la marée de maisons que formait Trost. Il était le plus rapide des quelques membres qu'Erwin avait choisis au volet ; et le plus puissant, aussi. Naviguer à pleine vitesse dans le froid avec une foutue hotte sur le dos et une liste d'adresses dans une main était donc du gâteau.
Non, les choses qui l'excédaient de façon viscérale étaient la fausse barbe blanche et le bonnet vert à pompon qu'il devait porter.
Une horreur.
Au moins aucun habitant ne l'avait jusque-là reconnu, ou la réputation dont il n'avait pourtant pas grand-chose à faire serait tombée en ruines. Lorsqu'il bifurqua dans une sombre allée, et dérapa agilement sur les pavés verglacés, il jeta un nouveau coup d'œil aux quelques prochaines familles qu'il devait visiter.
Les Strauss, les Kirschtein, les Kostrowicki, les Pfund... Et Elsa Gattman ?!
Il se raidit de pied en cap, les mains crispées sur son papier. Elsa, il la connaissait. C'était la vendeuse de thé auprès de laquelle il allait se ravitailler. Et elle le connaissait aussi, malgré le nombre de clients qu'elle recevait. De tous les résidents de Trost, il devait la visiter, elle ?
Je démissionne, trancha-t-il. Qu'elle le voit dans cet accoutrement ridicule était impensable. De toute manière, l'opération même que les vétérans du Bataillon menaient était merdique. Quitter son poste n'allait rien changer...
« Oh, Père Noël ! » résonna alors la voix d'une enfant dans son crâne. « Papa, il est vraiment venu m'apporter des cadeaux, t'as vu ! » s'était exclamé un autre, vivant dans le quartier le plus pauvre de Trost. « Merci beaucoup, Monsieur », avait murmuré une mère de famille, les larmes aux yeux, avant de retourner auprès de sa descendance.
... ou pas.
Livaï se frotta la nuque dans un grognement excédé. Soit, s'il se cassait, il allait créer de sales inégalités. Il n'avait qu'à aller voir Elsa en dernière, lui refiler une tasse dans un rapide « Joyeux Noël », et se barrer illico.
Oui. Oui, très bon plan, le meilleur plan de ce soir désastreux. Il reprit donc sa route en déglutissant, les dents serrées. Elsa, il passa devant sa maison à toute vitesse, et frappa chez son voisin. Lorsqu'on lui ouvrit, il découvrit un petit homme enrobé et chauve, aux joues rougies sous le vin.
Il béait sous une stupéfaction sans nom, visiblement à court de mots. Voir un type distribuer des cadeaux en manœuvre tridimensionnelle distribuer était plutôt singulier, après tout : Livaï s'habituait peu à peu à de telles réactions. Ce n'était pas la pire dimension de sa tâche.
— C'est la maison des Strauss ? grommela-t-il.
— ... En effet. Oui. C'est ici. Certes. Vous êtes... ?
Il racla sa gorge sèche, les traits tordus sous la résignation.
— Ho, ho, marmonna-t-il dans son meilleur enthousiasme. Ici le... Père Noël ! Qui apporte...
Il sortit deux paquets en un éclair, et les fourra dans les mains du pauvre bonhomme, dont les yeux manquaient de sortir de leurs orbites.
— ... vos cadeaux pour le Réveillon, grimaça Livaï. Un pour vous, un pour votre petite fille...
Tuez-moi.
On fit de nouveau la carpe, en face ; durant le long silence qui suivit, le caporal-chef songea sérieusement à décamper et passer à la prochaine maison. Il en avait connu, des malaises, ce soir-ci ; il savait qu'il n'était pas au bout de ses peines ; mais après avoir appris qu'il allait devoir jouer un tel rôle devant Elsa...
— Oh, bien entendu ! feignit enfin Strauss. Bien sûr, je ne vous avais pas reconnu, mais vous êtes le Père Noël !
— Papa Noël ? s'éleva aussitôt une voix de petite fille.
Une blondinette courut jusqu'à l'entrée : ses iris s'illuminèrent de mille étoiles en voyant Livaï. Elle afficha un grand sourire révélant ses dents de lait, et se jeta dans ses bras dans un rire ravi.
L'air du militaire tourna au lugubre. Était-elle propre ? S'était-elle lavée les dents ? Une douche, avait-elle pris une douche ? Son père repéra sans mal son malaise, et tapota l'épaule de sa fille.
— Le Père Noël a beaucoup de travail ! rit-il avec nervosité. Viens, rentre pour qu'il puisse continuer son travail, rentre avant qu'il n'attrape froid !
Elle hocha la tête avec énergie, et remercia Livaï sur un dernier ton pur et enfantin. Dès que la porte se referma, il s'appuya contre le mur, et plaqua une main sur son front.
C'est presque fini, se rabâcha-t-il. Regarde, plus que onze familles. Facile. Facile, non... ? Non ?
Non. Il avait pénétré les Enfers, et il n'y avait plus de retour possible. Il essuya donc sa chemise avec son mouchoir, le nez froncé sous le dégoût, et expédia le reste de sa mission.
A y est, fini, je rentre, décida-t-il après un gamin morveux, une maison enfumée par l'odeur de viande, deux femmes ravies, un bonhomme bourré jusqu'à la moelle, et quelques énergumènes normaux. Fini. Fini...
Non, pas fini, ragea-t-il. Il reste Elsa ! Merde !
