Chapitre 47
J'analyse l'écriture de Helen présente sur le contrat de collaboration que j'ai signé plusieurs semaines auparavant et la compare mentalement à celle des lettres anonymes. Celle-ci paraît certes plus mature, mais la ressemblance me frappe. Anderson peut être l'auteure de ces mots d'amour. Je m'empare du portrait de l'adolescent et l'analyse dans les moindres détails.
— À quoi tu penses ? demande Sam en s'installant à mes côtés.
— Je réfléchis.
— Je vois ça. Où est passée ton ardoise ?
— Aucune idée.
Sam dépose ses lunettes de lecture sur le meuble en bois. La main sous le menton, il me jauge.
— C'est une manie chez toi de perdre les choses, non ? Elle doit être dans la salle d'observation. On ira la récupérer plus tard. Enfin, si tu veux. Parce que ce système de communication n'a pas l'air de beaucoup t'enchanter.
— Pas vraiment, rétorqué-je, égaré dans mes pensées.
J'abandonne la photo de Nikita sur la surface en bois éclairée par la lueur jaunâtre du plafonnier et une moue défigure mon visage. Je comprends pourquoi Helen ne s'est pas attardée sur cette prétendue relation avec lui, mais quelque chose me chiffonne. Sam craque ses larges épaules et ajoute :
— T'es passé où cet après-midi ? Je t'ai cherché partout.
— Je suis allé interroger Boris Pavel.
— Mince Raph, qu'est-ce qu'on avait dit ? Tu ne devais plus vadrouiller de la sorte tout seul.
— Tu comptes m'attacher ?
Un sourire en biais, la bouche de Sam s'ouvre avant de se refermer aussitôt. Je toussote.
— Et ton entretien avec le médecin d'Aaron ?
— Laisse tomber. J'y suis allé avec Coffin. On n'a rien appris de plus, sauf l'origine de son retard mental. Son cerveau a été privé d'oxygène durant l'accouchement.
— Et ça l'empêche de vivre en société ?
— Le docteur Cooper m'a affirmé que non. Du moins avec de l'aide pour les tâches de tous les jours ; cuisiner, faire le ménage, etcetera, mais ses parents ont insisté pour le placer à Harmony juste après l'incendie. Aaron était devenu nerveux et avait recommencé à mouiller son lit. Il régressait, mais après plusieurs mois, il avait reçu l'autorisation de sortir.
—Tu parles, ils se sont débarrassés de lui. Aaron croit encore qu'ils vont revenir le récupérer, même après tout ce temps.
— À ton tour, que cherchais-tu chez Pavel ?
— Il a un chien. C'est grâce à un aboiement qui a effrayé mon agresseur que j'ai pu m'enfuir. Je voulais savoir s'il se trouvait dans les bois à ce moment-là, mais non, il ne sort plus et Bonnie se balade seule. J'en ai profité pour lui demander s'il conservait des souvenirs de son frère. Il m'en a apporté et des lettres ont attiré mon attention.
— Des lettres ?
— D'amour. Certaines provenaient de Margaret Taylor. Ce qu'elles contiennent importe peu. En revanche, d'autres n'étaient pas signées et l'écriture n'était pas la même. Je crois que celles-ci ont été rédigées par Helen. Dommage que je n'aie plus de téléphone. Je les aurais photographiées et te les aurais montrées pour obtenir ton avis. Et...
Je cherche à déchiffrer son humeur dans son attitude. L'idée qui m'a traversé l'esprit ne lui plaira pas.
— Et ?
— Il te reste des photos de Jake ? Jeune, si possible.
— Non, tu penses bien. Qui garde des photos de son ex ?
Je ne rebondis pas. Je l'ai bien fait.
— Et ses réseaux sociaux ?
Il ouvre une application sur son téléphone.
— Cherche pas. Il est en privé. Il y a celle-là, mais elle est assez récente, j'ai l'impression.
J'observe la photo de profil. Jake bronze au bord de l'eau — difficile à dire s'il s'agit du lac Kangi — et tient une canne à pêche dans une main ainsi qu'un omble de fontaine par la queue dans la seconde. Je la compare avec celle de Nikita, puis tends les clichés à Sam.
— Tu ne trouves pas qu'ils se ressemblent ?
— Je ne suis pas très physionomiste moi, tu sais.
Je pointe mon index sur l'écran.
— Regarde leurs mâchoires. Cette légère asymétrie. Leur sourire.
— Où tu veux en venir ? demande Sam, d'une voix incertaine.
