Chapitre 48
Je m'incline dans une lenteur à fendre l'âme. Des millimètres séparent nos lèvres, qui, suspendues, se frôlent dans l'attente fiévreuse d'un premier contact. Ma main gauche abandonne son cœur, navigue sur ses côtes, puis se pose sur son ventre nu afin de caresser ce territoire inexploré. Je croise son regard, semblable à un coucher de soleil, empli d'une douceur inconnue qui me désarme. Sam patiente sans oser entreprendre un geste, enveloppé d'un halo rosé de plus en plus puissant. Il a fait le premier pas, mais me laisse clairement le libre arbitre quant à la suite des événements. Une folle envie de le faire languir me prend. Alors, au lieu que nos langues ne se rencontrent, mes dents viennent mordiller le bord de sa mâchoire.
— Ce n'est pas vraiment ce que j'ai demandé, se plaint-il dans un sourire.
— Non ? soufflé-je.
Les yeux fermés, je plonge du côté droit pour attaquer sa carotide palpitante, galvanisé par son odeur. Cette satanée odeur qui me rend ivre de désir. Je voudrais rester là jusqu'à la nuit des temps, ne sentir plus que ça. Son parfum et rien d'autre.
— Raphael...
Sans retenue, je baise sa peau et me délecte de la chair de poule provoquée par le tracé de ma langue.
— Ça ne te plait pas ? murmuré-je contre sa clavicule.
Il rit :
— Si. Mais embrasse-moi, sinon je vais perdre la raison.
Le bout de mes doigts s'infiltre timidement sous la toile usée de son jeans, tandis qu'insatiable, je sème une traînée de baisers ardents sur son épaule.
— C'est ce que je fais, me défends-je.
— Pas là. Pas comme ça. Je veux goûter tes lèvres, sentir ta langue contre la mienne.
Mes doigts abandonnent leur antre et, dans un geste sec, tirent vers l'arrière ses mèches flamboyantes.
— Sinon quoi ? (Le souffle erratique, ma bouche parcourt son visage en prenant un malin plaisir à éviter la sienne.) Vous allez m'arrêter, officier Greene ?
Sam s'accroche à ma nuque.
— Ça se pourrait. Je n'ai pas récupéré mes menottes, mais il doit me rester des serflex dans un tiroir.
Je mords le lobe de son oreille.
— Ne me tente pas, susurré-je.
— Alors, embrasse-moi.
— Dis-moi ton prénom en entier, et on verra.
— C'est de la corruption.
— Vois ça comme un échange de bons procédés.
— Toi d'abord.
J'arrime son regard et y lis une passion dévorante. Depuis combien de temps ne me suis-je pas envoyé en l'air ? Je n'en sais rien. Plusieurs mois. Au moins cinq. J'ai arrêté en même temps que la drogue et l'alcool. Le sexe me rappelait trop mes travers. Je me revois dans ces chambres d'hôtel miteux, dans les voitures garées dans une ruelle sombre ou sur un parking désert. Je vois son regard alterner de mes lèvres à mes yeux, et la peur m'envahit. J'ai lâché ma garde, me suis laissé tenter par l'ivresse du désir. La plus puissante des drogues. Ivresse. Drogue. Ces mots conviennent parfaitement. Parce que c'est ce que j'ai l'impression d'être : ivre, drogué. Je m'écarte brusquement.
— Je ne peux pas.
— OK, accepte doucement Sam, on n'est pas obligés d'aller plus loin, si tu n'en as plus envie. Et puis c'est moi, tu me racontes tout ça et je suis là à te faire des avances.
— J'en ai envie, c'est juste que...
Les mots se bousculent dans ma tête.
— Je n'ai jamais...
— Quoi, chuchote Sam, couché avec un homme ?
— Couché en étant sobre, le corrigé-je, j'ai... Ironiquement, je n'étais jamais sobre quand je rencontrais mes clients. Ni même avec Sofia, d'ailleurs. Je m'enfilais toujours un truc en douce avant parce que... Enfin, bref. J'avais besoin d'une dose pour... pour m'adonner à ces pratiques qui me permettaient elles-même de me payer ma dose. Je suis... Je suis sale. Putain, je sais même pas si je suis clean.
Je tourne le dos au canapé. Sam enfile sa chemise et se poste devant moi.
— Eh, non... Tu n'es pas sale, me rassure-t-il, d'une voix douce, moi aussi j'ai eu plusieurs partenaires et alors ? J'ai ce qui faut, et on peut faire un test.
— J'ai commencé à faire ça très tôt, Sam. Vraiment très tôt, lui révélé-je sans croiser son regard.
— Quel âge tu avais ? Je croyais que tu avais été enfermé dans un centre de tes 14 ans jusqu'à ta majorité.
Je ne réponds pas.
— Raphael, quel âge tu avais ?
— Peu importe. Je suis devenu accro très rapidement et comme j'avais pas d'argent pour me payer ma dose et que je n'existais pas aux yeux de mon grand-père. C'était la seule solution. Je suis désolé.
— C'est moi qui suis désolé. Je suis désolé que la vie ne t'ait pas épargné.
— J'ai peur, Sam.
— De quoi as-tu peur ?
