Chapitre 52
8 aout 1981
Assise sur le lit, l'adolescente pleure à chaudes larmes quand son petit ami se glisse dans la chambre. Nikita s'installe à ses côtés et pose une main sur son genou.
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
Le regard empli d'une colère noire, Margaret le rejette.
— Depuis combien de temps ?
— De quoi ?
— Tu as couché avec Helen, crache-t-elle, ne me mens pas. Je vous ai entendus. Tu m'avais promis d'attendre que je sois prête et tu es allé voir ailleurs. Maintenant, elle est enceinte. Depuis combien de temps ça dure entre vous ?
— Depuis deux mois.
Une gifle part.
— Mon père avait raison à ton sujet. Tu n'es pas une bonne personne. Tu ne vas même pas assumer auprès de Helen, parce que tu sais très bien que ses parents ne la laisseront pas avorter. Ils sont contre. Elle va devoir élever cette enfant seule alors que toi, tu vas partir d'ici dès que l'occasion se présentera. Tu es un être abject, un lâche ! Je te déteste ! Comment j'ai pu t'aimer ? Pourquoi es-tu revenu ? Quand tu as voulu faire une pause dans notre relation... Pourquoi être revenu si tu ne m'aimes pas ? Si pendant ce temps, tu t'envoyais en l'air avec mon amie ?... Réponds-moi ! Pour une fois dans ta vie, sois honnête !
Devant le silence de son petit ami, l'adolescente attrape ses affaires et se dirige vers la porte. Nikita lui saisit le bras.
— Arrête. Dors au moins ici, il est tard. Tu ne vas pas rentrer à pied dans le noir, c'est dangereux. Aucun de nous ne peut te ramener, on a bu.
Margaret se dégage de son emprise. Nikita attrape son chemisier qui se déchire lorsqu'elle le repousse.
— Je ne veux plus jamais te revoir.
Elle dévale les marches quatre à quatre et sort en claquant la porte.
Noyée dans ses larmes, l'adolescente erre au bord de la route quand une voiture arrive en sens inverse. Le véhicule la dépasse, avant de revenir en arrière. D'abord apeurée, Margaret presse le pas. Manquerait plus qu'elle tombe sur un dégénéré.
Arrivé à sa hauteur, le conducteur baisse la vitre. Elle reconnait alors l'assistant du coach : Stephen LeBlanc.
— Margaret ? Qu'est-ce que tu fous là ? T'es pas au chalet ? Il est où Nikita ?
Des trémolos dans la voix, la jeune fille peine à s'exprimer.
— Allez, monte, l'invite Stephen, je te ramène.
Elle monte dans le pickup, les bras croisés contre sa poitrine pour masquer son intimité. En voyant son haut complètement déchiré, Stephen s'inquiète.
— Putain, qu'est-ce qui t'est arrivé ?
— C'est Nikita, pleure l'adolescente, il a...
Elle s'effondre. LeBlanc envisage le pire.
— Il t'a fait du mal ? Est-ce qu'il t'a touché ?
Margaret agite la tête sans un mot, sans savoir que ce simple geste aura de lourdes conséquences. LeBlanc s'agite sur son siège, et récupère un vieux t-shirt sur la banquette arrière : sa tenue de co-entraineur.
— Tiens, enfile ça. Tu vas pas rester comme ça.
L'adolescente obéit dans un geste mécanique avant de fondre en larme en apercevant le renard. Cet animal, avec son regard vif et indifférent, lui rappelle ce garçon qui lui a brisé le cœur. Une douleur sourde l'envahit. Elle aimerait en faire autant : briser le sien. De cœur. En voyant cette jeune fille anéantie dans ses vêtements déchirés, Stephen sent la rage monter. Ses poings se crispent sur le volant. Des images se profilent dans sa tête, imaginant le pire. Il redémarre en trombe, et, au lieu de se rendre à la ferme des Campbell, décide de rebrousser chemin pour en découdre avec l'adolescent. Sur la route, ils récupèrent Aaron Crawford qui, renvoyé par Nora Fawcett, revient bredouille du Daily Stop.
Sur le chemin menant au chalet, Stephen coupe le moteur. Le silence s'étend comme un voile lourd autour d'eux. Margaret, dans un regain de lucidité, demande cinq minutes à Stephen. Elle désire s'entretenir un instant avec Nikita. Il accepte, réfléchissant à ce qu'il allait dire à Nikita, ce qu'il allait lui faire, tandis qu'Aaron reste à ses côtés, les mains enfoncées dans ses poches, observant la scène sans mot dire.