Elsa, elle se trouvait désormais à l'autre bout de la ville. Il se fit donc violence pour remettre sa hotte quasiment vide sur son dos, se cacher derrière ses putains de bonnet et fausse barbe, et sortit de l'impasse enneigée dans laquelle il s'était arrêté un instant, à l'abri des regards.
Il traversa une rue, il rasa les murs, il bifurqua en un éclair sans se donner la moindre occasion d'abandonner la partie. Peut-être avait-elle oublié sa tronche – tout du moins, il l'espérait du plus profond de son âme.
Puis, en déboulant dans une allée, une pierre fila juste sous son nez. Il sauta à terre, et braqua son regard sur cinq délinquants torchés, qui l'étudièrent en ricanant. Ils le désignèrent bien vite du doigt.
— Regardez ! s'embourba l'un deux.
— Ouais ! se gaussa un autre. Père Noël, c'est ça ? Frérot, je pensais que t'étais un putain de mythe...
— Sa hotte, trancha le plus baraqué dans un rictus.
Ils firent craquer leurs doigts là-dessus... pour lui foncer dessus.
Petites merdes, j'en ai assez vu ! Livaï vit rouge : il ficha un puissant pain au premier gugusse passant là. Ce connard boula sur dix bons mètres, et se recroquevilla sur lui-même en gémissant. Un grand bougre rugit aussitôt, jusqu'à ce que Livaï enfonce avec violence son talon dans son ventre.
Il écrasa le prochain au sol en rageant, défonça la mâchoire d'un quatrième, et se tourna avec lenteur vers le dernier, l'œil rond. On couina sous son regard lugubre.
— Quoi, tu te défiles ? articula le caporal-chef. J'ai pas fini de m'amuser. Viens là, que je profite de ta gueule de porc avant de la défoncer.
Cependant, cet enfoiré de première se contenta de se pisser dessus, et de prendre ses jambes à son cou dans des cris effrayés.
Livaï recula de quelques pas lorsqu'une odeur d'urine agressa ses narines. Il savoura cependant une dernière fois des tronches déformées des délinquants avant de reprendre son chemin. Désormais qu'il s'était défoulé, faire face à Elsa déguisé en Papa Noël semblait un poil moins désagréable...
Mais il ne s'en réjouissait toujours pas.
Il arriva devant la porte de la jeune femme dans un dérapage contrôlé, et se redressa en grognant. Une profonde irritation piqua son estomac lorsqu'il posa les yeux sur le battant de bois de la vendeuse. Il se força tout de même à avancer de quelques pas.
Son sang battait à ses tempes. Peut-être que, s'il remontait son excuse de barbe jusqu'à son nez, et baissait son bonnet au maximum pour se cacher dans la nuit, elle n'allait pas le reconnaître. Au bout de longues secondes et d'énièmes inspirations, il frappa enfin à la porte.
De la neige tomba sur son épaule : il la balaya d'un geste sec, les dents serrées. Ses mâchoires mêmes commençaient à le faire souffrir. Mais avec cet accoutrement de fin d'année, il pouvait éventuellement passer incognito.
Oui, elle ne me reconnaîtra pas, se répéta-t-il. Des sabots claquèrent contre le plancher, à l'intérieur. Elle ne me reconnaîtra vraiment pas. Elsa lança un « j'arrive ! » pressé. C'est-à-dire, vraiment pas du tout. À son ton, il devinait sans mal que laisser quelqu'un poireauter dans le froid était la dernière de ses envies. Pas du tout du tout...
Et elle ouvrit enfin l'entrée.
Derrière ses lunettes, ses petits yeux bruns se fixèrent sur lui : il remonta d'autant plus sa fausse pilosité, plus excédé que jamais. Le visage allongé de la jeune femme, encadré de deux basses couettes foncées, se peignit de surprise. Puisque ce silence était le plus désagréable du monde, Livaï finit par se racler la gorge.
Ses lignes de dialogue, il les connaissait désormais par cœur.
— Ho, ho..., s'étrangla-t-il. Ici le...
« Le Père Noël. » Il ne tenta pas même de finir sa phrase, tant elle avait gagné en ridicule. À la place, il se frotta le front, et abandonna son rôle pour de bon.
— Cadeau, jeta-t-il.
Il sortit un ensemble de thé de sa hotte, et le tendit à Elsa : celle-ci le prit donc, l'examina un instant, puis remonta son regard sur le caporal-chef.
— Tu as dû passer une soirée... particulière, hésita-t-elle.
Et voilà, elle m'a reconnu. Forcément. Bordel de merde. Cependant, la vendeuse ne paraissait pas ressentir un quelconque malaise – plutôt une certaine... compassion ?
Il ne chercha pas. À ce stade, il n'en avait plus rien à foutre.
— Tu as besoin de quelque chose ? reprit-elle. Une boisson chaude, avant de repartir ? Il fait un froid de canard, dehors.
Livaï retira son bonnet et sa barbe, et s'appuya contre l'encadrement de la porte.
— Oui, articula-t-il.
Ainsi se retrouva-t-il dans la cuisine de l'une de ses rares camarades, assis à une petite table de bois. Seul un pauvre poêle réchauffait la pièce aux placards et au plan de travail rustiques. Là-dehors, il neigeait de nouveau.
Un peu plus tard, il déversa enfin toute sa hargne ; elle l'écouta sans commenter, car elle n'avait peut-être pas grand-chose à dire. Mais c'était au moins cela. Après une soirée entière de jeu d'acteur plus pourri que les dents de Hansi, il pouvait de nouveau être lui-même, avec un thé en prime.
Et, surtout, il pouvait maudire de tous les noms cet connard de Père Noël au chômage.
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