Chapitre 14
Incendie tragique à Bellwood.
Bellwood, 10 août 1981 - Une soirée entre adolescents a viré au cauchemar dans la forêt de Bellwood, laissant la petite communauté choquée et endeuillée. Ce samedi 8 août, un incendie s'est déclaré dans le chalet des Crawford, dans les environs de 22 heures, coûtant la vie à trois adolescents âgés de 16 ans, et laissant un autre, Nikita Pavel, porté disparu et suspecté d'être à l'origine du feu. Une cinquième personne présente lors de la soirée est actuellement interrogée par la police.
Les victimes décédées dans cet incendie tragique ont été identifiées comme Robert McGreight, Jimmy Novak et Anthony Blaire. Leurs familles et la communauté de Bellwood sont dévastées par cette perte. Les circonstances entourant la disparition de Nikita Pavel sont encore floues.
Le cinquième adolescent a été identifié comme Aaron Crawford, fils des propriétaires du chalet et connu pour des troubles mentaux légers. Il a été interrogé par la police et a fourni des informations sur les événements qui ont précédé l'incendie. Selon Crawford, il avait quitté le chalet pour acheter des boissons à la demande des autres adolescents. Lorsqu'il est revenu, il aurait vu une silhouette pouvant correspondre à Pavel, quitter les lieux en flammes.
Les autorités de Bellwood mènent actuellement une enquête approfondie pour déterminer les circonstances exactes de l'incendie, ainsi que pour retrouver Nikita Pavel. La communauté est en état de choc et rend hommage aux trois adolescents décédés, tandis que l'enquête se poursuit pour faire toute la lumière sur cette terrible nuit.
J'étudie depuis plusieurs heures dans la bibliothèque, parcourant des tas d'articles sur l'affaire. La famille Pavel n'a cessé de clamer l'innocence de leur fils. Pour eux, il était impensable que Nikita commette un acte irréparable. Mais connaissons-nous vraiment notre entourage ? Nous avons tous déjà vu ces interviews de voisinage après une tragédie. Les gens ne comprennent pas. Tous peignent le coupable comme quelqu'un de respectable et respectueux, une personne qui salue toujours ses voisins et aide les vieilles dames à porter leurs provisions, un individu que nul ne soupçonnerait capable du pire. Mon père a reçu les mêmes éloges après la mort de ma mère. Les voisins n'ont rien vu, rien entendu. Dans le village, Sean incarnait l'image du mari aimant et du bon père, travaillant dur dans la forêt pour subvenir aux besoins de sa famille. Cette façade s'est brisée et tout le monde a découvert l'être violent et manipulateur. De mon côté, je me demande s'ils l'ont réellement appris ce jour-là. Comment ont-ils pu ne pas s'en apercevoir ? Comment ont-ils pu ignorer les cris, fermer les yeux sur sa peau bleue ? Ces images sont gravées au fer rouge dans ma mémoire. Je me souviens parfaitement des bracelets d'ecchymoses sur ses poignets, du son de ses pleurs et du goût de ses larmes. Les voisins la pensaient maladroite, ou peut-être ne voulaient-ils tout simplement pas comprendre, par peur ou par pure indifférence, allez savoir. En public, maman s'exprimait très peu, Sean parlant la plupart du temps en son nom. Là aussi, les gens la croyaient réservée. Non. J'en suis convaincu. Certains savaient, mais ont choisi de garder le silence. Je les considère autant coupables.
En consultant l'annuaire de la ville, j'apprends que les Pavel ont quitté la région depuis de nombreuses années. Seul le frère, Boris, âgé de vingt ans au moment des faits, est resté. Quant à Aaron Crawford, l'unique survivant, des soupçons ont pesé sur lui avant d'être rapidement évincés grâce au témoignage de Nora Fawcett, gérante du Daily Stop et mère de Robert McGreight. Elle l'a bien vu ce soir-là dans son magasin, à l'heure où l'incendie s'est déclaré. Après de nombreuses crises psychotiques, Aaron a fini interné à Harmony Pines, un établissement psychiatrique niché au cœur de la forêt. Je note ces informations sur un carnet à spirales. Cela m'occupe. Après mon plongeon dans le lac, Sam m'a raccompagné chez moi et ça s'est arrêté là. Je n'ai toujours pas été convié au commissariat, ni par l'un ni par l'autre. Harris souhaite peut-être me punir pour mon refus d'étudier Hasna à la morgue. J'aurais pu, comme avec Adam, forcer mes méninges et appeler une vision, mais je n'en ai eu ni la force ni le courage. De plus, je venais de prendre de la buprénorphine, un moment où Harris avait le dos tourné. La molécule me rend parfois somnolent, ce qui altère ma concentration. Je sais que je dois être à cent pour cent de mes capacités, mais la douleur l'emporte sur la raison. Et maintenant, comme si elle-même avait perdu espoir en moi, Hasna ne me contacte plus. J'arrive même à me fâcher avec les morts.
