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(Josef)

— Je m’en rappelle très bien, en effet. Même si vous avez été peu bavard sur le personnage lui-même .

— Comment cela ? 

— Vous avez évoqué ses capacités à accompagner sur des terrains hostiles. Je suis conscient des risques physiques mais aussi de ce qu'il pourrait advenir de lui s'il se faisait prendre. Hors, de l’homme et de ses motivations, je n’ai aucune info.

— En effet. Mais en quoi ce qu'il est vous intéresse-t-il ? 

Son ton n’est pas du tout agressif. 

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Certaines confidences reçues par quelques-uns de nos réfugiés vont dans le même sens. Le terme d’espion est peut-être excessif, mais toutefois relativement proche quant aux faits. Un moyen trouvé par la police pour débusquer certains de vos compatriotes qui auraient quitté le pays. 

Un silence suit mon intervention et j’avoue ne pas être très à l’aise. Ai-je été un peu trop cash dans ma remarque ?

— Nous ne nous étions pas trompés et cela me fait bien plaisir. Etes-vous prêt à le rencontrer ou préférez-vous en discuter avec votre propre équipe ? 

Je ne suis pas sûr d'être très convaincant à simuler une conversation avec mon équipe. Celle-ci se résume à Joachim, Ivan et moi. Aucun de nous trois n’a prévu une telle situation. 

— Autant le rencontrer maintenant. Il sera toujours temps de contacter mon équipe s’il y a besoin.

Il se lève et se dirige vers la porte qu'il ouvre. Comme s'il attendait juste derrière celle-ci, un homme rentre. Un visage taillé au couteau, pas très grand mais ses larges épaules le mettent dans la case sportif. Tout le contraire de moi. 

— Bonjour, dit-il en me tendant sa main. Heureux de vous rencontrer. 

L’espace d'un instant, tout petit instant, je réalise que je connais cet homme. Enfin pour être plus précis, je l'ai déjà vu. 

— Vous étiez un de ceux qui déposait et récupérait Irina, n’est-ce pas ?

— Vous avez une très bonne mémoire visuelle, dit-il en rigolant. Ne vous inquiétez pas, cela ne signifie pas que je doive vous supprimer sur le champ.

Je ne savais pas trop comment réagir. Rire. Partir.

— Piotr, cesse tes gamineries. Josef, vous avez parfaitement raison. Piotr et son équipe avaient Irina sous leur protection. 

— Irina n’avait qu'un but : retrouver son frère, commente l’homme, Piotr donc. Nous avons multiplié les lieux où obtenir des infos sur des exilés était possible. Votre association était très bien placée. Pour autant, la laisser sans surveillance était délicat. Sa sécurité était notre priorité. 

— Vous agissez ainsi avec chaque exilé qui vous est confié ? 

Aucune réponse mais le regard vers Ernst est clair. Il hésite à me répondre. 

— Josef ne possède pas toutes les informations, Piotr. C’est justement le but de notre rencontre. Je suppose que vous avez connaissance du parcours d’Irina. Elle nous a parlé de votre collègue bénévole Misha à qui, par désespoir, elle a confié ses carnets.

Je ne sais pas comment réagir. Ils disposent de beaucoup d’informations mais les mots de Joachim couplés à ceux d’Ivan me rendent méfiant.

— Josef. Laissez-moi vous expliquer quelques petites choses. Je sens que vous êtes prêts à déguerpir et je vous comprends. Vous avez parlé tout à l’heure d’espionnage, de trahison. Ce ne sont hélas pas des élucubrations. Irina et son frère sont sortis clandestinement de Tchétchénie. Mikail était homosexuel, ce n’est sans doute pas un secret pour vous. Rester ici le mettait en danger de mort ainsi que sa famille. Irina désirait partir elle aussi, son père avait pour projet de la marier. 

— Comment avez-vous eu ces informations ? 

— Irina passait beaucoup de son temps à écrire, répond Piotr. Elle m'en lisait des passages. Et puis A..

— Plus tard, Piotr, le coupe Ernst. Avez-vous eu la possibilité de lire ses carnets ? 

— Non. Elle les a confié à Misha. Il a évoqué certains passages mais ils étaient destinés à son frère. 

— C’est pour cette raison que je suis parti, intervient Piotr. Irina avait compris qu’elle ne guérirait pas. Elle avait misé sur ce jeune homme avec la mission de retrouver son frère pour qu'il lise ses mots. Ma mission, celle que je me suis donnée, était de retrouver le salopard de passeur. Elle n’en a jamais rien su. 

Que dire ? Je ne crains plus qu'il soit du mauvais côté mais je ne suis pas certain de comprendre pourquoi il m’explique cela. 

Piotr passe ses impressionnantes mains sur son crâne quasi chauve comme s'il essayait de mettre tout en place. 

— Je ne disposais pas de beaucoup d’infos. Son nom et le village d'où elle était partie. D'où ils étaient partis avec son frère. Vous me suivez ?

— Elle a dû le nommer mais ma mémoire des noms… Vous vouliez en parler aux parents ? 

— Surtout pas. J’espérais retrouver des traces de Dalibor. Ce genre de personnage ne stoppe pas les trafics comme cela. Surtout quand beaucoup de personnes cherchent à fuir. C’est un gagne pain très lucratif. Vous a-t-elle parlé de mon intervention ? 

— Elle discutait avec Misha mais il n’a eu connaissance de l'existence des cahiers qu’après sa mort. Même si comme nous, il savait exactement ce qui allait se passer, cela a été un choc. Misha était quasiment son seul interlocuteur. Il est resté près d’elle jusqu'aux derniers instants. Les trois derniers jours, elle n'était plus transportable mais s’ opposait formellement à aller à l’hôpital. Elle n’est pas la seule à avoir fait ce choix. Elle avait confié le paquet à Joachim qui gère le côté administratif. Il était adressé dans son entièreté à Misha. Il n’a rien lâché pour le retrouver. 

La dernière phrase qui aurait pu annoncer les résultats de ses recherches, je la gardais pour moi.

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