— Jake... Je ne crois pas qu'il soit le frère de la capitaine... Je crois que c'est son fils.
Ces derniers mots suspendent brièvement le temps. Des personnes peuvent partager des particularités physiques sans avoir d'ADN commun. Je tente de me remémorer les propos de Sam, au sujet de sa rencontre avec Jake. Le premier était âgé de dix-sept ans et le second... Je ne me souviens plus s'il me l'a dit.
Sam me détaille en silence, puis souffle du nez.
— Quoi ?
— Tu m'as dit que Jake était plus vieux que toi. Quel âge a-t-il exactement ?
Il blêmit quand il redresse son échine.
— Quarante.
— Je n'en suis pas sûr à cent pour cent, mais ça expliquerait beaucoup de choses. Les lettres. Pourquoi elle a disparu les mois suivant l'incendie. Ce n'était pas dans le but de fuir Bellwood le temps que l'histoire se tasse ou par peur que Nikita revienne. Ils voulaient dissimuler sa grossesse. Que ce soit pour ne pas attirer les projecteurs sur elle quant à l'affaire, ou parce qu'attendre l'enfant à un si jeune âge ferait tache, d'autant plus si le père est un meurtrier.
Les paupières plissées, Sam pose une main sur mon poignet.
— Attends, attends. Ralentis... Laisse-moi le temps de digérer. J'en suis à : Jake est le fils de la capitaine.
— Tu ne t'en es jamais douté ?
Sam écarquille les yeux.
— Non, quelle idée ! Pendant notre relation, en aucun cas, il n'avait sous-entendu quoi que ce soit qui puisse aller dans ce sens. Il ne le sait peut-être pas.
Je recule sur le canapé, bras croisés contre mon torse.
— Si. Je crois qu'il l'a découvert, il n'y a pas longtemps. L'après-midi du 2 décembre, quand je suis venu déclarer le meurtre de Hasna. Je les ai entendus s'engueuler avec Helen et...
— Avec Chloe aussi, il nous arrive de nous prendre le chou.
— Ce n'était pas une simple dispute entre un frère et une sœur. Jake avait vraiment l'air furax. Tu aurais vu son regard. J'ai cru qu'ils allaient en venir aux mains.
— Imaginons que c'est le cas. Que Jake est son fils. Tu penses qu'Anderson aurait pu s'en prendre à Nikita ? demande Sam.
— Probable. Après tout, je t'ai dit qu'il y avait une fille dans cette voiture. Elle peut lui avoir annoncé sa grossesse et s'être fait rejeter. Nikita sortait avec Margaret, mais ils ne couchaient pas ensemble. Nikita l'a peut-être utilisé pour satisfaire ses besoins. Un avenir de champion l'attendait. Un bébé l'aurait obligé à réévaluer ses projets de gloire. Et elle n'a pas supporté de s'être fait berner.
— Hmm, cette théorie me dérange. C'est la flic la plus droite que je connaisse. C'est précisément à cause de cet incendie qu'elle s'est engagée. Quand Anderson est arrivée dans la police, elle a fait grand bruit. Elle s'est attiré les foudres de ses supérieurs, ce qui ne l'a pas empêchée aujourd'hui d'accéder au titre de capitaine. Bref, comme toi, elle sentait que cette histoire puait. J'ignore si elle voulait retrouver Pavel, ou si elle le croyait mort, mais on ne l'a pas laissée fouiner. Elle a sans doute abandonné pour ne pas devenir persona non grata dans la profession.
— Laisse-moi deviner. Le capitaine de l'époque, c'était toujours Campbell ?
— Je ne sais plus, j'étais gamin. Ce que je te raconte n'est que des colportages.
— Il reste Margaret, proposé-je, si elle a découvert leur relation cachée et qu'en plus Helen était enceinte de son petit ami, elle peut avoir vrillé. C'est là que Duncan entre dans l'équation.
— Ça se tient... Pour Jake, tu crois qui l'aurait appris au début du mois, le jour de leur dispute ? Parce que je t'assure que pendant tout le temps où nous nous fréquentions, je n'ai jamais rien relevé.
— Non, bien avant ça. Au minimum avant octobre. Rappelle-toi ma première impression. Je pensais que tous ces meurtres étaient liés d'une certaine façon. Je crois que j'ai vu juste. J'ignore comment Jake aurait découvert la vérité. Peut-être que sa famille a fini par tout lui révéler à un moment ou un autre. Et en l'apprenant, il a voulu en savoir plus sur ce père qu'il n'a pas connu. Bingo. Il lui restait un oncle, ici, à Bellwood. Il n'a rien laissé paraître quand je suis venu le voir, mais une chose m'a fait tiquer chez lui. Sa bibliothèque croule sous le poids de livres en rapport avec le bois. Adam bossait à la scierie, non ? Je mettrai ma main à couper que Boris aussi y travaillait avant sa retraite.