Margaret s'avance dans le chalet, la colère au ventre. Dans l'escalier, elle entend un rire à l'étage. Un rire distinct. Celui de Nikita. La noirceur l'envahit de nouveau. Il se moque d'elle, de ce qui aurait bien pu lui arriver sur cette route déserte. Elle était seule, dans le noir, à la merci du premier cinglé qui passait par là, et lui rit. Le son se résonne glacial, cruel.
Elle ressort, furieuse.
— Margaret, l'interpelle Stephen qui sent que les événements sont en train de tourner. Viens, je te ramène. On parlera de tout ça à ton père.
Elle l'ignore, le repousse véhémente quand il tente de s'approcher. Il ne la reconnait plus. Ainsi, il ne réagit pas quand elle s'empare d'un jerrycan, servant à alimenter un bateau à moteur en carburant.
— Garde Aaron à distance, le prévient-elle.
Elle retourne à l'intérieur, laissant les deux garçons pantois. Elle débouche le bidon, et une forte odeur d'essence envahit instantanément l'espace, suffocante. Dans un état second, l'adolescente arrose le sol et les murs, canapé, fauteuils et tapis, fouille dans les tiroirs de la cuisine à la recherche d'une boite d'allumettes. Sans hésiter, elle en craque une, puis deux. Les flammes dansent entre ses doigts, si fragile et pourtant capable de tout ravager. Enfin, elle les laisse tomber sur le sol imbibé. En un instant, le feu court sur le parquet, dévore le tissu et les meubles avec un appétit vorace. Les ombres se tordent autour d'elle lorsqu'elle ressort sans un regard en arrière.
Médusé, Stephen agrippe violemment son bras.
— Qu'est-ce que t'as foutu, putain ?
Margaret ne vacille pas, son regard fixé droit devant elle, imperturbable. Le jeune homme se précipite vers le chalet. La chaleur du brasier se fait déjà sentir avant même qu'il n'atteigne la porte. Lorsqu'il l'ouvre d'un geste violent, un mur de flammes l'aveugle. Une fenêtre explose. Il tombe en arrière et, terrifié, recule. Le feu dévore tout, rugissant comme une bête affamée. Des cris apeurés résonnent. Il veut se lever, courir, foncer dans les flammes et les sortir de là, mais la peur le retient de force. Il est impossible d'entrer, tout comme il est impossible d'en sortir. Les garçons sont pris aux pièges. Même s'il se rendait en ville le plus rapidement possible pour prévenir les secours, les pompiers n'arriveront à temps. Ils vont mourir. Tous.
Son regard se durcit. Une rage froide s'empare de lui. Stephen revient sur ses pas. Il attrape Margaret par le col et la soulève de terre, ses yeux brûlant de colère.
— T'es complètement dingue ou quoi ?
Il la lâche. L'adolescente tombe sur ses fesses. Stephen explose, hurle sur elle, lui demandant des explications. Aaron reste dans son coin, les mains plaquées sur ses oreilles. LeBlanc s'éloigne vers sa voiture. Tout ça va trop loin. Margaret le suit.
Au même moment, Nikita Pavel échappe aux flammes par la lucarne d'une salle de bain en descendant le long d'une gouttière. L'acier lui brûle ses mains nues. Des bouts de verres lui entaillent les pieds. Chaque mouvement est une torture. L'adolescent lâche prise à deux mètres du sol. Son corps s'écrase lourdement sur sol. L'impact lui couple le souffle un court instant. Pavel serre les dents et se relève. Il se passe une main sur le visage, réalise avec horreur que ses cheveux et ses sourcils ont partiellement brûlé. Son crâne est à moitié dégarni, sa peau rougie et cloquée. Il recule en boitillant, cherchant à s'éloigner le plus possible du brasier. Il balaie les environs et réalise avec effroi l'ampleur du drame. Les flammes s'élèvent haut dans la nuit, léchant le ciel nocturne, et ses amis se trouvent encore dans cet enfer.
L'adolescent hurle leurs noms, tandis que des cris de terreur lui répondent. Nikita ne sait pas quoi faire. Il ne peut pas retourner à l'intérieur pour prévenir les secours, ce serait du suicide. Et il ne veut pas abandonner ses amis pour retourner en ville.
L'angoisse le dévore, ses mains tremblent, sa vision se brouille. Il jette un nouveau regard autour de lui, dans l'espoir fragile d'une solution, quand il aperçoit du mouvement sur sa droite. Aaron. Il clopine vers lui.
— Ah, tu es encore là. Vite, il faut ap...
Les mots s'éteignent sur sa langue. Derrière lui, Margaret vient d'abattre furieusement un marteau sur son genou.
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