J'arque le dos pour m'étirer, et la vue d'étudiants plongés dans des livres me donne une idée. J'ouvre un nouvel onglet et poursuis mes recherches dans les archives du lycée, remontant aux années 80. Bingo ! Robert, Jimmy, Anthony et Nikita entretenaient bel et bien une amitié. Pour quelle raison Pavel aurait-il tué ses camarades ? Par jalousie, vengeance ou convoitise ? Tant de mobiles possibles. Un détail m'étonne cependant : il n'y a aucune preuve de l'appartenance d'Aaron à leur cercle. L'adolescent ne figure sur aucune photographie en compagnie des quatre garçons, ou plutôt aucune photographie ne le montre en compagnie de qui que ce soit. Pourtant, c'est bien au chalet des Crawford que la soirée a eu lieu. Je doute de cette supposée amitié entre ces jeunes visiblement sportifs et populaires et ce garçon renfermé, au retard mental et au nom cité nulle part, à l'exception d'une photo de classe individuelle. Le cliché, sur lequel Aaron porte des cheveux longs masquant des yeux fuyants l'objectif, date de novembre 1981, soit trois mois après le drame.
Me souvenant de la pagaie dans ma vision concernant Pavel, j'accède à la section sport. Après avoir défilé les années, un cliché capte mon attention. Nikita entoure de son bras une petite brune maigrichonne et au sourire charmeur. Nul besoin de la légende, je l'ai reconnu aussitôt : Margaret Campbell, la future madame Taylor, et mère d'Adam. Voilà qui est intéressant. La main de Pavel, glissée sur la hanche de la jeune fille, trahit une intimité qui ne laisse place à aucun doute sur la nature de leur lien. À côté de Margaret se tient une seconde adolescente dont la carrure athlétique tranche avec la délicatesse de la première. Ses yeux rieurs sont scotchés sur le couple. Je ne mets pas longtemps à reconnaître Helen Anderson, la capitaine. Sam a raison. Tout le monde se connait ici. Je ne serais pas étonné de découvrir de sales petits secrets.
En remontant plus loin dans les années, je tombe sur Oswald Beaver, Rick Taylor et Stephen LeBlanc, ce qui confirme mes doutes sur la longévité de l'amitié des deux premiers. N'ayant aucun souvenir du troisième homme, je tape son nom dans le moteur de recherche. Le premier résultat est sans équivoque. LeBlanc s'est suicidé le 8 août dernier avec son fusil de chasse, le jour du quarante-et-unième anniversaire de la mort de ses anciens camarades. Intrigué, je me rapproche de l'écran. Son corps a été retrouvé dans le garage par son épouse Sherry. Aucune lettre n'est venue expliquer ce geste définitif.
J'éteins l'ordinateur et masse mes yeux asséchés par des heures de recherches. Toutes ces histoires me donnent mal au crâne. Les bandes d'amis se côtoyaient-elles à l'époque ? Aucune photo ne semble le prouver, ni dans les archives du lycée ni sur le mur de Beaver. Le seul lien entre les deux groupes est une personne. Par le passé, Margaret est sortie avec Nikita avant d'épouser Rick des années plus tard, donnant naissance à un fils. Ce même fils, aujourd'hui mort assassiné. Et ce Nikita Pavel a disparu sans laisser de trace, demeurant le suspect numéro un pour l'incendie criminel. Est-il revenu après toutes ces années ?
