CHAPITRE 8

— C'est bon pour aujourd'hui, Adam. Je suis vraiment ravi de constater que ta santé se renforce de jour en jour. Tant que tu continues le traitement, tout devrait bien se passer. Tu n'auras plus besoin de prendre tes pilules pour aller mieux et retrouver bientôt la mémoire. C'est ce que tu désires par-dessus tout, n'est-ce pas ?

— Oui, bien sûr, fis-je aussitôt, pressé d'en finir avec cette énième visite médicale.

Le professeur Bakary m'observe d'un air amusé alors que je me redresse vivement de la table d'examen. Mes lèvres s'étirent en une vague grimace en réponse à son sourire. Je saute sur mes pieds avec impatience et m'éloigne rapidement du scanner Omega dans lequel j'ai dû passer quinze longues minutes sans bouger.

Massant d'une main mon cou ankylosé par une trop longue immobilité, je récupère mes vêtements de l'autre. Ils sont posés sur une chaise à côté de Christophe, le jeune chercheur qui assiste parfois le professeur Bakary pendant mes contrôles.

Comme d'habitude, ce dernier ne m'adresse pas une seule parole. Debout et raide comme la justice, il se contente de me dévisager du coin de l'œil, dans une maladroite tentative de rester discret. Son regard brille de cette même déférence qui anime les yeux de tout le monde à Eden lorsqu'ils me fixent. Mais aussi d'une étrange curiosité... scientifique. Comme si j'étais un sujet de recherche particulièrement intéressant. C'est un peu perturbant.

Je décide de ne pas m'attarder sur ce détail. Pour l'instant, mes pensées sont entièrement focalisées sur mon objectif du jour : découvrir enfin tout ce qui s'est passé. Indifférent au regard des deux autres sur ma nudité, je troque distraitement ma blouse blanche contre mon ensemble jogging. Ma tête bouillonne de mille et une stratégies sur le meilleur moyen de trouver des réponses au plus vite. Je suis motivé comme jamais, mais en même temps je me sens perdu. Je ne sais même pas par où commencer.

C'est bête, mais je n'ai encore jamais visité les lieux et Immortalys est tellement immense ! Où est-ce qu'ils pourraient bien garder toutes les informations sur mon accident ? Sur mon passé ? Et quand bien même je les trouvais, je ne sais même pas me servir de toutes ces machines compliquées pour consulter les fichiers et encore moins les récupérer.

Je me sens ridicule.

— Adam, est-ce que ça va ? Tu sembles préoccupé.

La voix du professeur Bakary me ramène sur Terre. J'évite soigneusement son regard plein de sollicitude et termine de m'habiller. Mon esprit est toujours en ébullition. J'ai besoin de pouvoir circuler librement dans la tour sans éveiller les soupçons. Je trouve l'excuse parfaite, mais l'idée même d'utiliser un tel mensonge m'écoeure au plus haut point.

— J'aimerais passer voir Eve, annoncé-je en prenant un ton le plus détaché possible pour masquer mon malaise. Mais je ne sais pas où se trouve son laboratoire. Si vous pouviez m'indiquer la direction à prendre, je me débrouillerais ensuite pour la rejoindre...

Le professeur Bakary ouvre la bouche, clairement dans l'intention de se proposer pour m'accompagner. Je me dandine sur place, indécis quant à la manœuvre à adopter pour décliner son offre sans paraître louche. Réfléchis, Adam. Réfléchis !

— Je dois justement y aller, intervient soudain Christophe.

Tout en parlant, il s'avance vers moi d'un pas mal assuré. Étonné qu'il s'adresse à moi, je prends le temps de l'observer pour la première fois depuis que l'on se côtoie. Il est vraiment très jeune, je lui donnerais vingt ans tout au plus. Son regard respire l'intelligence, mais en même temps, il y brille une lueur encore très infantile. Ce n'est encore qu'un enfant.

— On pourrait faire le chemin ensemble jusqu'au laboratoire de Mè... d'Eve, me propose-t-il d'une petite voix. L'air très intimidé, il remonte maladroitement ses lunettes sur son nez d'une main, tandis que de l'autre, il serre une espèce de tablette en verre contre son torse.

Interdit, je continue de le fixer sans un mot. Ses joues virent au rouge vif et il s'empresse de balbutier en se tortillant de gène, manquant de faire tomber sa tablette au sol :

— Si ça ne vous dérange pas bien sûr ! Ce n'est pas du tout une obliga...

— D'accord, accepté-je vivement.

Quitte à avoir quelqu'un sur le dos, mieux valait ce jeune chercheur que le professeur Bakary. J'ai l'impression que je l'intimide. Peut-être que je pourrais lui fausser compagnie une fois loin des regards acérés de son supérieur. Ce dernier nous darde d'un regard indéchiffrable, puis ses lèvres s'étirent soudain en un sourire chaleureux.

— C'est parfait, se réjouit-il. Vous allez pouvoir faire plus amples connaissances ! Cela fait des mois que Christophe rêve de discuter un peu avec toi, Adam.

