~54~

( Misha)

Ivan relève la tête, me regarde.

— Sans la ténacité de Misha, je n'aurais jamais eu ces infos, commente-t-il. Ma vie n’était ni bonne ni mauvaise. Personne ne connaissait mon passé à part celui qui m’avait sorti de l’ombre. Découvrir les mots d’Irina est tout autant magique que destructeur. Ma trouille de notre pays, de ce qui s'y passe est ancré en moi. La proposition de Josef de rechercher ma famille lors de son séjour m’a propulsé vers une fuite.

— Je comprends mieux pourquoi il semblait marcher sur des œufs lors de notre premier contact. La délation est relativement fréquente, d’où les précautions que nous mettons en place. Ernst sert de premier garde-fou. Piotr et moi, comme de nombreuses autres personnes, sommes des maillons de la chaîne. 

— Mes hésitations ont dû vous faire douter, intervient Josef.

— Ernst n’arrivait pas vraiment à vous cerner mais le fait que vous apparteniez à l’association qui avait aidé Irina était un très bon point. Vous écouter derrière la porte m’a donné envie d’en savoir plus.  

— Sans décliner votre identité.

— C’était prévu mais vos hésitations et vos mensonges ne nous facilitaient  pas la tâche. Lorsque j’ai eu la preuve que vous n’ aviez contacté personne, je savais comment vous piéger.

— Je n’en pouvais plus. Il était évident qu’Ivan et Mikail étaient la même personne. Mon objectif était que vous acceptiez de me suivre ou de me rejoindre. Ivan obtiendrait des infos sur sa sœur. 

— Rejeter l’idée d'une rencontre ne signifiait pas que je doutais de toi, précise Ivan à Aslan.

— Je n’y ai même pas pensé, Mikail. Nous savons comment ils fonctionnent car c’est hélas encore d’actualité. 

Le silence d’Ivan me pousse vers lui et naturellement ma main se pose sur la sienne.

— Il me semblait avoir compris à quel point vous protéger mutuellement était important. Je n’en avais pas saisi l'ampleur. Notre présence ici ne vous met aucunement en danger. Notre ambition reste la même, mais nous modifierons nos points d’arrivées.  

— Merci de le comprendre. Nous pourrons sûrement aider différemment mais… l’idée qu'il puisse lui arriver quelque chose...Les personnes qui comptent pour moi ne sont pas si nombreuses…

—Je serais très heureux que tu me parles d’eux. Celui qui t’a sorti de l'ombre, le photographe. Toutes celles et ceux qui ont été à tes côtés. 

— Ce sera avec plaisir. Et toi, en dehors de ce combat, laisses-tu parfois entrer la lumière ?

— C’est arrivé, oui. Mes craintes sont les mêmes que les tiennes alors je m’abstiens.

( Rolf )

J’écoute les mots, réalisant à quel point ma vie est tranquille. Mes choix de partenaires n’impliquent aucune prise de risques. Piotr vient de sortir son paquet de cigarettes, j’en aurais bien besoin aussi.

— Venez, je vous montre le coin fumeur.

Aucune hésitation de sa part, il se contente de me suivre. A peine arrivés dehors, l’un comme l’autre, nous sortons nos paquets de cigarettes.

— Vous connaissez Mikail depuis longtemps ? 

— Ivan ?  Non. Il est arrivé chez Misha il y a peu. Pour être tout à fait honnête, j’en aurai bien fait mon quatre heures. 

— Vous saviez qu'il était…

— Non. Misha est mon meilleur ami. Je suis assez souvent chez lui alors le fait qu'il recherche le frère d’Irina tout le monde le sait. Il m’a appelé un soir. Il voulait que je vienne avec de quoi boire. 

— Je n’aurais pas imaginé ce jeune homme dans cette situation.

— Lorsque je suis arrivé, j’ai découvert un homme. Très loin du gabarit de Misha, appuyé contre le mur. Il pensait que le faire picoler pourrait le sortir de cette prostration. Je l’ai convaincu sans difficultés que c’était très loin d'être une bonne idée.

— Vous saviez qui il était ?  

— Pas très difficile de le deviner. Misha n’est pas du genre à ramener des mecs chez lui, ni des filles d’ailleurs. La lecture des cahiers avait eu cet effet, c'était la cause de son état répétait-il en boucle. Et à qui aurait-il pu lire ceux-là à part au frère d’Irina ?

— Vous l’avez saoulé ?

— Non. J’ai conseillé à Misha de lui parler calmement et Ivan a repris conscience. Ou plutôt il est sorti de cet état où il s’était plongé.

— Et tu as tenté ta chance, réplique-t-il avec humour ?

— Je n’en avais aucune. Il était évident qu'il n’était pas pour moi. Il leur a fallu juste le temps de le réaliser.   Es-il est en danger ? 

— C’est exactement la question que je voulais poser, nous interrompt Ivan.

— Je ne pense pas que qui que ce soit ne te recherche. 

— Même Dalibor ? 

Seul le silence répond à Ivan. J’ai conscience que peut-être ma présence en est la cause. 

— Je vous laisse, dis-je.

( Piotr)

J’attendais depuis si longtemps ce moment. 

—Je n’y croyais plus.  Je m’étais plus ou moins résigné à l’idée que tu étais sûrement tombé dans un trou dans la montagne. 

— Cela me convenait d’être invisible, explique-t-il. C’était le but de ma disparition. Je n’avais pas été capable de protéger ma sœur. Le regard de Dalibor était suffisamment explicite. Il m’aurait vendu à la première occasion ou tué selon son humeur du moment.

— Le connaissant, il t’aurait utilisé ou vendu jusqu'à ce que tu en crèves. 

— C’est ce qui se passe avec les femmes qu'il vend ?

— Avec plus ou moins de rapidité, oui. Ta soeur voulait se proposer à ta place. Quand Anzor l’a compris, il ne restait plus qu’à l’éloigner au plus vite. Ne la trouvant pas, l’idée de l’accident serait plausible. Si nous vous avions exfiltré tous les deux, il aurait mis toute son énergie pour vous retrouver. Il a perdu gros.

— Tu ne veux pas que je le plaigne ?

— Là où il est, il gêne plus personne. 

 


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