Une horloge murale géante annonce 17 h 37. Les portes de la bibliothèque ne vont pas tarder à se fermer. Je récupère mon casque et enfile mon manteau. Ce vieil imper n'a pas l'allure de mon cuir, mais ce dernier n'a pas survécu à mon plongeon dans le lac. Avant de rentrer, je retourne là où l'affiche m'est apparue, au cas où un nouveau message me parviendrait. Si Hasna ne veut plus me parler, je m'occuperai l'esprit avec quelqu'un d'autre.
De petits flocons atterrissent mollement sur l'asphalte. Je presse le pas. La neige n'a pas l'air de tenir pour le moment, mais traîner serait courir le risque de rouler sur une route impraticable. Sur les réverbères, des sapins et cadeaux illuminent les rues de rouge et de vert. Noël est dans neuf jours, et cette idée me serre le cœur. J'envie ceux qui se retrouvent autour d'une table immense le soir du réveillon et échangent des tas de présents au pied d'un sapin le lendemain, les yeux endormis et pleins de rêve. Bien sûr, les films mielleux sentant la guimauve et le chocolat enjolivent la réalité. Chaque famille cache des hypocrites derrière les sourires de façade. Sofia m'a emmené fêter notre deuxième Noël ensemble chez ses parents. Au départ, je me suis montré peu enthousiaste vis-à-vis de cette invitation. Étant le nouveau venu, je redoutais d'attirer l'attention et de devoir répondre à des questions trop personnelles. Et la présence d'un nombre important de convives signifie autant de potentiels déclencheurs. Mais les souvenirs des fêtes de mon enfance se diluant au fil des ans, cela avait piqué ma curiosité. Quelle n'était pas ma déconvenue lorsqu'une dispute entre deux de ses tantes, lourdement alcoolisées, est venu ternir le reste de la soirée et raviver en passant mon penchant pour la boisson que je tentais d'arrêter. Peu de temps après, notre couple a volé en éclats. Super idée, cette soirée.
Arrivé devant le lampadaire, je patiente un instant, le contourne en effleurant le métal. Puis, les yeux fermés, je me concentre, essayant d'ignorer le bruit des voitures et des usines environnantes. Rien. C'est pas vrai ! Quand je ne les veux pas, ces satanées visions se manifestent à leur gré, et maintenant que je les appelle, elles font les sourdes oreilles. Je plonge la main dans ma poche et dévisage le flacon de buprénorphine. Je n'ai pas pris mon comprimé aujourd'hui, n'en ayant pas encore ressenti le besoin. Alors, qu'est-ce qui bloque ? Je replace le médicament dans mon manteau et m'avance dans la nuit. Je fais une halte chez Ricky, mais n'entre pas. Je me contente de jeter un coup d'œil par la fenêtre. Peu de clients à cette heure-ci. La plupart sont accoudés au bar devant des chopes de bière, discutant avec Rick. Ma gorge s'assèche. Je dois me concentrer sur autre chose que sur ces verres d'alcool.
Face aux effluves alléchants s'échappant du bâtiment, mon ventre se plaint de n'avoir rien reçu de solide depuis plus de dix heures. Malgré tout, je réprime ma faim. Les recettes de Rick et Margaret ne sont pas mauvaises, au contraire, mais les prix me ramènent à la raison. Mes économies ne tiendront pas éternellement. Mon déménagement dans cette bicoque qui me sert de maison les a déjà bien fait fondre.
Margaret traverse mon champ de vision. Elle s'est empâtée avec les années et semble plus vieille que son âge. Malgré tout, on devine qu'elle a été belle dans sa jeunesse. Le chagrin n'y est pas pour rien. L'épouse Taylor semble encore avoir vieilli depuis ma dernière visite. De nouvelles rides entourent ses yeux, et des filaments blancs s'invitent dans sa chevelure autrefois brune. La vieille femme plonge une main dans la poche de son tablier rouge pour en sortir un téléphone. Elle plisse les yeux derrière ses lunettes, puis, d'un pas hâtif, se dirige vers Rick. Elle se penche à son oreille pour lui murmurer quelque chose. Il hocha la tête, et Margaret disparaît derrière une porte. Après plusieurs secondes, une lumière s'allume dans l'appartement du dessus.
*
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