L'intéressé rougit à nouveau comme une tomate, alors que le professeur rit en lui tapant gentiment l'épaule. L'image qu'ils renvoient fait penser à un père qui charrie affectueusement son fils. Le professeur Bakary semble sincèrement content, mais pour une raison que je n'arrive pas à m'expliquer, son attitude me glace le sang. Un long et désagréable frisson me parcourt le corps. Comme à chaque fois, je suis tenaillé par le besoin irrépressible de m'éloigner au plus vite de cet homme.

— Au revoir, professeur, fis-je d'un ton que je veux cordial.

Sans attendre sa réponse, je me dirige à grands pas vers la sortie. Christophe trottine tant bien que mal derrière moi, l'air toujours aussi gêné.

— On se revoit bientôt, Adam ! lance encore le professeur Bakary dans notre dos. Embrasse Eve de ma part. Et encore félicitation pour le bébé !

Je ne réponds pas, trop occupé à fuir sa présence. Je pousse un gros soupir de soulagement une fois dans le couloir. Bon, maintenant que je n'ai plus le professeur sur le dos, je peux me concentrer sur le plus important : en savoir plus sur moi et mon accident.

Ka a raison : qui suis-je ? Je n'en sais absolument rien. Et peut-être ne le saurais-je jamais si je continue de faire l'autruche et fuir la vérité. Je repense aux maigres informations que je possède : j'ai fait quelque chose de terrible, j'ai constamment des flashs (des souvenirs ?) de cet inconnu dans un jardin, Eve sait des choses et elle ne me dit rien.

Songer au dernier point me remplit d'une angoisse sourde. Eve me ment-elle ? Si oui, pourquoi ? M'aime-t-elle vraiment ? Mais pourquoi me mentirait-elle ? Quel intérêt ? Les questions se bousculent dans ma tête alors que je repense à tous ses sourires, ses étreintes, ces moments de tendresse entre nous, les mots doux...

L'idée que tout cela ne soit rien d'autre que mensonges et manipulations me fait mal au cœur. Eve est mon seul et unique point d'ancrage dans cette existence de fantôme que je mène. Si je ne compte même pas pour elle, alors pour qui est-ce que je compte réellement ?

Mon souffle se bloque dans ma gorge et mes jambes se figent en pleine marche. Je m'appuie contre le mur le plus proche pour éviter de m'écrouler au sol. Heureusement pour moi, les couloirs sont vides, m'évitant ainsi les regards curieux ou pire, inquiet des gens.

— Adam ? Vous allez bien ? me demande aussitôt Christophe en s'approchant. Il lève une main dans l'intention de me toucher l'épaule, mais se dérobe soudain dans son geste et son bras retombe vivement le long de son corps. Si vous n'êtes pas bien, ce serait mieux de...

— Je vais très bien, répliqué-je aussitôt avec plus de virulence que nécessaire.

Joignant les gestes à la parole, je me redresse vivement pour reprendre contenance. Ce n'est vraiment pas le moment de me laisser déstabiliser par toutes ces pensées noires.

Je prends une nouvelle inspiration, puis décide d'observer les alentours pour me changer les idées. Les murs vitrés du couloir offrent un magnifique aperçu de l'extérieur. La vue est tout simplement magique du haut de la tour : on découvre Eden dans toute sa splendeur, un sublime mélange de blanc et de vert, la nature et la modernité qui se fondent dans une parfaite harmonie. C'est si beau. Mais je sens que ce n'est pas chez moi.

Où est ma place dans ce cas ?

Adam...

Une subtile odeur de pomme vient chatouiller mes narines. Les effluves sucrés et sensuels m'enveloppent dans une étreinte réconfortante, tandis que des images un peu floues envahissent mon esprit : un jardin, de longs cheveux blonds, un regard vairon...J'entends un rire chaud qui remue tout mon être... J'inspire lentement, aucune migraine ne pointe le bout de son nez. Au contraire, je me sens bien. Je me sens moi-même et à ma place.

Adam...

Qui et où que tu sois, je te retrouverais.

— Dis-moi, Christophe, demandé-je soudain. Qu'y a-t-il à l'extérieur ?

— Q-quoi ? balbutia ce dernier en me dévisageant d'un air ahuri.

— Derrière les murs d'Eden... qu'est-ce qu'il y a ?

Il me fixe sans répondre, la bouche légèrement entrouverte. Il ne s'attendait visiblement pas à ce que je lui pose la question. Moi-même je m'étonne. Pourquoi maintenant ? Je n'en sais rien. C'est sûrement à cause de Ka et Abe. Ils viennent de l'extérieur !

— Christophe ? insisté-je, alors qu'il ne répond toujours pas.

