(Sam )

- Quand te décides-tu à lui laisser un message ?

- Afin de risquer de lui donner l'impulsion pour une nouvelle disparition ? Pas question, répliqué-je.

- Misha t'a rassuré pourtant à ce sujet.

- Je sais, dis-je interrompu par la sonnerie de mon portable. C'est Ivan.

Romain s'installe immédiatement à la table à mes côtés afin de participer au coup de fil.

- Allô ?

- C'est moi.

- Cela me fait plaisir d'entendre ta voix.

- J'ai pris du temps avant d'arriver à t'appeler.

- Misha nous a expliqué, ne te tracasse pas.

- Je sais, il est à côté de moi. Je lui ai expliqué mes peurs, Bachir...

- J'ai vu dans quel état cela te mettait. Tu voulais le protéger en ne restant pas très loin de lui.

- Oui. Et ne pas vous transformer en cible potentielle si je revenais vers vous.

- Nous l'avons compris. As-tu peur d'une personne en particulier ?

- C'est plus compliqué que cela.

- Je me doute. Peut-être qu'il faudrait que tu puisses en discuter avec quelqu'un qui pourrait t'aider.

- Tu crois que je suis fou ?

- Jamais de la vie. Ton cerveau grouille d'images effroyables. Elles représentent des moments de ta vie qui sont traumatisants. La lecture des carnets de ta sœur font remonter tout cela.

- Je ne veux pas voir Aslan.

- As-tu une raison pour le craindre à ce point ?

- Lui, non. Mais s'il était surveillé ?

- C'est cela qui t'angoisse le plus ? Qu'il arrive quelque chose à ceux que tu aimes ? En représailles, si j'ai bien compris.

( Misha)

La discussion avec Sam angoisse Ivan. Il ne contrôle plus ses mains. Les doigts se tordent, fébriles. Ma main posée sur la sienne semble l'apaiser. Je décide d'intervenir.

- Sam. Nous allons te rappeler un peu plus tard. Ivan a besoin d'une petite pause.

Ivan ne réagit même pas mais ne rejette pas mon bras lorsque je l'enlace. Le silence règne.

- Tu penses la même chose que Sam ?

- Que de l'aide pourrait t'aider ? Oui. Les mots d'Irina ne te suffisent pas. J'ai même la sensation qu'ils te perturbent.

- Ne te reproches surtout pas quoi que ce soit à ce sujet. Ils sont importants pour moi. Je ne regrette rien.

- Je ne dis pas cela. Je ne nie pas leur importance. Seulement, ils ne suffiront pas à répondre à tes attentes.

Mes mots ne provoquent aucune réaction. Il se laisse aller sur le lit, m'entrainant avec lui. Sa tête se niche contre mon épaule, son bras en travers de ma poitrine.

- Dors ! Je te promets, je serai toujours là demain.

(Josef )

Une semaine est passée depuis ma discussion avec Ivan et Misha. Les quelques informations obtenues concernant le Piotr dont parle Irina m'aideront, je crois, à déterminer ce que je lui dirais. Les mots de Joachim résonnent encore, eux aussi. Ne te précipite pas. Ivan attend depuis longtemps. Il est préférable d'être certain plutôt que tout foirer.

Comme convenu, un chauffeur m'attend à la descente de l'avion. Il doit me conduire à l'hôtel ce qui m'a fortement rassuré. Je connais quelques mots d'usage seulement. Beaucoup des contacts que j'ai eu parlaient Anglais.

A la réception, je trouve un courrier avec tous les renseignements nécessaires pour les différentes rencontres et une info qui me tranquillise, ce sera le même chauffeur de taxi m'y conduira !

Il se propose de me faire visiter les monuments si je le souhaite mais je décline prétextant la fatigue et des papiers à lire afin de préparer les rendez-vous à venir. Joachim m'a fortement conseillé d'éviter de m'aventurer dans la ville seul, j'ai décidé d'écouter ses conseils même si l'envie est grande.

Après une nuit plutôt mouvementée et un petit déjeuner copieux, me voici de nouveau à bord du taxi. Le chauffeur joue le guide touristique mais je ne l'écoute que d'une oreille. Je suis tout à la fois excité de la journée à venir que tendu par le stress.

L'homme qui m'accueille, je le connais. Ernst, c'est sous ce nom que je le connais, nous avons échangé des heures de discussion par courrier, Internet et visioconférence. Il est le créateur d'une des nombreuses associations d'aide aux migrants qui, elle, se spécialise sur les passages hors frontières. Ce sont des actions illégales, bien entendu. Obtenir de faux papiers qui n'attiraient pas l'attention était utopique. L'option choisie, inédite, consistait à former des groupes de passeurs. Ceux-là ne monnayeraient aucun passage, ne molesteraient personne, n'exigeraient aucune compensation sexuelle. Ils étaient en grande partie d'anciens militaires, les randonnées en montagne, les exfiltrations ne leur faisaient pas peur. Restait à mettre en place la dernière étape, tout aussi primordiale. L'accueil de ces exilés : c'était la raison de ma présence. Grâce à l'association, mon carnet d'adresses de lieux sécurisés était pas mal fourni. Le temps était venu de discuter de tout cela afin de vérifier si nous pouvions aller plus loin. Avant la discussion avec Ivan, j'aurai foncer sans aucune hésitation. Ma façon de voir les choses s'était modifiée. Ils allaient devoir me convaincre avant que j'accepte quoi que ce soit !

- Avez-vous fait un bon voyage, Josef ?

-Je crois que beaucoup de ceux que nous souhaitons aider rêveraient d'un tel confort.

- C'est certain. Il y a pas mal de tensions ces derniers temps et quelques hommes et femmes auraient bien besoin d'être mis à l'abri. Lors d'un de nos échanges, je vous ai parlé d'un ex-soldat qui aidait l'association.

Je voyais très bien de qui il était question. Le fameux Piotr. Était-il celui qui avait récupéré Irina ou une sorte d'espion infiltré comme Ivan et Joachim le craignaient ? J'allais devoir être très prudent. Écouter, poser des questions ciblées et décider de la suite des événements.