— De ce que je ressens quand tu es avec moi. J'ai peur de te faire souffrir. J'ai peur... J'ai peur de t'aimer parce que j'ai peur de te perdre. Et ça arrivera forcément un jour... Un jour ou l'autre, tu en auras marre de moi. De mes sautes d'humeur, de mes caprices, de jouer les infirmiers. Je... Je ne veux pas devenir un poids pour toi ni pour quiconque. Je ne le supporterai pas. Car quoi que tu penses, tu ne pourras pas me réparer. Quand on cherche à sauver quelqu'un qui se noie, on coule avec lui. Je refuse de te voir sombrer avec moi...
Sam esquisse un geste vers ma main.
— S'il te plait, supplié-je, en m'éloignant. Ne me touche pas.
— Je ne peux pas te sauver, c'est vrai. Personne ne le peut à part toi-même. En revanche, tu as besoin d'aide pour ça. Tu sais ce que je t'ai dit ce matin ; à propos d'aller consulter un psy ? Je pense réellement que ce serait une bonne chose. Et je serais pour t'aider. Je le répéterai jusqu'à ce que tu le croies ; tu es, et ne seras jamais un poids pour moi, Raphael. Tu sais pourquoi ?
Il approche son visage du mien et pose ses mains sur mes joues, caressant mes tempes avec ses pouces.
— Parce que je tiens à toi. Parce que je suis en train de tomber amoureux de toi, Cendrillon.
Je me perds dans les étoiles brunes qui constellent son visage. Pourquoi faut-il qu'il me dévoile ses sentiments ? Aimer est une chose. Être aimé en est une autre. Avant, je pouvais toujours me mettre des œillères, ignorer cet attachement réciproque et mettre ça sur le compte du désir charnel. Plus maintenant. Pas après ce qu'il vient de me confesser. Ma boussole est flinguée. Je n'ai plus très envie de partir d'ici, pas l'envie de m'installer dans cette ville non plus.
— Sam...
— Tu n'as pas besoin de répondre tout de suite, me coupe celui-ci, comme s'il venait de lire le fond de mes pensées.
— Non, écoute-moi. Je... Je ne sais pas si je vais rester.
Sam reste silencieux un moment, son expression indéchiffrable.
— Je suis au courant, finit-il par avouer dans un soupir, en se détachant de moi.
— Tu es au courant ?
Il va s'asseoir sur le canapé, la mine défaite.
— Ma mère m'en a parlé. Quand vous avez discuté à Noël, tu lui as dit que tu ne comptais pas t'éterniser dans le coin. Elle me l'a répété lorsqu'elle a compris que j'avais le béguin pour toi. Elle ne voulait pas que je m'attache, mais comme je te l'ai dit : c'est trop tard.
Je le rejoins.
— Sam... Ma décision n'est pas encore prise. Je... Je suis paumé.
Il pose sa main sur mon genou.
— Je sais. Peu importe celle que tu choisiras, j'espère qu'elle te rendra heureux. Juste... cesse de fuir le bonheur.
La porte d'entrée s'ouvre soudain, interrompant à nos confidences.
— Coucou ! Oh... Désolée, s'excuse Chloe, j'interromps quelque chose ? Je peux repasser plus tard, si vous voulez.
— Non. Non, tout va bien, ment son frère, dissimulant habilement toute trace d'émotion sur son visage.
— Salut, Chloe, dis-je avec un sourire poli.
Cette dernière soulève le couvercle de la poêle pour en humer les effluves.
— Hum, tu as eu droit à un bon repas, commente-t-elle, en m'envoyant un clin d'œil.
— Excellent.
— Comment vont Emmy et sa mère ? interroge Sam.
Elle plonge une fourchette dans le plat et la glisse dans sa bouche.
— Pas fort.
— Elles savent comment une personne aurait pu entrer dans la cabane ? questionné-je.
Appuyée contre le plan de travail, elle fait non de la tête.
— Elles n'en ont aucune idée. Elles n'y avaient plus mis les pieds depuis la mort de Stephen. Elles pensent que le coupable a dû forcer la serrure. Et puis, la scientifique a trouvé un truc bizarre. Une sorte de caméra qui s'allume lorsqu'elle détecte du mouvement. Peut-être que ton agresseur a été alerté de cette façon.
— Et Jake, rebondit Sam, elles ont pu donner une explication.
— Elles ne savent rien. LeBlanc et lui ne se fréquentaient pas.
— Et Boris Pavel, ajouté-je.
Chloe lance un regard interrogateur sur son frère.
— C'est une longue histoire.
— Je ne sais pas. Faudrait que je leur demande, mais ça m'étonnerait. Je ne l'ai jamais vu chez eux. Qu'est-ce qui se passe ici ?
Sam m'observe, et, d'un signe de tête, je lui donne mon accord. Alors, il lui explique tout depuis le début. L'incendie. Mes recherches effectuées. Mes doutes concernant la maternité d'Helen Anderson. Ceux au sujet du meurtrier d'Adam qui pourrait être Boris. Quand il a fini, elle se laisse choir sur une chaise.
— Vous ne pouvez plus garder ça pour vous, vous devez en parler à un supérieur.
— C'est prévu, annonce Sam, évidemment, on ne peut pas se confier à Anderson. Si on touche la vérité, alors elle est trop impliquée. Demain, à la première heure, on balance tout à Harris.
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