L'esprit en ébullition, je poursuis tandis que Sam tente de suivre.
— D'ailleurs, il était convaincu que Nikita était mort. Au début, je pensais qu'il ne voulait probablement pas admettre que son frère puisse être un criminel, mais en réalité, il connaissait déjà la vérité. Quand il a découvert l'existence de ce neveu, il l'a sans doute convaincu de se faire embaucher là où était interné l'unique témoin de cette nuit. Jake s'est rapproché d'Aaron jusqu'à obtenir sa confiance et il a fini par lui raconter les événements du chalet.
Sam me toise en silence.
— Je ne sais pas quoi dire. Tout ça paraît délirant, mais possible. Laisse-moi réfléchir à tout ça. Non, tu sais quoi, poursuit-il en remballant les notes et photographies éparpillées sur la table basse. Fini pour aujourd'hui le boulot. Demain à la première heure, tu répéteras tout ça à Harris et on avisera avec lui. Tu as faim ?
J'acquiesce malgré mon manque cruel d'appétit, ce qui ravit mon hôte.
— Hum... Je ne sais pas quand Chloe compte rentrer. Elle rend visite à Emmy. Cette histoire avec la cabane de son père les a déboussolées, elle et sa mère. Tu veux manger quoi ?
— Ce que tu veux, mais je préférerais rester ici et ne pas aller au restaurant si ça ne te dérange pas. Je n'ai pas très envie de sortir.
— Alors on est deux. Et je ne vais pas te mentir. Je ne serais pas en mesure de rendre visite aux Taylor, après ce que tu viens de me raconter.
Il ouvre le frigo.
— Le saumon, ça t'intéresse ?
Devant ma mine écœurée, Sam n'a pas besoin de réponse.
— Mince... Tu n'aimes pas le poisson. Étrange, pour quelqu'un originaire d'Alaska.
— Je suis canadien, corrigé-je, et irlandais.
Sam roule ses épaules d'avant en arrière et s'étire la nuque.
— Bien, monsieur l'irlando-canadien, que diriez-vous de... Oh, je sais !
Amusé, je l'observe s'activer derrière le four, à hacher de l'ail et du persil, découper des escalopes de poulet en fines tranches. Désireux de contribuer, je lui demande s'il a besoin d'aide mais, tout comme sa mère, Sam décline poliment mon offre, prétextant détester avoir du monde dans ses jambes lorsqu'il cuisine. Il dépose une casserole d'eau sur le feu pour y cuire des pâtes fraîches, tandis qu'il assaisonne la viande et l'ail dans une poêle. Au fil de la préparation, une délicieuse odeur envahit l'appartement.
En déambulant dans le salon, je remarque une console ainsi que des dizaines de jeux vidéo triés par ordre alphabétique. De quoi combler des nuits entières.
— Je ne t'imaginais pas en ado attardé.
— Ils sont à Chloe, rétorque Sam.
— Encore moins.
En parcourant le meuble, je tombe nez à nez avec une photo d'un adolescent, un casque de football américain sur la hanche et à la chevelure flamboyante. Sam se glisse dans mon dos.
— J'étais pas mal, hein ? lance celui-ci.
— Doué ?
— Sans plus. Une chose est sûre, je détestais ça. Je suis entré dans l'équipe pour faire plaisir à mon père. Il en avait fait aussi. Le jeune Sam n'était pas aussi confiant qu'aujourd'hui.
Je me tourne vers lui.
— Tu vas bien ?
Ma question semble le surprendre.
— Je ne t'ai jamais demandé comment tu te sentais, alors que toi, tu passes ton temps à t'inquiéter pour moi.
— Je vais bien. Un peu fatigué, mais ça va. Ma proposition pour cette semaine de vacances compte toujours. Souffler nous fera du bien, à toi surtout.
— Sam..., commencé-je d'une voix frêle.
— Oui ?
Je veux lui faire part de mon désir de quitter Bellwood, mais me ravise.
— Rien. Ça... ça peut attendre.
Une demi-heure plus tard, nous dégustons un succulent poulet Alfredo.
— Alors comment tu trouves ?