Il sursaute comme si je l'avais giflé, regarde autour de lui d'un œil affolé avant de reporter son attention sur moi. Son attitude m'inquiète. Il remonte ses lunettes sur son nez d'un doigt légèrement tremblant, avant de répondre du bout des lèvres :

— Il... il n'y a rien à l'extérieur. Les rayons du Soleil ne permettent pas de vivre en dehors de la Cité-paradis. Aucune personne normalement constituée ne peut survivre à l'extérieur.

Menteur.

Une bouffée d'agacement m'envahit. Bien sûr. A quoi je m'attendais. Si Eve me ment, ça veut dire qu'Immortalys tout entier me ment, et donc Christophe aussi ne va pas me dire la vérité. Très bien, si c'est comme ça, je vais me débrouiller tout seul.

— Je ne me sens pas très bien, finalement, déclaré-je un peu sèchement. J'ai besoin d'être un peu seul, s'il te plaît. Je me débrouillerai pour trouver le laboratoire d'Eve. Au revoir.

Sur ces mots, je tourne les talons dans l'intention de mener enfin mes investigations. Contre toute attente, Christophe me retient par le bras. Son geste manque d'assurance, mais il ne me lâche pas, même quand je me retourne pour le dévisager avec méfiance et surprise.

— Ne faites pas ça, murmure-t-il en me fixant cette fois-ci droit dans les yeux.

Les siens brillent d'une lueur à la fois alarmée et suppliante. Il a peur. Je ne comprends pas.

— Quoi ? balbutié-je, à la fois sur le qui-vive et l'incompréhension totale.

— Vous vous ferez prendre en moins de deux minutes. Il y a des caméras dans les labos.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, riposté-je aussitôt en me dégageant de sa prise.

— Je sais que vous voulez des réponses, mais vous ne les trouverez pas comme ça.

Je reste sans voix face à ses derniers propos. Mais comment... ? Est-ce que cela veut dire qu'Eve et le professeur Bakary sont aussi au courant de mes intentions et de mon stupide plan ? Je n'ai cependant pas le temps de m'appesantir là-dessus, car Christophe m'attrape à nouveau par le bras. Il m'entraîne un peu plus loin d'un pas pressé. Je me laisse faire, encore sous le choc, avant de reprendre mes esprits.

— Lâche-moi, exigé-je. Je... je ne veux pas te faire de mal.

Christophe s'exécute aussitôt, prenant visiblement ma menace très au sérieux. Il me couve d'un regard inquiet, remonte à nouveau ses lunettes sur son nez d'un geste nerveux. Ses mains serrent convulsivement sa tablette contre son torse. Et puis soudain, il me tend l'appareil d'un geste brusque. Je suis totalement éberlué par son comportement.

— Prenez ça, insiste-t-il alors que je ne fais aucun geste pour saisir la tablette. Vous y trouverez des réponses à vos questions. Le mot de passe est... euh... RAELLE586.

Christophe prononce les derniers mots en rougissant furieusement, les bras toujours tendus vers moi. Puis sans plus de cérémonie, il me fourre l'appareil dans les mains.

— Raelle tout en majuscule et sans tréma, précise-t-il, l'air horriblement gêné. Le mot de passe vous permettra d'accéder à un serveur sécurisé où j'ai stocké tous les fichiers vous concernant... Je suis désolé, je ne peux pas vous en dire plus pour l'instant.

Je ne sais plus quoi penser. D'abord Ka et Abe qui viennent de l'extérieur et me préviennent qu'Eve me cache (peut-être) des choses. Et maintenant Christophe qui me livre toutes les réponses à mes questions sur un plateau d'argent ! Mais qu'est ce qui se passe à la fin !

Je reste figé sur place. Heureusement que mon improbable acolyte est là. Il me touche timidement l'épaule pour me faire réagir. Ses yeux marrons me fixent dans un mélange d'inquiétude et de déférence. Je m'écarte aussitôt de lui, mal à l'aise.

— Vous feriez mieux de rentrer, déclare-t-il à voix basse. Je vous raccompagne. Ne vous inquiétez pas, je trouverais une bonne excuse auprès de M.. d'Eve et du Professeur Bakary.

Christophe marque un temps d'hésitation avant de reprendre, l'air à nouveau suppliant.

— S'il vous plaît, ne faites rien d'inconsidéré lorsque vous découvrirez la vérité. Ce n'est pas encore le moment de faire des vagues, vous comprenez ?

Non. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Mais je décide de me concentrer sur la tablette qu'il vient de me donner. Les réponses que je cherche sont peut-être là. Entre mes mains.


Nouveau (long) chapitre de PO ! OUI JE SAIS ! Tout comme vous, j'ai l'impression que ça traine en longueur mais j'y peux rien, en plus je trouve ce chapitre moche. Je trouve que ça manque de descriptions... je sais pas pff  T____T M'enfin, les révélations sont ENFIN pour le chapitre suivant promis ! Des débuts de révélations, pardon mouhehehehe 

Voilà c'est tout ce que j'ai à dire, je suis pas très loquace aujourd'hui. En espérant que ce chapitre vous a quand même plu, je guette vos commentaires avec angoisse. Bisous ! 

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