— Excellent. Peut-être que c'est toi, finalement, qui a raté ta vocation.
— Oui, je sais. Je suis un véritable cordon bleu.
— Ça va les chevilles, m'exclamé-je, pas trop enflées ?
Sam jette un œil sous la table, feignant de vérifier.
— Elles m'ont l'air tout à fait normales.
Je secoue la tête, un sourire franc plissant mes yeux. Plus le temps passe, plus je ressens un profond attachement pour lui. Une sensation délicate a pris racine dans mon ventre. Sa simple présence suffit à éclairer mes journées, et elle en est devenue aussi précieuse que dangereuse.
— En tout cas, c'est très bon. Vraiment.
Sam me remercie avec modestie cette fois-ci. Je ne peux m'empêcher de l'étudier. Chaque regard furtif déclenche un battement en plus dans ma poitrine. L'attirance que j'éprouve pour lui commence à gagner du terrain malgré mes efforts pour ne pas y prêter attention. Tomber sous le charme de quelqu'un, d'un flic, qui plus est, était bien la dernière de mes préoccupations lorsque j'ai emménagé ici.
— Sam, je peux te poser une question très personnelle ?
— Ça dépend.
Je reste silencieux.
— Je plaisante. Vas-y, je t'écoute.
— Est-ce que tu crois en Dieu ?
— Oui.
— Même avec ce que dit la bible sur les rapports homosexuels ?
Il pose sa fourchette et réfléchit un instant.
— Avant de faire mon coming out, ou plutôt avant que Oswald me le vole, j'ai demandé pardon à Dieu pour mes... pensées. Je n'éprouvais aucun désir pour une fille, tandis que mon corps réagissait en présence d'un beau garçon. Je voyais bien autour de moi que ce n'était pas le cas des autres. Ils avaient des filles à leurs bras, alors que ça ne me disait rien. Jake bossait au lycée à cette époque, toujours comme agent d'entretien. Quand je l'ai rencontré, ç'a été un véritable feu d'artifice, et en même temps un véritable calvaire. J'étais perdu entre le désir de combler mes besoins sexuels, et mon envie de suivre les préceptes de la bible, d'être un bon croyant.
— Qu'est-ce qui a changé ?
— J'ai mûri. Malgré nos désaccords, Jake m'a aussi ouvert les yeux sur certains points et je lui en serais éternellement reconnaissant pour ça. Ça n'a pas été facile. Encore aujourd'hui. Je ne vais plus que très rarement à l'église, parce que, même si personne n'ose dire quelque chose, je sens bien les regards insistants sur moi. Certains ne le diront jamais — à part Oswald, si on doit lui reconnaître une qualité à celui-là c'est sa franchise — mais pour d'autres j'y ai perdu ma place. Ce qui ne m'empêche pas de prier Dieu chaque jour, pour des raisons différentes aujourd'hui. Pas un jour ne passe sans que je lui parle. Ma foi est entre Dieu et moi. Entre Dieu et moi, seulement. Peu importe, les "qu'en dira-t-on ?".
— Donc tu crois au Paradis, en une vie après la mort ? l'interrogé-je.
— Qu'est-ce qui se passe, Raphael ?
Je planque mes mains entre mes genoux.
— J'ai eu cette discussion avec Margaret, au sujet du Paradis et du bonheur éternel. Tu sais... Y a une période où j'y ai cru, où, du moins, j'aurais aimé y croire. Quand j'ai essayé de partir la première fois, je voulais juste revoir ma mère et lui demander pardon. J'avais entendu parlé de ces histoires d'expérience de mort imminente. Je n'avais déjà plus très envie de vivre, mais si mourir me permettait de la revoir, alors autant accélérer le destin. Je n'ai rien vu. Je me suis endormi pour me réveiller dans une ambulance.
— Raphael, poursuit doucement Sam, tu n'as pas à demander pardon à qui que ce soit. Hormis à toi-même.
— Si quelqu'un ferait du mal à un membre de ta famille. Chloe par exemple. Serais-tu capable de lui pardonner ?
Il hésite avant de répondre.
— J'aimerais en avoir la force en tout cas. À quoi ça m'avancerait d'haïr cette personne jusqu'à la fin de mes jours, à part me pourrir la vie ? Pardonner ne veut pas dire, déjeuner tous les dimanches avec cette personne à ta table. Tu peux pardonner et la sortir définitivement de ta vie. Ton ami, Jared. Tu m'as dit qu'il avait tué deux personnes. C'est ça ? Pourtant, il reste ton ami. Pourquoi ?
Il n'y aucun jugement dans sa question. Elle est sincère.
— Parce que... Parce que c'est une bonne personne, expliqué-je.
— Une bonne personne qui a ôté la vie à d'autres.
— Il essaie de se racheter, répliqué-je.
— Et ça marche. Tu lui a en quelque sorte pardonné son passé, même si tu en n'étais pas la victime.
— Si on veut.
— Alors pourquoi tu n'arrives pas à le faire avec toi-même ? demande Sam.
Je reste silencieux un instant.
— Je ne sais pas.
À la fin du dîner, nous nous installons sur le canapé. Sam s'enfonce profondément dans un coussin, une grimace sur le visage.
— Ouf. J'ai le dos en compote.
— Laisse-moi regarder, lancé-je en me levant.
Contournant le sofa, je me place derrière lui et me remonte les manches.
— Retire ta chemise.
— OK, dit Sam, d'une voix teintée de surprise. Quelle autorité.
Il se dévêt, dévoilant son dos musculeux maculé d'une myriade de taches de rousseur. Je m'abandonne à la contemplation de ce corps sculpté et savoure la texture de sa peau sous mes doigts, quand une bouffée de chaleur m'envahit. Je refoule cette sensation. D'abord timides, mes mains décrivirent des cercles lents, exerçant une pression douce, mais assurée. Sam se détend à mesure que je m'aventure sur les courbes et dans les creux.
— Ici ? demandé-je, dans un murmure.
Sam laisse échapper un gémissement grave et se penche en avant, les coudes sur les genoux.
— Oui. Parfait. Où as-tu appris à masser comme ça ? Encore un de tes talents cachés ?
— Dans la rue.
— Dans la rue ?
— Mes clients ne recherchaient pas toujours du sexe. La plupart du temps on s'arrêtait aux préliminaires. D'autres souhaitaient simplement un peu de compagnie, une oreille attentive. Ils me confiaient leurs problèmes de couple, de famille, d'argent ou de travail. L'avantage comparé à un psy, c'était la chaleur humaine et la discrétion. À part leurs soucis, je ne savais rien d'eux. Je ne connaissais ni leurs noms ni leurs adresses, et ils avaient la certitude que rien de ce qu'ils me dévoileraient ne serait consigné dans un carnet.
— La drogue... Qu'est ce que ça te faisait ? Pourquoi tu en consommais ?
Mes doigts descendent le long de sa colonne vertébrale.
— J'étais apaisé, enveloppé dans une bulle de chaleur. Je ne ressentais ni douleur physique ni mentale. Je n'avais jamais connu pareilles sensations avant ça. L'extase. La sécurité. C'était inédit pour moi. Je pouvais enfin m'endormir sans avoir la crainte de faire des cauchemars, quels qu'ils soient. Je ne voyais plus les images de ma mère. Et puis, une fois l'engrenage lancé, je ne pouvais plus m'arrêter. Je ne consommais plus pour l'euphorie que la drogue m'offrait, mais pour taire les effets du manque. Mes angoisses et mes peurs devenaient pires qu'avant si je n'en prenais pas. Quant aux impacts sur le corps... Tu as vu les résultats chez tes parents.
— Tu y penses souvent ?
— Tous les jours. Pas une journée ne passe sans que je ressente le besoin de me défoncer. Je suis un addict et je resterai un addict jusqu'à la fin de ma vie. C'est une maladie incurable. On devient abstinent, mais on ne guérit pas. Le risque de rechute n'est jamais à exclure. Il sera toujours là à attendre l'occasion.
C'est pour en partie pour cette raison que je dois partir. Je ne veux pas lui faire subir ça.
Sa main se glisse dans la mienne pour l'emmener sur son ventre chaud. Je capture son regard embrasé. Son dos calé contre le dossier du canapé et la tête dirigée vers le plafond, il lève un bras pour replacer une mèche noire derrière mon oreille, quand un rose apparait faiblement autour de lui.
— Sam, soufflé-je.
— Dis-moi non et j'arrêterai, chuchote celui-ci, ou embrasse-moi. Si tu en as envie, autant que moi... Embrasse-moi.
Le feu qu'il attise en moi me consume de l'intérieur, mais je ne peux résister plus longtemps. Les lèvres frémissantes, je pose une main gelée sur sa barbe tandis que la seconde remonte sur sa poitrine à travers laquelle je sens son cœur battre contre ma paume à une vitesse folle. Je perçois son désir et il décuple le mien.
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